« Marianne pleure » : une magnifique action, en images (note actualisée)

hiya 2-min

Aujourd'hui à Paris 13e (Nationale), photos Alina Reyes

Aujourd’hui à Paris 13e (Nationale), photos Alina Reyes

Très admirative de la magnifique action des artistes qui sont allés, de nuit, peindre des larmes de sang sur la Marianne de Shepard Fairey (Obey). Je suis allée voir ça aujourd’hui, j’en ai parlé un peu sur place avec un jeune inconnu qui contemplait aussi la fresque ainsi repeinte – et nous étions d’accord que c’était bien mieux ainsi. Shepard Fairey est un artiste que je vois un peu comme Jeff Koons, dans le sens où ils se sont engagés dans les combines du marché avec un cynisme plus ou moins marqué (plus pour Jeff Koons) et qui essaient tout de même de garder, dans cette position de vendus, une capacité de subversion cachée. Le bouquet de tulipes ou d’anus offert à Paris en prétendu hommage aux victimes des attentats terroristes est un foutage de gueule que les politiciens, bornés comme ils le sont, n’ont pas compris, puisqu’ils ont accepté le « cadeau ». Il y a peut-être de cela aussi dans cette Marianne de Fairey (dont Macron orne son bureau, comme je l’ai déjà dénoncé). Je surinterprète peut-être, mais il ne me semble pas impossible que l’ex-graffiteur ait consciemment, plus ou moins, conçu cette fresque comme une critique, une sorte de dénonciation de ce que Marianne est en train de devenir. En tout cas, à la voir, moi, j’ai toujours eu le sentiment qu’avec son graphisme trop propre, trop figé, et son style années 30, elle rappelait le temps de la montée des fascismes en Europe. Et donc j’apprécie d’autant plus l’action de ces artistes anonymes, relayée par Hiya. Ils ont fait une vidéo de leur action, la voici (avec le texte entier (plus ou moins heureux mais l’important là c’est l’action) du manifeste à lire sous la vidéo ou sur le site de Hiya).

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16-12-20 J’ajoute à cette note d’hier que l’hypothèse de la subversion cachée par ces artistes américains avec leurs « cadeaux » post-attentats terroristes en France, et en particulier pour Jeff Koons avec ses tulipes en forme d’anus, peut être étayée par cet indice : depuis notamment les caricatures de Charlie Hebdo, la France est considérée dans le monde entier comme un pays islamophobe et liberticide. Encore dernièrement des articles un peu partout, aux États-Unis, en Europe… ont dénoncé cette situation que seuls beaucoup de Français ne veulent pas voir.

Nouvelles du monde et du jour

"At Home", acrylique sur toile 30x30 cm

« At Home », acrylique sur toile 30×30 cm


"Penetrations", acrylique sur toile 38x46 cm

« Penetrations », acrylique sur toile 38×46 cm


"Tree of Life", technique mixte sur toile 40x40 cm

« Tree of Life », technique mixte sur toile 40×40 cm


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Face au Covid 19, je note deux attitudes parmi ceux qui l’ont contracté : il y a les gens qui se demandent où ils ont pu l’attraper, et ceux qui craignent d’avoir pu le transmettre à d’autres. Dans la première catégorie, nombre d’ex-minimisateurs de la maladie, qui leur semble n’être rien tant qu’elle ne touche que les autres, et qui devient tout lorsqu’ils en sont eux-mêmes atteints. Survolant le texte de Michel Onfray tout au très long duquel il narre ses affres de covidé, comme s’il était le premier au monde à avoir été atteint par le virus, j’ai souri dans ma tête en songeant que si Nietzsche, dont se réclame Onfray, remarquait avec justesse que les chrétiens n’ont pas des têtes de ressuscités, on peut remarquer aussi que bien des nietzschéens sont loin d’avoir des têtes et des corps de surhommes.

Je continue à traduire, avec immense bonheur, Homère. Mais j’arrête là le feuilleton en ligne de ma traduction. Sans doute en donnerai-je quelques autres morceaux à l’occasion et on pourra toujours lire les trois premiers chants dans leur entier ici, ici et .

