Manger le ciel

En fait ce sont huit pages par jour que j’ai écrites, les trois premiers jours (plus de 36000 signes, j’aime bien ce chiffre). Je continue, en beauté. La poésie ne veut pas me lâcher, ma foi je la laisse faire. Qui a jamais lu une chose pareille ? Je ne crie pas, dans mon euphorie, à mon génie, mais à la merveille qui fait que nous soyons chacun unique, et par là même universels. Comme la lumière est belle ! Vive le printemps ! La nuit quand je dors, le matin quand je sommeille encore un peu, je me vois en train de peindre, c’est-à-dire je vois la peinture en train de se faire, sur du bois, non des tableaux finis mais des peintures en cours, dans leurs détails vivement colorés où je marche comme sur un chemin. Ah il faudrait mille vies. Mais après tout nous les avons, et bien davantage encore.

Bonheur

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Paris vu du musée d’Orsay, hier, photo Alina Reyes

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Trois journées d’écriture – vendredi, samedi, lundi – plus de six pages par jour, un jeu d’enfant. Mon petit érotique sera bientôt au point, bien qu’il ne soit pas si simple de se renouveler là où l’on a tant donné. C’est aussi le sentiment d’avoir dit tout ce que j’avais à dire dans tous les genres où j’ai écrit qui m’a fait passer à la peinture. Mais après tout, vient du nouveau. Comme lors de l’écriture de Francis K, sentiment d’être en pleine possession de mes moyens. Le temps de la maturité, que je prévoyais dès que j’ai commencé à écrire, est arrivé. Maintenant je peux m’attendre à voir venir un nouveau grand roman – je dis roman car c’est un genre qui peut comprendre tous les genres à mon sens, et j’aime œuvrer dans tous les genres. La peinture m’attend aussi, comme la vie, l’illumination du monde (et je suis extrêmement heureuse). Belle et bonne journée à vous !

Chair à couleur. Van Gogh/Artaud au musée d’Orsay, Doré, d’autres

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au musée d’Orsay cet après-midi, photo Alina Reyes

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Ses chemins sont des rivières, ses arbres des danseuses, ses ciels des océans, ses fleurs des éclaboussures, ses champs des peuples en mouvement, ses bâtiments des grand-parents assis, ses personnages des bouts de peinture, ses visages de la chair à couleur. Tout va et va dans chaque tableau, et chaque tableau est en train de sortir de lui-même, tandis que vous-même êtes happés par le tableau, l’incroyable puissance vitale du peintre.

Avant-hier Auvers-sur-Oise, aujourd’hui le musée d’Orsay. Le génie de Van Gogh au long d’une belle exposition rassemblant de nombreuses œuvres prêtées, et notamment les autoportraits, avec la compagnie splendide d’Artaud. Malgré le monde, on a le temps et la place de contempler, les peintures sont bien accrochées et éclairées, il me semble que Vincent aurait été content. Les extraits du très beau texte d’Artaud sont plutôt bien choisis, mais l’essentiel c’est qu’il soit là, sa présence manifestée aussi par la voix d’Alain Cuny le lisant sur la vidéo du Champ de blé aux corbeaux, et puis l’espace qui lui est consacré, avec une planche contact de portraits de lui à l’époque de la rédaction de son Van Gogh le Suicidé de la société, une vidéo de ses apparitions au cinéma qui fait résonner sa voix, et aussi quelques-uns de ses dessins, notamment des autoportraits, à travers lesquels j’ai vu une proximité avec Basquiat, comme en troisième pièce d’une fraternité d’âmes très singulières dans l’art et le temps.

Devant l’une des toiles de Vincent, j’ai entendu une grande bourgeoise qui accompagnait un vieux et fameux plagiaire lui dire, vraisemblablement en réponse à une remarque qu’il avait faite : « c’est peut-être parce que nous, nous le regardons avec un esprit sain ». Mais la vérité est que, comme l’a dit Artaud, Van Gogh est très sain, très lucide, plus sain que ceux qui le croient fou. Dans l’œuvre intitulée « Le fauteuil de Gauguin », voici ce que j’ai vu : dans sa chambre d’Arles, l’humble Vincent n’a que deux petites chaises de paille. Mais Gauguin, lui, trône dans un fauteuil. Un fauteuil rouge chair, dans lequel est posée une bougie allumée, comme si Van Gogh se disait que Gauguin avait un peu trop le feu aux fesses. Et qu’à cause de cela, il a peint en bleu froid les barreaux qui lui font face, afin que cette sorte de feu soit tenue à distance. Et peut-être cela signifie-t-il aussi que Gauguin était en vérité glacé, glaçant.

