Sagesse orientale, le temps à sa place

L’Orient remet le temps à sa place, celui d’humble serviteur de l’éternité. Ceci est notamment sensible dans le judaïsme, le christianisme orthodoxe et l’islam. Pensons à la prière juive du Kol Nidrei, capable d’annuler les vœux passés, et à sa correspondance dans la notion de teshouva, capable d’effacer le passé et ses fautes. Pensons à l’importance de la Résurrection dans le christianisme orthodoxe, capable de balayer la mort à l’œuvre dans le présent. Pensons au incha’Allah musulman, capable d’annuler nos projections dans le futur.

C’est à la source de ces pensées que nous devons puiser. Pour le reste, traditions et façons de penser dépassées, pour tout ce que le temps effacera d’elles, s’il est encore vivace là où les hommes sont à cause de la peur en situation d’arriération politique ou mentale, il dépérira – comme en Europe – dès qu’ils se libéreront. Il ne sert donc à rien d’essayer de sauver les vieilles structures là où elles peuvent encore l’être : encore est éphémère. Il faut au contraire se retourner et marcher dans la voie de l’éternité, sans avoir peur de laisser devant soi comme derrière soi tout ce qui n’est plus valide et qui, à coup sûr, tombera. Sous les coups sûrs du temps, soldat au service de l’éternité. 

Un rêve

J’ai fait un rêve merveilleux. D’abord je roulais longuement en voiture, jour et nuit, par tous les temps, admirant le paysage, faisant des pauses, repartant… Les paysages étaient beaux et colorés comme des tableaux, beaucoup de nature et aussi des cités qui apparaissaient, une merveille de voyage. Puis j’arrivais au Vatican, où je prenais mon service de femme de ménage, très tôt le matin. Je mettais ma blouse blanche de chimiste, celle que je mets à la maison pour peindre, et je commençais à laver le sol d’un immense hall. J’étais seule et c’était vraiment très sale, je n’arrivais pas à tout enlever, à mesure que j’étais passée d’autres saletés apparaissaient, il y avait même des branchages morts, c’était vraiment beaucoup de travail. Mais j’avançais, toute joyeuse.

J’étais presque au bout du hall, et sachant qu’il allait falloir que je recommence depuis le début. Un homme de ménage est arrivé, celui que j’ai photographié un jour en train de balayer dans la grotte de Lourdes, autour de la montagne de cierges. Il m’a informé que j’avais pris mon service très en avance, que les équipes allaient arriver maintenant en fait, et que je ne portais pas la blouse réglementaire. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter de n’avoir pas tout nettoyé, c’était normal, les équipes qui arrivaient allaient prendre la relève pour finir le travail. Et voilà soudain qu’un homme arrive vers moi, c’est Benoît XVI. Je suis si contente de le voir ! Alors qu’il est encore à quelques mètres, je lui dis tout simplement, toute sourire : « bonjour, vous allez bien ? » Et il me répond sur le même ton tranquille, tout sourire. Nous nous mettons à marcher doucement en parlant de tout et de rien. Au début il était en pape mais en fait il est un homme normal et nous sommes les plus vieux amis du monde. Nous arrivons au bout du hall, la lumière entre à flots par de vastes baies vitrées. Tantôt derrière la vitre et tantôt de l’autre côté, dans l’herbe, nous regardons la route où commence à affluer le peuple, en une intense circulation. Les gens se déplacent en masse car une très grande fête se prépare dans le monde. C’est d’ailleurs pourquoi il me fallait nettoyer ce hall, afin qu’il soit propre pour la célébration, d’autant que pendant ces jours de fête ce sera congé pour tout le monde. Benoît XVI me parle maintenant de son fils, je ne savais pas qu’il en avait un, au début je me dis qu’il a peut-être été marié avant d’entrer dans les ordres, que c’est sûrement pour cela qu’il est si à l’aise avec moi, une femme, que nous nous entendons si bien. Mais en fait il semble que son fils soit encore un petit enfant, ce qui est merveilleux. Je lui demande comment il est venu ici, jusqu’à ce hall où je travaille, et il me dit à pied, ce que je trouve merveilleux. 

Civilisés ?

On n’arrive à rien de bien ni de grand avec l’obsession d’enculer, au figuré, ses adversaires. L’analité est un symptôme de régression, s’y complaire c’est se complaire dans la merde. Que les hommes en fassent ce qu’ils veulent dans leur vie sexuelle, et que leur tête en soit libérée dans leur vie politique. Car la merde est l’équivalent de l’argent, celui qu’on garde ou celui dont on a envie.