De mes trois dernières peintures ci-dessus, les deux dernières sont des repeintures.

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Le nerf de la guerre

à Paris hier, photo Alina Reyes

à Paris hier, photo Alina Reyes

Quand j’avais une vingtaine d’années, l’un des patrons d’une boîte où j’ai travaillé quelque temps m’a invitée à faire un tour dans sa Porsche. Je n’ai jamais aimé les Porsche, j’adorais les Jaguar. J’ai accepté, et je lui ai demandé de me laisser conduire. J’ai appuyé bien fort sur le champignon, il a vite voulu rentrer et ne m’a plus proposé de balade. Il y a une dizaine d’années, j’ai proposé à deux ou trois religieux à Lourdes de les ramener dans ma vieille Toyota au monastère où ils logeaient. J’ai conduit fangio dans les rues désertes, y compris dans les virages. Quand je les ai débarqués, une indignation coléreuse se lisait sur leurs visages et moi je souriais. Ils disent toujours tant qu’ils aiment être secoués.

Difficile de résister à la tristesse des moments que le pays traverse. Comme si le confinement et tout ce qui en découle ne suffisaient pas, comme si l’état policier ne se faisait pas assez sentir avec ces menaces de verbalisation de nos sorties, ces attestations ridicules à remplir, ces masques à porter dans des rues désertes ou en pleine nature, voici que l’article 24 de la loi « sécurité globale » vient d’être voté par l’Assemblée. Le désastre macroniste ne m’étonne pas, je l’avais vu dès avant l’élection mais je préférerais tant m’être trompée. J’ai entendu tout à l’heure à la radio que les pays où la crise du Covid avait été la mieux gérée étaient aussi ceux dont les citoyens faisaient le plus confiance en leur gouvernement, comme en Nouvelle-Zélande – du fait que leur gouvernement méritait en effet leur confiance et faisait en retour confiance aux citoyens. Les mensonges et le double jeu systématiques de la macronie nous enfoncent dans le complotisme et l’obscurantisme. Contre l’abattement qui nous menace – aujourd’hui je n’ai rien fait à part un peu de yoga et de marche – j’essaie du moins de ne pas oublier qui je suis, non pas socialement mais dans mon être vivant, vibrant, combattant et riant.

La France indigne

René Vautier sur le rideau de fer du cinéma La Clef, cet après-midi à Paris, photo Alina Reyes

René Vautier sur le rideau de fer du cinéma La Clef, cet après-midi à Paris, photo Alina Reyes

Il y a dans mon roman-pamphlet Poupée, anale nationale un passage où les enfants des écoles sont incités par une créature fasciste à dénoncer les pensées non conformes de leurs parents. Il y a, dans la vie, des parents qui dénoncent les pensées de leur enfant, des enfants qui dénoncent les pensées de leur parent, des ami·e·s qui dénoncent les pensées de leur ami·e, des collègues qui dénoncent les pensées de leur collègue, etc. – qui les font parler, puis rapportent à qui le leur demande. Et maintenant il y a aussi, en France, un gouvernement qui envoie dix policiers lourdement armés tirer de leur lit des enfants de dix ans, avant sept heures du matin, parce qu’ils ont exprimé une pensée non conforme lors d’une célébration officielle de la liberté d’expression. Trois petits et une petite de CM2, retenus dix heures durant au commissariat. Je n’avais pas imaginé voir ça un jour dans mon pays (que j’ai l’intention de quitter quand ce sera possible). L’Histoire jugera.

Autant en emporte le temps

"Autant en emporte le temps", collage et peinture sur papier fort 17x20 cm

« Autant en emporte le temps », collage et peinture sur papier fort 17×20 cm

Les Grecs et les Turcs se sont rapprochés après le tremblement de terre qui a endeuillé leurs deux pays ces jours-ci. En France, les musulmans et les catholiques se sont rapprochés pour la Toussaint après le meurtre de trois personnes dans une église de Nice par un terroriste islamiste. Que les uns et les autres, Grecs et Turcs en Orient (les deux pays sont orientaux à mes yeux), musulmans et chrétiens en Occident et dans d’autres terres, se rendent compte qu’ils seraient plus forts en coopérant, en faisant alliance, même !