Nous avons visité aussi l’exposition Gustave Doré. Ses dessins fascinants, novateurs – plus d’une planche de Bilal en semble directement issue, mais son influence notamment au cinéma est toujours vivante, comme le montrent des vidéos. Ses peintures, que l’on connaît moins, m’ont fait penser à ces fresques ou figures géantes réalisées par des street artists, ce qui s’accorde bien avec son esprit d’illustrateur – notamment dans une toile intitulée Les mendiants de Burgos, qui m’a évoqué, plutôt qu’un mur devant lequel se tiennent des personnages, un mur sur lequel auraient été tagués des pochoirs de personnages.

Avant de repartir nous sommes allés revoir les impressionnistes. Même les plus forts, Manet, Cézanne, Gauguin, Monet, et tous les autres que j’aime (sauf Renoir, avec ses couleurs horribles qui m’obligent à détourner le regard), ne possèdent pas l’extraordinaire singularité de Vincent van Gogh.

Being 777, un air plane, d’apocalypse, et Vincent vit

Le prochain érotique avance, il sera terminé dans quelques jours, je pourrai me remettre à la peinture et à d’autres écritures, notamment ici. Car c’est par elles que je peux parler, dire.

Dans une vieille vidéo de l’INA, on entend une journaliste dire à Vincent van Gogh, neveu du peintre : « Votre père, Théo, a reçu une énorme correspondance de son frère. Il écrivait souvent ? »

La subtilisation, la captation, la réduction, faites ou en projet, des tapisseries à la licorne et de la grotte de Lourdes, sont des actions gnostiques au mauvais sens du terme, occultes, tendant à détourner les hommes de la lumière en incitant à un esprit sectaire. Pour ma part, n’ayant peur ni de la corne ni de la grotte, je continue à ouvrir des portes.

Il se pourrait fort bien que ce soit Gauguin qui ait coupé l’oreille de Vincent van Gogh lors de leur dispute, et que plus tard ce soit deux chenapans qui lui aient tiré dessus, accidentellement ou non. Van Gogh ne s’est pas suicidé. La société l’a fait, comme dit Artaud, et les dernières études biographiques suggèrent que ce pourrait être par le bras de ces jeunes hommes de la bonne bourgeoisie qui s’amusaient à le harceler. Vincent s’est tu, mais il a dit que sa peinture parlerait pour lui. Elle parle, ses champs de blé survolés de corbeaux parlent. Et il vit, il fait rayonner la vie dans le monde.

Une journée à Auvers-sur-Oise chez Vincent van Gogh

champ de ble aux corbeaux

L'église_d'Auvers-sur-Oise

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Ici il y avait une photo de la chambre de Vincent Van Gogh. Je la retire, ayant reçu une sommation du « Conseil de l’Institut Van Gogh à Auvers-sur-Oise » me menaçant de « saisir les tribunaux » si je persistais dans ce crime, laisser une photo de la chambre de Van Gogh sur mon site, alors que je n’en détiens pas les droits.

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Si vous y allez, ne manquez pas, juste à côté de la gare, la grande librairie d’occasion dans des wagons

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aujourd’hui à Auvers-sur-Oise, photos Alina Reyes

L’Ordre invisible est en marche

Après la publication de mon livre sur Lourdes, la première personne de l’Église que j’ai rencontrée, sur sa demande, fut un laïc chargé d’importantes responsabilités dans les Sanctuaires de la ville pyrénéenne. Et la première chose qu’il m’a racontée fut qu’il avait aidé une prostituée à sortir de son état, et qu’elle était finalement devenue nonne. Ceci pour faire le parallèle avec ma situation. Je lui ai fait remarquer que je n’étais pas une prostituée. Que l’écrivain travaillait dans le sens de la libération des hommes, et non dans celui de leur asservissement.

Puis je fus invitée à participer à un débat dans les Sanctuaires, organisé par le magazine catholique Pèlerin. Le rédacteur en chef du magazine, en me présentant au public, dit : « Avec l’argent de votre premier roman, vous l’avouez, vous avez acheté une grange en montagne, près d’ici ». Comme si j’avais commis là quelque péché.

Je me pliai à des séances de signatures à la librairie des Sanctuaires. Je le faisais avec joie, mais une journaliste d’un grand quotidien national en reportage pour le cent cinquantième anniversaire des Apparitions me demanda ce que faisait là un auteur de mon niveau. Elle ne pensait pas du tout au caractère érotique d’une grande partie de mon œuvre, mais au fait que ma stature impliquait que je me livrais là à un abaissement.

