Odyssée, Chant I, v.213-220 (ma traduction)

"Wood Spirit", acrylique sur bois 40x89 cm, peinture que j'ai terminée aujourd'hui

« Wood Spirit », acrylique sur bois 40×89 cm, peinture que j’ai terminée aujourd’hui

La brève et percutante réponse de Télémaque à Athéna, qui lui a demandé s’il était bien le fils d’Ulysse, me rappelle un passage d’un roman de Hermann Hesse. Jusqu’à l’invention des tests ADN, ce devait être un motif d’inquiétude pour les hommes que de ne pouvoir être sûrs de leur paternité, d’où sans doute la tentation d’enfermer les femmes et la société patriarcale. Il y a dans Siddharta l’histoire d’un sage ermite à qui une jeune femme apporte un jour un petit enfant ou bébé en prétendant qu’il en est le père et en exigeant qu’il l’élève. L’ermite ne connaît pas cette femme, n’a jamais couché avec elle, mais il accepte l’enfant sans rien dire et l’élève, puisque le destin le lui envoie. Quand l’enfant est adolescent, la femme revient et réclame son fils, en disant haut et fort que l’ermite n’a aucun droit sur lui puisqu’il n’est pas son père. Et l’ermite laisse partir le jeune homme sans protester.
Y voir une leçon de fatalisme serait réducteur. Ce que j’y vois, moi, c’est qu’un être humain, même tout petit enfant, n’appartient à personne, ni à sa mère ni à son père biologiques ou adoptifs ; mais qu’il appartient à tout être humain de prendre soin, dans la mesure du possible, de tout enfant, voire de tout être humain qui en a besoin. C’est ce que fait Athéna auprès d’Ulysse et de Télémaque, en tout respect de ce qu’ils sont. La réponse de Télémaque ne dit-elle pas aussi que la seule chose sûre, c’est d’être soi-même ? En ce siècle où de nouveaux problèmes de filiation apparaissent (PMA, GPA, parents transgenres…), l’éthique ne doit-elle pas réaffirmer prioritairement qu’aucun être humain ne peut en posséder un autre, adulte ou enfant ?
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Ainsi lui dit à haute voix le prudent Télémaque :

« Je te répondrai en toute franchise, étranger.
Ma mère m’a bien dit que j’étais fils d’Ulysse, mais moi
Je n’en sais rien. Car nul ne peut savoir qui est son père.
Comme je préférerais être le fils d’un homme
Heureux, que la vieillesse atteint au milieu de ses biens !
Mais c’est du plus infortuné des mortels que je suis né,
Me dit-on : voilà la réponse à ta question. »

le texte grec est ici
à suivre !

Mind in and out of the Shell ; des pensées pour réinventer la vie

mind in and out of the shell 1-min

mind in and out of the shell 2-min

mind in and out of the shell 3-min

mind in and out of the shell 4-min
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chasse spirituelle 1-minJ’ai fini de repeindre ce grand panneau de bois (1,38 x 88 cm) trouvé un jour dans la rue devant la Sorbonne Nouvelle – visiblement un tableau de cours délesté de son ardoise. Je l’ai intitulé « Mind in and out of the Shell », ce que les lecteurs de mon livre La Chasse spirituelle comprendront mieux. J’ai d’ailleurs reçu le livre en format papier aujourd’hui, j’en suis très contente, il est beau et bien fait, agréable à tenir et à feuilleter. Pas de titre ni de nom d’auteur en couverture.

chasse spirituelle 2-min
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Avec une pensée pour l’anthropologue David Graeber, qui vient de mourir. J’étais allée l’écouter il y a deux ans au Collège de France, je ne l’ai jamais lu mais je sais que ses travaux sont très importants, notamment sur la dette et sur les « bullshit jobs ». Il continuera à inspirer beaucoup de ceux qui travaillent à changer tout ce qui est mortifère en ce monde.

Peinture peinture

Work in progress, détail

Work in progress, détail

Je continue à peindre mon grand panneau (1,40 m) et il est de plus en plus beau, c’est exaltant. La peinture monte de la surface comme un univers en formation, voilà ce que j’éprouve. Les couleurs vivent, s’associent, se mêlent, jouent, le tableau évolue et chaque fois que je me relève, les jambes raidies à force de peindre assise en tailleur par terre, je vois un peu plus de beauté et encore autre chose à faire, qui m’appelle. Et puis aujourd’hui j’ai aussi repeint la fenêtre et la porte de la salle de bains, en framboise qui éclate bien sur le blanc passé hier par O des murs au plafond. Ensuite nous avons tout nettoyé et remis en place, les petits meubles de rangement en osier, les tableaux sur les murs, et quelque chose en plus que nous sommes allés chercher sur l’idée géniale d’O : un palmier (un grand dracaena, dragonnier). Faire de son chez-soi une œuvre d’art et une maison vivante, c’est possible même sans moyens. Tout peut être transformé en art et en cœur battant.