Les librairies sont fermées. Des employés de librairies demandent qu’on cesse de demander leur réouverture et de les mettre ainsi en danger. Pour ma part, il y a longtemps que je ne vais plus en librairie (les bibliothèques et les ebooks m’apportent tout le nécessaire). Les seuls livres que j’y ai achetés ces deux dernières années sont celui de François Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas – en fait c’est O qui l’a acheté – et celui de Vanessa Springora, Le consentement. Deux textes de témoignage. L’un d’un honnête homme sur Macron, l’autre d’une honnête femme sur Matzneff, deux personnages emblématiques de l’état de la France : un pays abusif. Les livres que j’aurais pu publier depuis dix ans ne se trouvent pas en librairie car j’aurais dû, pour les publier, accepter une contrainte abusive. Je ne l’ai jamais acceptée, elle s’est donc accentuée, on a voulu me rééduquer comme certains veulent convertir de force les homosexuels à l’hétérosexualité, ou les fidèles d’une religion à une autre, ou les esprits libres à la dictature. Il y avait dans ces livres que je n’ai pu publier, que vous ne trouverez pas en librairie, de quoi participer à pacifier le monde. On a préféré soutenir ceux qui s’échinent à provoquer des guerres de civilisation. Autant en emportent les tremblements de ciel.

Reconfinement

Hier à Paris 13e, photo Alina Reyes

Hier à Paris 13e, photo Alina Reyes

Chape de tristesse ce soir sur le pays.

Plus d’autre choix qu’un reconfinement. Je pense à toutes celles et tous ceux qui ne pourront plus travailler, qui ne peuvent plus travailler depuis des mois ; ou qui ont travaillé dur pour lancer des projets qui seront annulés ; ou qui vont devoir continuer à travailler dans des conditions risquées et difficiles ; ou qui vont devoir affronter plus ou moins seuls, ou en compagnie difficile, une période d’enfermement, une période angoissante. À toutes celles et ceux qui, pour ces raisons et d’autres encore, vont souffrir, ou continuer à souffrir, ou souffrir de nouveau.

Je suis allée faire des courses pour le dîner, vers 17 heures passées. Les rayons du supermarché étaient à moitié vides et il y avait de longues queues aux caisses : c’était déjà reparti, les gens faisaient des provisions en vue d’un reconfinement. Dire qu’avec des mesures intelligentes – télétravail obligatoire chaque fois que possible, aération des salles de cours, et bien sûr préparation des hôpitaux, publics et privés, on aurait pu limiter ce désastre. Les quelque vingt pour cent de Français qui ont élu Macron, faute de mieux et pour éviter le pire, ont élu un jeune banquier sans expérience politique et nous le payons, tant en politique intérieure que dans les relations internationales, gérées par des enfantillages d’une personnalité clivante. Le Figaro publiait l’autre jour un article relatant le désarroi du Rassemblement national, dépossédé de ses idées par la classe politique au pouvoir. Je n’ai envie d’accabler personne, nous sommes assez accablés. Mais voilà où nous en sommes. Dans cette situation incertaine, le mieux est de garder au maximum nos forces, afin d’être en état de nous en servir, personnellement ou collectivement, quand nous serons au moins débarrassés de la pandémie.

Depuis que je me suis mise à la course, il y a quelques semaines, j’ai triplé ou quadruplé la (petite) distance sur laquelle je cours avant d’alterner avec des temps de marche. Faire du sport est plus que jamais capital pour nous maintenir en forme, physiquement mais aussi mentalement. Je compatis avec les jeunes, si pleins de vitalité et privés d’activité, surtout en ville. Ils ont besoin de beaucoup de courage dans le monde actuel.