« Les caricatures du Prophète et les horreurs sur la Shoah, ce n’est pas pareil », écrit Élisabeth Lévy, sous-entendant que les secondes sont plus graves que les premières. Or les caricatures ordurières du Prophète, telles que les a faites Charlie Hebdo, c’est pire que « les horreurs sur la Shoah ». Nier l’extermination des juifs est une façon mensongère et indigne, dégueulasse, de s’en prendre à une communauté qui n’est plus aujourd’hui victime, grâce à Dieu, mais en grande partie participante d’une domination inique. Ce n’est pas ainsi, par le mensonge, que le combattant pour la justice et la liberté se bat. Injurier le Prophète, c’est s’en prendre aux opprimés, aux victimes des trahisons et des abus de l’Occident durant ces derniers siècles, qui cherchent leur libération et y œuvrent, certes avec des erreurs comme dans tout combat, mais avec le droit au respect et à la compassion. Que des dominants protégés par les pouvoirs publics renouvellent l’insulte séculaire qui leur est faite ne fait que redoubler l’infamie.

On n’arrive à rien de bon ni de beau ni de libérateur avec la souillure, qu’il s’agisse de souiller un chant ou de souiller une communauté. Certains ne semblent pas faire la différence entre la souillure des Femen et la charge cathartique de l’opération poétique « en slip dans le métro ». D’un côté des femmes vendues au diable, comme elles le disent elles-mêmes, de l’autre des hommes et des femmes faisant un geste gratuit, sans complexe, ponctuel et reliant des gens de plusieurs pays pour sortir un instant des habitudes « civilisées » en les mettant en évidence.

Écouté le best-of du très bon spectacle « Pardon Judas » de Dieudonné. Old same story. Judas serait le dévoué, faisant le mal pour la bonne cause. Judas, c’est une histoire de deniers. Vendu au diable pour trente deniers. Mais un talent vaut six mille deniers, et donc bien plus intéressant à faire fructifier. La fin ne justifie jamais les moyens.

Éternité

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Les princes de ce monde veulent « que tout change pour que rien ne change » – selon la formule du Guépard -, c’est-à-dire donner l’illusion du changement pour conserver l’ordre ancien qui les protège. D’où la société du spectacle, qui distrait les hommes comme les jeux du cirque, faisant effet qu’il se passe toujours quelque chose alors que rien ne se passe vraiment, et plébiscitant des hommes dont l’action consiste seulement à faire bonne figure. La conversion, nous l’avons dit, ne consiste pas à changer d’être, mais à changer de milieu : à passer du monde du mensonge et de la mort à celui de la vérité et de la vie. Ce qui consiste aussi à changer de chemin, comme nous l’avons également dit. Le chemin conduit, on n’avance pas sur le chemin si on se contente du spectacle du chemin. Avancer sur le chemin d’après la rencontre avec Ce qui nous ouvre les yeux, c’est se conduire autrement : non seulement voir ce qu’on ne voyait pas, mais le vivre, vivre l’aventure, sans filet. Telle est la vie, celle qui est éternelle et donne l’éternité.

Un pas dans l’éternité

Il est recommandé de retourner chez soi, en sortant de la mosquée, par un autre chemin que par celui où on y est allé. Cela me rappelle l’histoire des rois mages qui repartent de la grotte de Bethléem par un autre chemin que par celui où ils y sont venus. Je suis bien certaine qu’ils n’ont pas agi ainsi seulement pour échapper à l’inquisition d’Hérode. Hérode était bien ignorant de compter qu’ils allaient repasser par chez lui. Il y a là une même science, chez ces traverseurs de terres et de déserts, que chez le fondateur de l’islam. Une même science chez l’évangéliste hébreu issu d’un peuple de nomades et chez les nomades arabes des premiers temps coraniques. Après être allé à la rencontre de Dieu, il est bon de s’en retourner par un autre chemin. Changer pour être fidèle à Ce qui est venu nous réveiller. Changer de chemin, c’est s’en retourner les yeux ouverts, plutôt que de rentrer comme on est venu, le regard borné par les œillères de l’habitude. Changer de chemin, c’est s’exposer à faire d’autres rencontres, voir d’autres choses, et surtout, voir ce qu’on n’aurait pas regardé si on venait d’y passer. Voir un nouveau monde, changer le temps confortable de l’éternel retour en temps de l’éternel renouvellement : faire un pas dans l’éternité, le temps de la résurrection.