Des mots et des roses

« Il y allait, pour nous aussi, de la nécessité d’en finir avec l’idéalisme proprement dit, la création du mot « surréalisme » seule nous en serait garante, et, pour reprendre l’exemple d’Engels, de la nécessité de ne pas nous en tenir au développement enfantin : « La rose est une rose. La rose n’est pas une rose. Et pourtant la rose est une rose », mais,

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qu’on me passe cette parenthèse, d’entraîner « la rose » dans un mouvement profitable de contradictions moins bénignes où elle soit successivement celle qui vient du jardin,

rose rouge-min

celle qui tient une place singulière dans un rêve, celle impossible à distraire du « bouquet optique », celle qui peut changer totalement de propriétés en passant dans l’écriture automatique, celle qui n’a plus que ce que le peintre a bien voulu qu’elle garde de la rose dans un tableau surréaliste, et enfin celle, toute différente d’elle-même, qui retourne au jardin. »

rose rose-minAndré Breton, Second manifeste du surréalisme

et photos Alina Reyes, à la roseraie du jardin des Plantes où les roses commencent à reparaître

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Esquisses : points de vue et point de vue

En cherchant autre chose, je retrouve dans un ancien carnet ces esquisses faites à main levée, en quelques secondes et au stylo, de modèles nus posant pour un cours aux Beaux-Arts auquel j’avais pu assister il y a quelques années. Accompagnées de notes du cours et de mon observation des étudiants en train de dessiner. Les deux dernières m’intéressent particulièrement car il nous avait été demandé de les réaliser sans regarder le papier, à l’aveugle par rapport au papier, au crayon, à notre main : en est sorti une silhouette à deux têtes. Une sorte d’écriture automatique au dessin, non par le libre jeté de lignes comme je le pratique souvent mais par une brèche ouverte dans une technique traditionnelle, et qui ouvre aussi l’esprit sur de l’inconnu, quand on fait ce geste.

esquisse-min deuxieme esquisse-min esquisse à l'aveugle-min*

Des affiches et des mots

« L’épouvantail de la mort, les cafés chantants de l’au-delà, le naufrage de la plus belle raison dans le sommeil, l’écrasant rideau de l’avenir, les tours de Babel, les miroirs d’inconsistance, l’infranchissable mur d’argent éclaboussé de cervelle, ces images trop saisissantes de la catastrophe humaine… » André Breton, Second manifeste du surréalisme

En passant devant mon bureau de vote, j’ai photographié les unes à la suite des autres les affiches électorales – ce n’est pas moi qui les ai taguées, mais vous pouvez à volonté les mettre en relation, comme il vous semblera judicieux, avec l’énumération de Breton.

fillon-min asselineau-min mélenchon-min lassalle-min cheminade-min poutou-min hamon-min arthaud-min macron-min le pen-min dupont aignan-minaujourd’hui à Paris 5e

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Du côté de Nadja

 

nadja« *Sur la porte de beaucoup de maisons arabes, s’inscrit, me dit-on, une main rouge, au dessin plus ou moins schématique : la « main de Fatma ». » C’est une note de bas de page de Breton à la suite du passage où Nadja lui demande d’écrire un roman sur elle et ajoute : « Tu trouveras un pseudonyme, latin ou arabe. »

« La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas. » En train de relire Nadja, et donc plongée dans la grâce. Une lecture capitale dans mon adolescence, et bien plus qu’une lecture, une expérience. Je me rends compte que le texte a déjà 89 ans, mais moi je l’ai vécu au présent, et le présent se représente quand je le relis. J’avais une amie, Kiki, en qui je voyais une sorte de Nadja, elle dessinait un peu comme elle, et puis une autre camarade qui s’appelait Nadia, enfin Nadja était vivante çà et là, un peu partout, et moi j’entrais dans mes rêves la nuit, consciemment, et je voyais, je sentais le jour des choses qu’on ne voit pas. « Qui étions-nous devant la réalité, écrit Breton, cette réalité que je sais maintenant couchée aux pieds de Nadja, comme un chien fourbe ? Sous quelle latitude pouvions-nous bien être, livrés ainsi à la fureur des symboles, en proie au démon de l’analogie, objet que nous nous voyions de démarches ultimes, d’attentions singulières, spéciales ?  » Et : « J’ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l’air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne saurait être question de se soumettre. » Et encore : « Il se peut que la vie demande à être déchiffrée comme un cryptogramme. Des escaliers secrets, des cadres dont les tableaux glissent rapidement et disparaissent pour faire place à un archange portant une épée ou pour faire place à ceux qui doivent avancer toujours, des boutons sur lesquels on fait très indirectement pression et qui provoquent le déplacement en hauteur, en longueur, de toute une salle et le plus rapide changement de décor : il est permis de percevoir la plus grande aventure de l’esprit comme un voyage de ce genre au paradis des pièges. »


main de fatma-min (1)Nadja
est au vingtième siècle ce que sont les Illuminations au dix-neuvième, ce que sera Voyage au vingt-et-unième. Quelques jours avant de le relire, sans y penser – je m’en rends compte maintenant -, j’ai remis en pendentif la main de Fatma qui me fut offerte quand je vécus à Essaouira, et ce dimanche, sans y penser non plus, je suis allée avec mon amoureux au château et à la forêt de Saint-Germain-en-Laye, comme j’ai lu hier soir que l’avaient fait aussi Breton et Nadja. Je ne renoncerai pas à la pensée poétique, car elle seule donne la vie, sauve la vie, pour soi et pour le monde. « Qui vive ? Est-ce vous, Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? », demande-t-il. La Reine, dit Rimbaud, connaît la réponse.

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Raoul Hausmann, artiste, inventeur, écrivain, peintre, photographe, plasticien, danseur… bref, poète

raoul hausmann par august sanderRaoul Hausmann par August Sander

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raoul hausmann le_phoneme_jef_golyscheff-min (1)Raoul Hausmann : Le Phoneme Jef Golyscheff (in OU 38/39)

ses phonèmes en lettres, en images, et ses phonèmes en sons :

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raoul-hausmann-nu-28,-ile-de-sylt-(vera-broïdo)une de ses photos : Nu 28, Ile de Sylt (Vera Broïdo), 1931

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son film L’homme qui a peur des bombes, interprété par lui-même :


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et enfin, Dada à l’école des Chartes, avec cette excellente conférence d’Annabelle Ténèze sur les traces de Raoul Hausmann, où l’on voit nombre de ses autres oeuvres :


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« Philippe Soupault et le surréalisme », témoignage filmé par Bertrand Tavernier


Passionnant et magnifique, on ne voit pas le temps passer. Une leçon d’humanité, d’histoire, de poésie. Avec Alain Aurenche en interlocuteur. Et avec la musique d’Érik Satie. Soupault évoque un grand nombre d’artistes et de poètes qu’il a connus, de Charlie Chaplin à André Breton bien sûr, en passant notamment par Cendrars, ou Jarry, chez lesquels nous sommes allés, comme chez Satie, il y a quelques jours.