La fin de l’intellectuel français, par Shlomo Sand

Je devrais parler demain de l’excellent livre de François Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas, que je viens de lire. Mais je veux d’abord évoquer ma lecture précédente, le non moins excellent, parce qu’il faut bien mettre les pieds dans le plat de la pensée fast-food, de la pensée unique, de la soupe avariée que nous servent les grands médias via journalistes, chroniqueurs et autres intellectuels médiatiques, tous mercenaires de la même armée (la Banque et leur propre compte en banque), livre de Shlomo Sand, La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq, paru en 2016 aux éditions de La Découverte (traduit de l’hébreu par Michel Bilis). Outre ses propres mérites, notamment celui du courage, de la vision sans concession qui caractérisent la pensée de cet historien (alors que d’autres, en France, tel Patrick Boucheron, déçoivent gravement en se rangeant activement du côté du pouvoir à l’heure des Gilets jaunes), ce livre permet de mieux comprendre le silence de nombre d’intellectuels aujourd’hui ou leur ralliement éhonté à l’État policier, et constitue une introduction de choix au livre de Ruffin – dont nous comptons reparler, donc.

shlomo sandSand montre que la figure de l’intellectuel français, intervenant dans la sphère publique et politique, tel que nous l’avons connue jusqu’à des temps récents, et telle qu’elle est en train de disparaître (notamment avec l’islamophobie, le décadentisme et le défaut de pensée colportés par Houellebecq, Charlie Hebdo d’avant l’attentat, Zemmour et Finkielkraut, auxquels il consacre la deuxième partie de son livre), est née de l’affaire Dreyfus, qui a permis de voir se positionner les intellectuels de l’époque face à l’antisémitisme d’alors – largement remplacé aujourd’hui par l’islamophobie. À le lire, on se dit que la révolte des Gilets jaunes maintenant fonctionne également comme révélateur d’une ligne de fracture entre conformistes bourgeois et penseurs résistants.

De cette fresque des intellectuels sur plus d’un siècle, je retiendrai ici quelques passages concernant les temps présents, ces jours-ci encore marqués par une hystérie collective française, moquée et déplorée par le reste du monde, autour d’un hidjab de running.

« Le crépuscule de l’intellectuel du début du XXIe siècle s’inscrit sous le signe d’une montée de l’islamophobie. » (p. 52)

« J’ai toutefois dédié ce livre à trois intellectuels qu’il m’était bien évidemment impossible de rencontrer, Simone Weil, André Breton et Daniel Guérin, qui appartiennent à cette poignée de gens de lettres qui, face aux tempêtes de l’époque, et à ses terribles dilemmes, ont su tenir des positions politiques et exprimer des valeurs auxquelles je me réfère dans mes réflexions et mes actes, encore aujourd’hui. Comme George Orwell, une autre de mes références intellectuelles, ils ont tenu bon face aux trois plus grands crimes du siècle : le colonialisme occidental, le stalinisme soviétique et le nazisme allemand, sans dédouaner aucun d’eux à l’aide d’une quelconque justification philosophique à base libérale, nationale ou de classe. Ils ont écarté tout compromis, fût-il temporaire ; de ce fait, ils ont échappé aux pièges idéologiques dans lesquels tant d’autres sont tombés. » (p. 19-20)

« Le nouvel intellectuel, médiatique et consensuel, se reconnaît à son conservatisme, qui célèbre la hiérarchie sociale et la culture politique ambiante, tandis qu’il voue aux gémonies tous ceux qui, de l’extérieur ou de l’intérieur, la défient et la menacent.
Les « totalitaires », qu’il s’agisse des communistes ou des gauchistes, ou, plus tard, des musulmanes voilées et des musulmans barbus, constituent aux yeux des intellectuels conservateurs qui donnent le ton, comme on le verra, une véritable menace pour la culture occidentale et par conséquent pour celle de la bonne et vieille France. (…) La mémoire collective qui se construit jour après jour, en France, se nourrit d’un imaginaire paranoïaque, sorte de miroir inversé de l’ « avenir radieux » auquel s’accrochaient les milieux progressistes de la génération précédente. Mais, à la différence de l’imagination du futur, le passé imaginaire a surtout vocation à créer et renforcer une identité qui exclut l’ « autre », et ne vise pas à le comprendre et à se mélanger avec lui. Les mythes qui puisaient aux sources des Lumières ont généralement eu tendance à intégrer l’ « autre », tandis que les mythes conservateurs écartent plus ouvertement celui qui apparaît comme différent. (…)
On observe avec intérêt que les idéologies élitistes des nouveaux intellectuels sont précisément diffusées, avec enthousiasme, dans les grands médias de la « culture de masse ». (p. 192-193)