Alain Rey est mort, et je me rappelle que la première chose que j’ai faite, dès que j’ai eu ma première avance de droits d’auteur sur mon premier roman, a été d’acheter un vélo pour chacun de mes deux fils, puis pour moi le Grand Robert. J’avais toujours été pauvre, et c’était le trésor le plus luxueux que j’avais jamais eu. Pour ainsi dire, je n’en revenais pas de l’avoir. Et donc je le devais en bonne part à Alain Rey, dont le nom est d’ailleurs presque l’anagramme du mien. Je ne l’ai plus – j’ai dû le laisser lors du dernier déménagement – mais j’ai toujours un Petit Robert, un trésor aussi.

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à bientôt pour la suite de l’Odyssée, la fin du Chant II

Odyssée, Chant II, v. 296-339 (ma traduction)

"Mystery of Life", acrylique sur bois 74x46 cm

« Mystery of Life », acrylique sur bois 74×46 cm

Je propose un nouveau dicton : « Guerre » au printemps, « couvre-feu » à l’automne. Guerre contre quoi, contre qui ? That is the question. Mais attention aux feux qui couvent.

Aujourd’hui nous assistons à un dernier échange entre quelques-uns des perfides prétendants et Télémaque, puis ce dernier descend au cellier d’Ulysse, espèce de haute caverne d’Ali Baba. Nous verrons la prochaine fois les préparatifs avant le départ du jeune homme devenu « grand », comme il dit, avec son langage parfois encore enfantin.
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Ainsi parle Athéna, fille de Zeus. Et Télémaque
Ne s’attarde pas, une fois entendue la voix
De la déesse. Il s’en va au palais, le cœur attristé,
Trouve dans la demeure les prétendants arrogants.
Antinoüs en riant vient droit sur Télémaque,
Lui saisit la main et lui dit, l’appelant par son nom :

« Télémaque, fort en gueule, âme insupportable, cesse
D’exercer ton cœur aux paroles et aux actes mauvais,
Viens plutôt avec moi manger et boire comme avant !
Les Achéens vont s’occuper d’absolument tout pour toi :
Du bateau et des rameurs que tu demandes pour partir
Au plus vite à Pylos t’informer sur ton aimable père. »

Ainsi lui répond à haute voix le sage Télémaque :

« Antinoüs, je ne peux plus, avec vous les orgueilleux,
Sans rien dire manger et tranquillement m’amuser.
N’est-ce pas assez d’avoir déjà dévoré mes précieux
Et nombreux biens, prétendants, quand j’étais encore enfant ?
Mais maintenant je suis grand, j’ai écouté la parole
D’autres gens, j’ai appris, et la colère en moi a grandi.
Et je vais donc tenter de vous lancer le mauvais sort –
Que j’aille à Pylos ou que je reste ici dans le peuple.
Mais je n’annonce pas ce voyage en vain : je serai
Passager sur un bateau, n’ayant moi-même ni nef
Ni rameurs, puisque cela vous paraît plus avantageux. »

Ainsi dit-il, et d’un geste aisé retire sa main
De celle d’Antinoüs. Les prétendants dans la maison
Préparent le repas et lui adressent railleries
Et injures. L’un de ces jeunes arrogants lui dit :

« Oui, certes, Télémaque médite de nous tuer !
Il ramènera des secours de Pylos la sablonneuse
Ou bien de Sparte, puisqu’il le désire terriblement !
À moins qu’il ne veuille aller à Éphyra aux fertiles
Terres, afin d’en rapporter des poisons mortels
Qu’il versera dans nos cratères pour nous tuer tous ! »

Un autre de ces jeunes arrogants lui dit :

« Qui sait ? Une fois parti loin de ses proches, sur sa nef
Creuse, peut-être mourra-t-il après avoir, tel Ulysse,
Erré ? Voilà qui accroîtrait encore notre fatigue :
Il nous faudrait partager toute sa fortune, puis donner
La maison à sa mère et à celui qu’elle épouserait ! »

Ainsi parlent-ils, et Télémaque descend dans les hautes
Et vastes réserves de son père, où s’amoncellent l’or,
L’airain, des coffres pleins de linge, des huiles parfumées…

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le texte grec est ici
le premier chant entier dans ma traduction
à suivre !