Mystique et résurrection

tout à l'heure à Paris, photos Alina Reyes

 

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« L’âme retire de cette oraison et de cette union une extrême tendresse, si bien qu’elle voudrait fondre, non de douleur, mais en larmes de joie. Elle en est baignée tout entière sans l’avoir senti et ne sait ni quand ni comment elle les a versées, mais elle éprouve une grande délectation en voyant que ce feu ardent a été apaisé par une eau qui l’augmente encore. On dirait de l’arabe, mais c’est ainsi. » Sainte Thérèse d’Avila.

Si elle avait voulu seulement dire : c’est incompréhensible, elle aurait pu dire : c’est du chinois. Seulement, cela dépasse l’imagination, c’est divinement exquis, comme la substance même d’une langue sémitique, et spécialement donc de l’arabe, cette langue du Coran qui déchire tout cœur qui l’entend appeler à la prière. Si les mystiques chrétiens espagnols ont pu être inspirés par le soufisme, c’est que le soufisme vient comme un jus du Coran, lequel, contrairement à ce qu’on croit souvent, est tout entier mystique, dans sa substance même, sa langue, dans laquelle Dieu vit et bouge comme un nourrisson.

L’islam est par essence mystique. C’est à méconnaître cela qu’on l’égare parfois. La soumission à Dieu est mystique. Toute la vie de Mohammed est mystique. C’est pour cela que dans le Coran la miséricorde de Dieu annule le péché originel (dont est exempte Marie, par exception, dans le catholicisme, du fait d’avoir donné naissance au Verbe de Dieu). Les musulmans aiment l’idée de pleurer en priant, des vidéos très populaires le montrent, ils y trouvent comme la sainte espagnole « une grande délectation ». Délectation qui n’a rien de morose, contrairement à ce qui se produisit plus tard dans un catholicisme devenu doloriste. Ici nous sommes dans la pure réponse au très ancien désir d’Isaïe, qui s’exclamait : « Ah, si tu pouvais déchirer les cieux ! », nous sommes dans la fulgurance d’Élie quittant la terre dans un char de feu, nous sommes dans l’indicible du Verbe qui se dépasse lui-même en étant arraché à la tombe par la résurrection.

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Bonne fin du monde !

cet après-midi au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

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La fin du monde, c’est la finalité de l’homme : la fin de son allégeance au monde. La fin de toute idolâtrie, mensonge, tromperie, feinte. La fin du monde, c’est le début du ciel : l’entrée dans le vrai, le juste, la liberté, l’harmonie, la paix, la lumière, la vie sans fin. La fin du monde, c’est vivre dans le monde et hors du monde, sans être du monde.

L’Histoire ne peut digérer un corps martyrisé, il l’empoisonne si on ne lui accorde une sépulture dont il pourra se relever afin de féconder l’Histoire. Une sépulture de parole via laquelle l’homme peut se plonger dans la mort pour s’en purifier et en renaître. La fin du monde, c’est quand l’homme se dépouille des valeurs du monde, meurt au monde, vient à la vie qui dépasse la mort.

Aucun homme n’est le père de Jésus. Que cela soit bien clair, aussi clair que la virginité de Marie. Jésus est le fils de Marie. C’est pourquoi il peut revenir à la fin des temps. Jésus et Marie ne sont ni seulement physiques ni seulement métaphysiques. Ni seulement des êtres humains comme chacun d’entre nous, ni seulement des êtres tout autres que chacun d’entre nous. Marie est le nouvel Adam et Ève, tel qu’en parle le Coran : libéré du péché originel. Marie est notre origine rétablie, Jésus est sa projection dans l’infini.

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Chantier

à Paris 13e avant-hier, photo Alina Reyes

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Le temps s’écroule comme murs. Prions pour ceux qui les contiennent et vivent au milieu des morts. Qu’ils tiennent bon, c’est avec eux, c’est pour nous que Dieu vient. Prions pour nous, frères humains, ruines, ombres chancelantes de ce que nous sommes. Le voici qui descend au contact, allumer l’étincelle et nous donner sa lumière à manger. Oui quel trajet vraiment il a dû faire, lui qui est hors du temps, pour y descendre ! À quelle petitesse, à quelle fragilité a-t-il dû se réduire pour réussir cet incommensurable transport !