« La judéophobie et la maoïsme ont régressé, fort heureusement, mais quelque chose d eleur tempérament intolérant subsiste, profondément ancré, dans la culture d’une partie des élites parisiennes. » (p. 238)

« Six jours après le terrible massacre [du Bataclan], Michel Houellebecq a publié, dans un journal italien, un article intitulé « J’accuse Hollande et je défends les Français ». Toute la presse française a aussitôt reproduit ses propos. Cet article se voulait un lointain écho au « J’accuse » d’Émile Zola. En dépit de son aversion déclarée pour les intellectuels engagés, l’écrivain à succès du début du XXIe siècle s’est ouvertement placé comme leur héritier direct. (…)
S’il voue aux gémonies les dirigeants de l’État, Houellebecq s’attache en revanche à flatter ses compatriotes : « La population française a toujours conservé sa confiance dans l’armée et dans les forces de l’ordre ; elle a accueilli avec dédain les prédications de la « gauche morale » sur l’accueil des réfugiés et des migrants. »
D’une certaine façon, on peut regarder cette tribune comme la fin tragi-comique d’un long cycle d’engagement moral des intellectuels parisiens dans les affaires publiques. D’un « J’accuse » à l’autre, de Zola à Houellebecq, tout ce qui avait fait la noblesse de l’ « intellectuel français » semble s’être définitivement évaporé. » (p. 258-259)

« Le futur sera-t-il porteur d’une conflictualité d’un genre encore inconnu, qui pourrait nourri une éthique, s’accompagnant d’un renouveau de la réflexion des intellectuels critiques ? Cela donnera-t-il lieu à une conflictualité qui ne soit pas fondée sur les peurs et les inimitiés pseudo-communautaires à l’égard de ceux qui ont des « origines », culture ou religion différentes ? Cela produira-t-il des intellectuels conservateurs, racistes et xénophobes, dans la lignée de ceux qui occupent, de plus en plus, notre espace public, au fur et à mesure que s’approfondit le marasme économique ? (…)
Comment vont se dérouler les luttes sociales pour un partage plus égalitaire des ressources ? Ce partage permettra-t-il d’éviter la spirale de violences meurtrières qui a presque toujours accompagné la captation des ressources naturelles ? Par quelle philosophie politique ces luttes seront-elles interprétées et accompagnées ?
Les intellectuels du futur agiront-ils en compagnons de route de nouveaux mouvements sociaux désireux de changer la réalité existante ? Pourront-ils, sur un blog indépendant ou dans le cadre de forums populaires autonomes, façonner une autorité charismatique qui puisse élaborer des visions éclairées du monde ? D’où viendront les intellectuels de demain : de l’université ou de ses marges, si ce n’est même, de ses décombres ? » (p.202-203)

C’est sur cette question que nous passerons, la prochaine fois, à la lecture du livre de Ruffin.

Cette phrase est extraite de "La fin de l'intellectuel français ?"

Cette phrase est extraite de « La fin de l’intellectuel français ? »

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Sur ce site, parmi les auteurs cités par Shlomo Sand dans son livre : Simone Weil ; André Breton ; George Orwell

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Antisémitisme : signe d’une maladie sociale prospérant sur l’élitisme

Recrudescence des actes antisémites. Le démon européen millénaire se nourrit des crises, vampirise les temps troublés, les mouvements sociaux, les changements sociétaux, les instabilités politiques, les pics d’injustice structurelle de masse. L’antisémitisme est le très vieux ver dans la pomme du catholicisme et, de par les connivences historiques de ce dernier avec les régimes d’extrême-droite et autres fascismes, le nerf de la guerre des partis et groupuscules des idéologies combinant nationalisme, xénophobie et haine de la démocratie. Deux portraits de Simone Veil ont été récemment souillés d’une croix gammée place d’Italie à Paris ; place du Panthéon, en septembre dernier, quatorze de ses portraits ont été souillés d’une croix chrétienne.

