Dans la nuit du divin

PHO2b66fff6-602c-11e4-8f16-c968e96369b4-805x453crédit photo : INAH

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Un jour, invitée à faire une intervention poétique dans la grotte de Gargas, j’ai inventé sur place (et le lendemain écrit) que les peintures pariétales préhistoriques figuraient un ciel nocturne, avec son bestiaire, dans le noir des grottes. Une scientifique a essayé de démontrer que Lascaux représentait les constellations à telle période de l’année. Mais son livre ne fut pas convaincant, car la vérité du poète a lieu dans un tout autre univers. Celui de l’homme total, de l’univers total.

Aujourd’hui je lis ceci, à propos d’une grande découverte dans la cité pré-aztèque de Teotihuacan :

«Cette voie courait au niveau de la nappe phréatique parce que selon les mythes, l’inframonde a sa propre géographie métaphorique: ses rivières, ses montagnes, ses lacs et même son propre ciel», a expliqué le scientifique. Son équipe a relevé sur «les murs et les voûtes du tunnel une poudre d’un minéral métallique, fait d’hématite et de magnétite, ce qui révèle qu’on y entrait avec des torches et que tout s’illuminait comme un ciel d’étoiles scintillantes».

Art pariétal, Livre saint

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« Nous avons assigné un oiseau sur la nuque de chaque homme, et au Jour du Jugement nous lui produirons un livre qu’il trouvera déployé. » Coran, sourate Le Voyage nocturne, verset 13.

 Image : dans la grotte de Lascaux.

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images : main négative dans la plus ancienne grotte peinte, en Indonésie

et fresque du Christ descendu aux enfers ressusciter les morts, à Saint-Sauveur- in-Chora, à Istanbul

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Les dessins et les signes peints ou gravés dans les grottes préhistoriques sont les Écritures saintes avant la lettre de nos ancêtres.

Le Seigneur des mondes et ses prophètes, chamanes

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En lisant Jean Clottes, et les témoignages de chamanes ou d’autres personnes qui continuent aujourd’hui, un peu partout dans le monde, à pratiquer le chamanisme notamment sur les sites de peintures rupestres, préhistoriques ou contemporains, la mauvaise foi de ceux qui nient le lien entre art paléolithique et chamanisme éclate. J’ai longtemps pensé qu’elle était le fait de l’athéisme farouche d’une grande partie de la communauté scientifique, mais il m’apparaît aussi maintenant que cet athéisme est l’enfant du christianisme, de ce christianisme qui par pudibonderie rejeta et rejette, combattit et combat, tout ce qui est de l’ordre de la nature. Parce que le christianisme, ou du moins le catholicisme, en réduisant Dieu à l’homme, a complètement perdu de vue ce qu’est Dieu, et ce qu’est sa création. La nature est la création vivante de Dieu (un fait que les chamanes n’ignorent pas, au contraire, puisque selon eux tout est lié et interagissant, tout est rapport dans l’unique et fluide réel du Dieu créateur), et la nature est bien plus que ce que nous en voyons avec nos yeux de chair. En réduisant Dieu à l’homme, le christianisme, et sa conséquence l’athéisme, ont réduit le monde, l’ont enfermé dans des limites qu’il n’a pas. La nature est le réel, et le réel est le spirituel, le transcendant, l’éternellement vivant. Jésus apaisant la tempête, guérissant les malades, chassant les démons, communiquant avec les esprits des ancêtres Moïse et Élie, se transfigurant, passant librement du monde des vivants à celui des morts et en revenant, n’est-il pas le chamane total ? Dieu ne se réduit pas au monde de l’homme, au monde « humain, trop humain » comme dit Nietzsche. Dieu est le Seigneur des mondes, comme dit le Coran.

Le Messie et ses saints

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île Solovki, image trouvée dans l’article : Les lieux de pèlerinage les plus emblématiques de la Russie

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Le christianisme n’est pas, comme le croient les chrétiens, la religion de la Trinité – concept théologique, vue de l’esprit. Il est, comme son nom l’indique, la religion du Messie (Christ, en grec). C’est-à-dire une religion eschatologique, comme le judaïsme et l’islam – toute proche du judaïsme avec son messie juif, bien que les juifs ne le reconnaissent pas, et toute proche de l’islam qui reconnaît la messianité de Jésus.

Que signifie : être la religion du Messie ? Être la religion qui produit des saints messianiques, pour supporter le monde en attendant l’arrivée messianique finale, et soutenir de leur présence, comme les anges, toute prière adressée au Dieu unique.

En dérivant de plus en plus, en fonction du dogme trinitaire, vers l’humanisme sans mystique, le christianisme s’est coupé du Christ. L’effusion sentimentale ou hystérique a remplacé la mystique ; la désillusion, le pragmatisme et la peur ont supplanté la compréhension du mystère. Si le christianisme égaré ne retrouve pas le chemin du Messie, il s’éteindra. Et ressuscitera sous une nouvelle forme avec le retour du Messie parmi les hommes, et notamment les croyants des religions qui, telles les vierges sages de la parabole, auront gardé le sens de l’au-delà.

La peur de la vie

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tout à l’heure au Jardin des Plantes

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À l’occasion de la publication de ses Cahiers noirs, on reparle de Heidegger. Dommage qu’il y ait besoin de découvrir son antisémitisme écrit noir sur blanc pour le critiquer, sans se rendre compte que le fond de sa pensée est morbide, extrêmement dangereux, nihiliste. D’ailleurs le sionisme la rejoint tout à fait, dans le sens où la hantise de Heidegger, c’est le nomadisme, et son idole, la terre. Et les nationalismes, les impérialismes quels qu’ils soient, y compris islamistes, tiennent de la même hantise morbide de contrôle.

Le nomade échappe à l’ordre bourgeois, il n’est pas assis, il a très peu de biens, il est en mouvement, il est insaisissable. Ce n’est pas pour rien que Dieu a été inventé (découvert) par les Hébreux, un peuple nomade. Ce n’est pas pour rien que Jésus marchait tout le temps. Ce n’est pas pour rien que Dieu a trouvé son dernier prophète en Mohammed, au milieu des tribus nomades. Dieu se trouve dans les traces de pas, les écritures qui vont et viennent ; non dans les tours de Babel, les constructions pharaoniques, qu’elles soient de béton ou de pensée. Quel énorme réseau de parole a dû tisser Heidegger pour essayer d’y prendre Dieu, de le neutraliser. Aussi énorme que sa peur, et celle de ses suiveurs. Et bien sûr il n’y a là rien à récolter, sinon la mort.