Dieu descend et remonte, dans la descente il se dépouille, et le fruit de ce dépouillement est sa manifestation dans l’histoire. Tout cela se produit à la fois en un instant et éternellement. Mais il est un chemin dans l’éternité, afin que l’histoire ne soit pas un éternel retour, et ce chemin est celui de la lumière dans le cœur des hommes.

Si vous voulez voir Dieu, cherchez l’œil, traversez les apparences.

L’autre œil, jetez-le sur terre, jetez-le au cœur du cœur de tout homme que vous rencontrez, vous y verrez brûler d’amour la même vie secrète, immense.

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Aujourd’hui je me mets au chantier de reconstruction de Voyage.

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Ce que veut dire le messager

image Alina Reyes

 

Le mot rasoul, « messager », qui désigne le Prophète, vient d’un verbe qui signifie :

envoyer un messager ;

avoir des cheveux longs et qui descendent en bas ;

marcher doucement.

Et aussi :

avoir du lait en abondance ;

envoyer du lait ou en donner à boire ;

être en correspondance avec ;

laisser aller ;

avoir beaucoup de troupeaux ;

composer une dissertation ;

laisser tomber, couler des larmes ;

agir avec douceur.

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Ô peuple !


Les mariées de la paix

 

C’est l’aube sur les villes, les champs gémissent, le peuple sort de terre, fleurs de charbon. Le ciel qui paraît se retire, le vent se lève et lent, puissant, commence la danse, bras arrondi moissonne sa partenaire, l’humanité. Il l’entraîne à tournoyer par les routes, chemins, saignées à travers les pays en dérive. Il crie leur douleur aux hommes, arrache du jardin leurs racines, arrache leur cœur noir du saint des saints vandalisé, les aspire vers où ils ne savent pas mais osent espérer.

Ô souffle de Dieu descendu pour nous accompagner dans le bannissement.

Ô notre terre hérissée des sarcophages des puissants, morts-vivants qui piétinent les fleurs, les dévorent à même la chair des enfants, des innocents.

Qui pleure au bord des fleuves ? Les yeux sont secs depuis longtemps. Les hommes ignorent même leur misère. Ô ciel, ouvrir les cœurs de pierre, que les larmes en jaillissent et lavent les rivières que nous avons salies !

Chaque jour dans des caves en béton, des robots étouffent les prophètes avec leur voix. Des rires gras, métalliques, veaux peinturlurés d’or, ont pris possession des oreilles, faisant des êtres des ruines de maisons, chassant de la cité ceux où demeure Dieu.

Dieu creuse le chemin de l’exil à même la terre, notre chair. À la pelle il excave notre âme, ouvre la trouée, la tranchée, d’où il nous extrait. Heureux les bannis du monde, le désert les attend, et dans le désert Dieu, plein de pitié.

Peuples à la dérive, vous êtes comme la terre que la charrue tranche, broie, retourne. Votre sueur, votre sang fermentent la poussée de l’arbre invisible qui va s’élancer vers le ciel. C’est une croix démesurée qui a pris chair en vous, portez-la bien, comme un jour les derniers d’entre nous porteront le dernier feu. Vous ne la voyez pas mais elle reverdit, se déploie, suscite des bourgeons où mûrissent les fleurs de flammes qui écloront quand le feu ancien sera finalement éteint.

Ne crains pas, petit peuple ! La route profonde où tu seras jeté, c’est la blessure de l’Amour qui l’a tracée. Ouvre les yeux, il te précède ! Il refera avec toi la traversée déjà faite, lui qui a déjà vaincu, lui qui ne veut pas vaincre sans toi. Viens, le chemin monte de la terre dans l’arbre, viens, sève, monte, répands-toi, petit peuple, dans les frondaisons de l’Amour ! Toi, l’homme que j’ai regardé, viens, je t’attends dans la fleur que je suis et qui vient.

 

extrait de Voyage

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