L’antisémitisme est aisément identifiable, parce que revendiqué, à l’extrême-droite et chez beaucoup de musulmans gagnés par le besoin de boucs émissaires ou simplement imprégnés du racisme ordinaire qui a cours entre peuples qui cohabitent ou voisinent depuis longtemps, et se ressemblent tout en voulant se distinguer (racisme qui fonctionne pareillement chez beaucoup de juifs envers les musulmans, sans la même violence en Occident mais avec une violence au moins équivalente en Israël). Mais il est aussi répandu dans toute une société apte à cacher ses passions mauvaises derrière des masques de respectabilité, voire de progressisme et d’antiracisme. On le voit notamment ces jours-ci avec la révélation des méfaits de la ligue du LOL, persécutions sexistes, homophobes, racistes et antisémites de la part de journalistes d’une presse prétendument féministe et antiraciste.

Cette funeste ligue n’est en fait qu’une reproduction de la société dans laquelle nous vivons, et singulièrement du macronisme. L’ex-community manager de Macron en faisait d’ailleurs partie, et s’est empressé d’effacer des centaines de tweets de son compte ce week-end. Les trentenaires de la ligue sont les mêmes que ceux du boys’ club de Macron, ces petits mecs sans expérience chargés de le conseiller et de lui proposer des éléments de langage. Dans la ligue du LOL comme à l’Élysée, il s’agit de manipuler le langage afin de manipuler l’opinion, manipuler les gens jusqu’au harcèlement – faut-il encore rappeler la litanie des insultes et autres mesures de rétorsion de Macron envers les classes populaires qu’il faut empêcher d’accéder au pouvoir, comme il fallait à la ligue des ordures du journalisme empêcher des femmes, entre autres, d’accéder aux postes qu’ils se réservaient. La prétention à l’antiracisme n’est bien souvent que la façade ravalée d’un immeuble pourri – en témoignent notamment les dérapages de Macron sur le kwassa-kwassa ou le Gitan qui ne saurait parler normalement.

L’antisémitisme est un racisme, et tout racisme comprend tous les racismes. On ne peut pas être à la fois raciste et antiraciste, antisémite et antiraciste, islamophobe et antiraciste, etc. Le racisme repose sur la croyance aux races. Les racistes pensent qu’ils ne sont pas racistes si leur racisme vise les juifs, ou les musulmans, ou d’autres groupes de telle ou telle confession, telle ou telle culture qu’ils disent ne pas distinguer par leur couleur de peau mais par leur confession ou leur culture. Ce raisonnement primaire ne fait que prouver leur racisme, leur croyance au partage de l’humanité en races selon les apparences physiques. Tout racisme se justifie par de bonnes raisons, en réalité faussées ou entièrement fausses.

Contrairement à ce que croient les racistes et les sexistes, même quand on le veut on ne réduit jamais des humains à leur physique ou à leur sexe. Comme le disait le juif Jésus, les pires fautes que nous commettons sont les fautes contre l’esprit (et il avait entrepris de démolir l’élitisme présent dans sa culture, cette faute contre l’esprit). Le racisme et le sexisme sont des fautes contre l’esprit. Croire que des apparences physiques différentes seraient la marque de races ou d’humanités différentes, c’est nier que l’humanité est une, animée dans ses variations par un même esprit, et que l’humain est le semblable de l’humain. Le racisme, qu’il soit dirigé contre des traits physiques ou contre des traits culturels, crée l’élitisme, qui à son tour démultiplie les formes de racismes, dont les racismes de classe tellement à l’œuvre dans notre société, et exaltés par le macronisme.

De même qu’il existe un alcoolisme mondain, il existe un racisme mondain, dont l’antisémitisme n’est qu’une des formes de la peur de soi et de l’autre, si fréquente en particulier chez ceux et celles qu’animent des pulsions de domination, que ce soit dans les sphères privées (famille…) ou dans les sphères publiques du pouvoir. Comme en témoigne le blogueur Korben, l’une des victimes de la ligue du LOL : « La plupart de ces harceleurs sont calculateurs, manipulateurs, sans aucune empathie pour leurs victimes. Et pourtant leur visage social est joyeux, souriant, humoristique, cultivé, sympathique. Ils occupent quasiment tous de bons postes où ils peuvent dominer et il est impossible de les démasquer tant que l’on n’a pas été une de leur cible. »