wip 6-min

Ils étaient dix, et Jacob Blake, et yoga

Work in progress, détail

Work in progress, détail

Ils étaient dix. Ce sera désormais le titre du roman d’Agatha Christie Dix petits nègres. Que diraient ceux qui s’en émeuvent si le roman s’était intitulé par exemple Dix petits youpins et qu’on décidait en conséquence d’en changer le titre ? Le fait est que le terme nègre est devenu aussi insultant que d’autres appellations stigmatisantes de telle ou telle catégorie des populations ; le fait est également que nous sommes devenus plus sensibles à la stigmatisation raciale ou de genre, et qu’en conséquence nous évitons de la reproduire. Je n’y vois que du bon. Et j’aimerais mieux voir ceux qui s’indignent contre ce changement de titre s’indigner contre le énième assassinat d’un Noir par la police : Jacob Blake, 29 ans, innocent, très grièvement blessé et paralysé après s’être fait tirer dans le dos à bout portant, sept fois, alors qu’il regagnait tranquillement sa voiture où l’attendaient ses enfants. J’ai vu sur les réseaux sociaux des vidéos où la police américaine était confrontée à des Blancs violents et très menaçants et faisait tout pour apaiser la situation. Ceux qui voient dans certains humains des « petits nègres » ne voient pas leur humanité et les tuent sans état d’âme. Les mots agissent sur l’état des âmes, en bien ou en mal.

Publier en cette rentrée littéraire un livre intitulé Yoga pour raconter la dépression et la folie alors que le yoga est défini comme « l’arrêt des perturbations mentales » (Patanjali), c’est piétiner une pensée comme dire nègre est piétiner une humanité. Or les attaques contre la pensée sont aussi des attaques contre l’humanité – ce que les évangiles appellent « péché contre l’esprit », le seul, dit Jésus, qui soit impardonnable. Et il y a aussi un racisme, caché, dans le fait de piétiner cette pensée indienne que le vieux mâle blanc s’imagine maîtriser comme il s’imagine maîtriser le monde – alors qu’il s’avère en fait n’y avoir rien compris ni rien appris.

Art Récup’ en peinture et écriture, mise en abîme

wip-min

paris 5 1-min

paris 5 2-min

paris 13 1-min

paris 13 2-min
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Je travaille à l’édition de mon livre papier, je refais la mise en page, c’est assez long. Je continue à peindre mon grand panneau trouvé dans la rue, un tableau de classe sans son ardoise – je l’avais trouvé devant la Sorbonne nouvelle. Je peins sur le bois, ou plutôt sur la peinture puisque je le repeins après l’avoir peint une première fois il y a quelques années, en fait. Un mise en abîme de la récup’.

Je tiens beaucoup au principe du recyclage, de l’art récup’. C’est ce que je fais aussi avec mes textes ces dernières années, en les recyclant du blog ou d’autres brouillons à des ensembles entiers sous forme de livres que je peux aussi récupérer de nouveau en les dépubliant et en les republiant, grâce à l’édition électronique. Mon dernier livre, Une chasse spirituelle, est une récup’ puissance je ne sais combien. J’y ai récupéré de grands passages de Voyage, livre papier autoédité dont j’ai distribué les dizaines d’exemplaires qui me restaient dans des boîtes à livres afin de l’épuiser ; l’essentiel de ma thèse de Littérature comparée ; et puis une myriade de textes de tout un tas d’auteurs que je cite, analyse ou traduis. Et le mode de publication que j’ai choisi, ebook et impression à la demande, me permettra de le reprendre encore pour l’augmenter si je le souhaite (que ce soit sur Amazon comme pour le moment ou sur un autre site d’édition en ligne et à la demande, le mien ou un autre). Je suis très contente d’expérimenter ce mode de publication, même si pour l’instant il ne touche pas un grand public ; ce qu’on met en ligne a une autre durée de vie que les livres qu’il faut vendre très vite en librairie avant qu’ils ne doivent laisser la place à d’autres. Comme pour un blog, c’est sur la durée que le lectorat se multiplie, et il n’y a pas de limites à cette possibilité de multiplication, il suffit de ne pas être pressé. Pourquoi serait-on pressé, quand on écrit quelque chose qui doit durer ? J’ai toute confiance en mon travail.

Work in progress, détail ; et aujourd’hui dans les rues de Paris 5e et 13e après la pluie, photos Alina Reyes