Il arrive aux Ajax, en traversant les guerriers en masse ;
Une nuée de fantassins les suit, ils passent leurs armes.
Comme un chevrier, du haut d’un rocher, perçoit un nuage
Arrivant sur la mer au souffle du Zéphyr, et le voit
Apparaître de loin plus noir encore que la poix,
Avançant sur la mer, amenant une forte tempête –
Tremblant à sa vue, il pousse dans une grotte ses bêtes ;
Ainsi avec les Ajax s’avancent au ruineux combat
De robustes nourrissons de Zeus en bataillons serrés,
Sombres, hérissés de lances et de boucliers.
Mes traductions
sans rival parmi les mortels (Iliade, III, v. 217-224, ma traduction)
Il restait là, debout, les yeux baissés, fixés à terre,
Sans mouvoir son sceptre ni en avant ni en arrière,
Le tenant immobile, avec comme un air stupide ;
Il semblait être en colère, ou avoir perdu la tête.
Mais quand sa grande voix sortait de sa poitrine,
Avec des mots pareils à des flocons de neige en hiver,
Aucun mortel avec Dévor ne pouvait rivaliser,
Et ce que nous admirions en lui n’était plus sa beauté.
Le catalogue des vaisseaux
« L’illustre Hippodamie sous Piritoos le conçut,
Le jour où ce dernier punit les Monstres velus. »
Homère, Iliade, II, 742-743 (ma traduction)
Comment ne pas être absolument réjouie en traduisant Homère ? J’en suis au fameux « catalogue des vaisseaux », où le poète expose, en centaines de vers, les forces grecques et troyennes en présence. Comme tout catalogue, fût-il signé d’Homère, ce n’est sans doute pas le plus intéressant à traduire, et pourtant il recèle d’innombrables perles. Et je lui accorde le même soin qu’au reste du poème, et je m’en réjouis autant.
Par ailleurs ce catalogue des vivants me rappelle celui des morts, que j’ai traduit dans l’Odyssée, lors de la descente aux enfers ; il s’agissait là de quelques dizaines de vers seulement, et l’exposé était différent, mais entre les deux on peut voir une béance, qui est celle de l’histoire, que pourraient résumer ces deux vers plus haut cités.
J’aurai terminé de traduire ce long deuxième chant ce soir ou demain matin. Je me sens comme ces chefs tirant sur l’eau une longue suite de vaisseaux, et ces vaisseaux sont des mots.
Athéna guerrière : Iliade, II, 445-458 (ma traduction)
Autour de l’Atride, les rois nourrissons de Zeus s’élancent
Pour ranger les hommes, avec Athéna aux yeux brillants,
Portant la précieuse égide, incorruptible et immortelle,
Dont les cent franges toutes d’or voltigent dans le vent,
Bien tressées et valant cent bœufs, chacune d’elles ;
Apparaissant soudainement, elle parcourt les rangs,
Les poussant à marcher ; dans chaque torse, la déesse
Fait se lever le cœur de combattre et lutter sans trêve.
Et tout d’un coup, leur devient plus douce la guerre
Que le retour, sur les nefs creuses, au pays de leurs pères.
Comme un feu aveuglant consume une immense forêt
Au sommet d’une montagne, et qu’au loin brille sa lumière,
Ainsi dans leur avancée l’éblouissante clarté
De l’airain merveilleux monte au ciel à travers l’éther.
*
La beauté terrible de l’Iliade remplit d’indicible.
Virgile et Lucifer
« Dis les vers du Ménale, ma flûte, avec moi.
Le Ménale a ses forêts et ses pins qui parlent,
Toujours, il écoute les amours des bergers,
Et Pan, qui fit parler les roseaux en premier.
Dis avec moi, ma flûte, les vers du Ménale. »
Bucoliques, VIII, 21-25
Un chant à la tonalité sombre, que j’ai commencé à traduire hier et fini ce matin. L’enchanteur Virgile connaît aussi les forces obscures et les égarements morbides de l’esprit et de ce qu’on nomme parfois l’amour. Poète total, comme tout vrai poète. Chant d’envoûtement, d’encerclement, aux refrains obsédants, placé sous le signe de Lucifer, qui est en latin le nom de l’étoile du matin, « porteuse de lumière », autrement nommée Vénus, mais qui a bien ici la tonalité maladivement ambiguë que nous connaissons à l’adjectif luciférien.
Ne me reste plus qu’à traduire les deux derniers chants pour avoir une vue d’ensemble du tableau saisissant peint par Virgile dans cette œuvre plus complexe qu’il ne pourrait y paraître.