L’interdit qu’ont heureusement réussi à imposer les juifs sur l’antisémitisme, dans une civilisation qui les a persécutés pendant des siècles jusqu’à tenter de les exterminer totalement, a rendu cet antisémitisme plus difficilement avouable, souvent même à soi-même ; et beaucoup l’ont remplacé par l’islamophobie, un racisme sur lequel ne pèse pas le même tabou. L’islamophobie est devenu un élément ouvertement rassembleur des Français dits de souche comme l’antisémitisme le fut ouvertement en d’autres temps. Dans La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq, Shlomo Sand écrit : « Feuilleter les numéros de Charlie, de 2006 à 2015, provoque la stupéfaction. (…) L’islam est bien plus qu’un « détail » dans l’existence hebdomadaire du journal. (…) Dès qu’il s’agit de l’islam, tous les freins sont levés : les musulmans sont toujours répugnants, repoussants et même, la plupart du temps, menaçants et dangereux. Les dessinateurs de Charlie raffolaient particulièrement du postérieur de Mahomet, de ses testicules (…) Il y avait plus que de la laideur dans cette représentation méprisante et irrespectueuse de la croyance d’une minorité religieuse (…) Il est surprenant de voir combien les juifs « sémites » d’hier ressemblent au musulmans « sémites » d’aujourd’hui : même laideur du visage et même nez, long et gros. (…) Cette caricature répugnante… Ce type de dessin n’est pas dirigé contre les intégristes, ni contre les princes saoudiens, et n’a pas non plus pour objet la défense des femmes (…) Il est interdit de prôner la stigmatisation d’un groupe d’humains du fait de son origine, de son genre, de ses orientations sexuelles ou de sa religion. (…) Pourquoi plus de quatre millions de Français ont-ils défilé sous un slogan qui les identifiait à un journal islamophobe et totalement irresponsable ? » Shlomo Sand développe dans le même livre un chapitre sur la promotion médiatique inouïe faite à Houellebecq et à son islamophobie, notamment lors de la publication de son roman Soumission. Constatons que ce sont les mêmes organes de propagande qui ont porté au pouvoir Emmanuel Macron et son racisme social, entre autres. Et comprenons que la recrudescence des actes antisémites est un indicateur, telle une éruption de fièvre, de la maladie bien plus généralisée de tout un corps social.

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Quelques photos et réflexions

En France, une musulmane est empêchée de chanter. Non par quelque fatwa, mais par le décret religieux de la République, qui n’admet qu’une seule façon de penser et de s’habiller. Affaire lamentable de Mennel conduite par la pression à quitter l’émission The Voice. Parce qu’elle porte un turban dans les cheveux, on fouille son compte twitter – sans s’interroger sur les opinions des autres candidats, comme l’a fait remarquer Rokhaya Diallo. Comme sur n’importe quel autre compte twitter, on y déniche une parole trop vite écrite. C’est bien connu, les chanteurs de variété sont de profonds philosophes et d’excellents politologues, ils mènent une vie irréprochable – toutes raisons pour lesquelles on les célèbre – du moment qu’ils ne sont pas musulmans. L’antisémitisme revient au galop en Europe, nous dit-on. Oui, et l’islamophobie est sa forme la plus répandue et la plus consensuelle.

En 1990, le merveilleux André Chouraqui, ancien maire de Jérusalem, disait à Apostrophes : « tous les chemins mènent à La Mecque ». Il en savait quelque chose, lui qui avait magnifiquement traduit la Bible, l’Évangile et le Coran en français. Les chiens aboient, la caravane passe.

Dansé hier – une heure et demie de joie du corps savante. Rêvé cette nuit que par une baie vitrée, à Édimbourg, je contemplais les allées et venues de grands animaux fantastiques et magnifiques sur les toits.

Ce matin, il neige de nouveau.

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immeuble

selfie

rue nuit

neige fenêtreces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Antisémitisme, l’éternel retour

J’ignorais que Renaud Camus, Alain Soral, Dieudonné, les ultras de la Lazio de Rome, les pangermanistes autrichiens et autres fachos nationalistes européens, étaient musulmans. Et pourquoi pas Antoine Gallimard, qui voulait rééditer les pamphlets de Céline, ou Françoise Nyssen, qui voulait commémorer Maurras ? Car d’après Antoine Gallimard, « aujourd’hui, l’antisémitisme n’est plus du côté des chrétiens mais des musulmans, et ils ne vont pas lire les textes de Céline. » Cette déclaration parfaitement raciste (pourquoi les musulmans ne liraient-ils pas Céline ?) révèle une fois de plus combien sont proches l’antisémitisme et l’islamophobie. L’antisémitisme, qu’il soit de culture chrétienne ou de culture islamique, est d’abord le signe d’une haine de soi, christianisme et islam ayant pour source le judaïsme. Que bien des gens issus du christianisme et de l’islam aient des raisons de se haïr, cela se comprend aisément quand on sait la pression et les abus que ces religions, comme le judaïsme et sans doute toutes les religions, peuvent exercer sur les êtres humains. La tartufferie de Gallimard et de Nyssen est, comme la haine, une tradition bien chrétienne aussi, bien de toutes les religions aussi. Une saloperie, très répandue sous le masque de l’honorabilité.