Pendant plus d’une année, je continuai à aller à la rencontre du peuple catholique en me déplaçant un peu partout en France dans des librairies ou autres lieux où je pouvais prendre la parole et échanger avec les gens. Je constatai que beaucoup affrontaient des problèmes personnels et familiaux énormes (touchant notamment leurs enfants), qu’ils me confiaient. Alors que d’autres, ceux qui avaient l’air les plus atteints et les plus rigides, ne me confiaient rien mais me disaient que j’étais une Marie Madeleine. Ce qui selon eux signifiait : une prostituée sauvée par le Christ. (Notons que les Évangiles ne disent jamais que Marie de Magdala était une prostituée, mais c’est quelque chose qui les tient).

Plus tard, une journaliste du magazine Famille chrétienne vint me voir à Barèges, où j’étais en ermitage dans ma grange. Je l’invitai à déjeuner et j’essayai de lui expliquer ma démarche et ma pensée, bien qu’elle fût beaucoup sur la défensive, avec une certaine rigidité que j’avais déjà rencontrée chez une autre journaliste d’un autre magazine chrétien, La Vie, qui m’avait interviewée au début. Comme cela avait été le cas avec cette dernière, je m’attendais bien à un article mitigé, méfiant. Mais je n’avais pas imaginé qu’elle irait jusqu’à falsifier mes propos, me faisant dire de moi-même que j’étais une pécheresse. Bien évidemment j’ai toujours pris soin de récuser ce terme. Non que je prétende ne pas être comme le commun des mortels. Mais je refusais absolument d’être cette icône de la prostituée repentante qu’ils voulaient faire de moi. Je le refusais par respect de ma propre dignité, qu’ils bafouaient sans gêne, mais aussi et surtout pour eux, pour leur faire prendre conscience de la mauvaiseté de leurs schémas et de leur aveuglement.

Toute l’histoire du rapport de l’Église à mon égard est fondée sur cette obsession de la pécheresse qui habite leur tête malade. Je suis une femme libre qui ne s’est jamais fait entretenir par personne, qui a toujours refusé les rapports d’intérêts avec les gens, et notamment avec les hommes, qui sais vivre avec ou sans argent, qui n’est inféodée ni à des institutions ni à des systèmes de pensée. J’ai mis au monde et élevé quatre enfants, tous épanouis. Voyant la misère de beaucoup de ces catholiques qui se confiaient à moi, j’ai voulu les aider à en sortir, car c’est tout simplement ma fonction d’écrivain – et ma liberté, je la dois aussi aux écrivains purs que j’ai lus. Mais beaucoup dans l’Église n’avaient en tête que leur obsession de la pécheresse, qu’ils prétendaient rééduquer – alors que bien sûr ils ne trahissaient ainsi que leur propre asservissement.

C’est en grande partie pourquoi je ne pus jamais les faire sortir du système de rapports souterrains et pour le moins malhonnête, et même abusif, qu’ils avaient établi, fût-il établi à la vue de beaucoup. Jusqu’au bout il leur a fallu surveiller indûment, biaiser, mentir, m’envoyer des émissaires sans dire qu’ils étaient des émissaires, des porteurs de message sans me dire qu’ils ne me parlaient pas en leur nom propre, m’approcher par la trahison, ne jamais assumer en haut lieu ce qui était fait. Ils se seraient fait prendre la vie, ils auraient laissé couler l’Église plutôt que d’accepter un rapport honnête et franc, un rapport d’homme à homme, d’égal à égal. Tout cela bien sûr en contradiction absolue avec le message du Christ.

J’ai tout sacrifié pendant des années pour les sortir de là. J’ai perdu mes moyens de subsistance – la capacité à publier dans l’édition et dans la presse – et ils comptaient aussi là-dessus pour me plier à leur façon de faire. J’ai dû vendre mon seul bien, ma grange en montagne. Et maintenant le petit revenu que j’en ai tiré est épuisé, et je reprends ma vie sans eux. Honnête et franche. Car on ne fait rien pour le salut du monde par des moyens malhonnêtes. Et un seul homme qui tout simplement vit honnêtement fait plus que toute une église vivant d’un discours séduisant mais malhonnête. Je suis l’un de ces Pèlerins prophétisés dans Voyage parce que comme d’autres je l’ai toujours été, et nous continuons, Ordre pour l’instant invisible, à œuvrer.