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Merah, antisémitisme, sexisme, etc.

craie*

Antisémitisme, racisme, sexisme, se tiennent par les pattes dans un même panier de crabes.

C’est toute la famille Merah (j’avais écrit par lapsus Perah – lapsus aisément décodable : père, patriarcat), à commencer par père et mère, qui est coupable, moralement sinon pénalement, des meurtres commis par Mohamed Merah ; et qui est coupable aussi de la mort de Mohamed Merah, leur fils et frère. C’est aussi, plus largement, le fond patriarcal de l’islam que trop de musulmans refusent de combattre, par respect de la tradition alors que le prophète de l’islam a pris tous les risques pour combattre la tradition, et notamment la tradition patriarcale, qui prône ou autorise la brutalisation des enfants et des femmes. Cet islam n’est pas l’islam, mais l’esprit des tribus qui a repris le dessus. C’est cet esprit qui se retourne contre les juifs, puis contre tous ceux qui ne font pas partie de la tribu. Ces gens-là sont retournés à la mentalité préislamique, celle où l’on discriminait à mort les filles, où les hommes avaient tout pouvoir de violence et de mort sur leurs proches et où les peuples s’entrepillaient et s’entretuaient pour des questions de richesses et de territoires. Comme ce fut le cas aussi en Europe et partout ailleurs dans le monde, comme c’est toujours le cas à une autre échelle, à une échelle qui a donné les grandes guerres mondiales du vingtième siècle et leurs atrocités, à une échelle qui continue à semer la mort dans le monde de façon souvent plus détournée mais tout aussi meurtrière.

Le journal Le Monde dénonce l’antisémitisme des banlieues. Il existe. J’ai moi-même entendu une vieille Arabe, au sortir de la mosquée, me dire qu’il ne fallait pas dire « salam » mais bien « salam aleykoum » pour ne pas risquer le rapprochement avec le « shalom » juif (bien entendu c’est ridicule, les deux langues, comme les deux peuples, sont sœurs, et la formule de salutation juive entière, « shalom aleichem » se prononce également presque comme le « salam aleykoum » arabe). J’ai vu la seule jeune femme de la maison qui ne se voilait pas (et vivait à l’extérieur), en visite dans sa famille, traitée par ses frères comme un objet avec lequel rigoler brutalement. Cet antisémitisme doublé de sexisme (car le sexisme est à la base de tous les racismes) existe, mais il n’est pas répandu partout. Dans mes classes en banlieue, dont les élèves sont d’origines très diverses, je n’ai jamais observé le moindre sursaut dénégateur chaque fois que j’ai évoqué les camps de concentration nazis ou plus généralement l’antisémitisme – ou le racisme, ou le sexisme. Que Plantu dans un dessin en une du même journal accuse les profs de ne plus parler de la Shoah en classe montre seulement que le racisme se nourrit d’ignorance. Et que le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, sont aussi ancrés chez beaucoup de journalistes et d’intellectuels prétendument éclairés. « La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait en mars la persistance des « vieux préjugés antisémites liant les juifs au pouvoir et à l’argent », écrit Le Monde. Certes, et en voici un exemple personnellement vécu : lorsque Stéphane Zagdanski et moi avons publié notre livre La Vérité nue, Josyane Savigneau, alors rédactrice en chef du Monde des Livres (et aujourd’hui opposée aux féministes qui dénoncent les viols de Polanski), écrivit dans ce vénérable journal du soir que Zagdanski et moi avions pratiqué le « prends l’argent et tire-toi », en un doublé d’antisémitisme et de sexisme très bien supporté par tout le monde puisqu’il ne venait pas de banlieue mais des beaux quartiers.

C’est ainsi que le serpent se mord la queue. Les élites de culture chrétienne ont transféré leur antisémitisme, désormais très mal considéré, de façon limpidement freudienne, dans l’islamophobie. Leur sexisme demeure, toute l’organisation de la société le clame, mais non dit, comme leur antisémitisme qui va souvent jusqu’à se déguiser en philosémitisme. La haine circule des élites blanches aux populations des banlieues, et réciproquement. Tant qu’on ne soignera pas l’ensemble, les abcès continueront à crever, libérant par moments le pus et le sang mêlés de notre société.

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joconde et peléhier soir à Paris 5e, photos Alina Reyes

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