Imaginaire

Même du toit de la tour Montparnasse, les étoiles à Paris restent cachées, mais on peut contempler la ville, c’est très beau, et on peut aussi, avec un petit appareil photo, s’amuser à inventer des ciels profonds imaginaires…

et une tour Eiffel prête à décoller, entourée de petites flammes douces

photos Alina Reyes

 

Bonne nuit, bonjour !

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Vivre le ciel

photo Alina Reyes

 

Je poursuis et termine la lecture des Quarante Hâdîths authentiques de Ramadân choisis et commentés par le Dr Al Ajamî. Nous sommes entrés dans la dernière décade de ce mois, au cours de laquelle aura lieu la Nuit du Destin, la nuit où le Coran fut révélé, dont la date, dans la grande sagesse de Dieu, n’est pas fixée, mais seulement à rechercher, puisqu’il s’agit d’une expérience à vivre, dans les nuits impaires de cette troisième décade.

Voici, comme les fois précédentes, quelques phrases extraites de l’ouvrage.

« Dans la solitude des nuits de veille, le Coran comme unique lumière. »

« Ramadân est témoignage concret de l’unicité de Dieu, il est conformité au Prophète, il est prière, il est purification, il est Voyage vers Dieu, il est endurance, il est Jihâd, il est invocation, il est protection, il est révélation, il est solitude, il est communauté, il est difficulté, i est facilité, il est Miséricorde… »

« Le Jeûne est (…) en soi un non-acte. Ainsi, les portes du Paradis s’ouvrent-elles par l’abandon des biens de ce monde. Ce sacrifice éloigne d’ici-bas et rapproche de l’au-delà avec une acuité toute particulière. (…) À la différence des autres actes d’adoration qui sont par définition des actes visibles, tels la prière, la zakat, l’invocation, Ramadân n’a pas d’existence propre manifestée. En ce sens, en notre réalité concrète rien par essence ne peut lui ressembler. De par ce statut particulier, Ramadân possède une aptitude spécifique à écarter les voiles des réalités, il permet donc de mieux percevoir l’autre Réalité à quoi rien n’est semblable. Il est une passerelle, un isthme béni où se manifeste la Révélation et où sont réactualisés les ordres du Monde en la « Nuit du Destin ». »

Enfin, « À celui qui aura su sacrifier encore après l’épreuve, ou mieux, prolonger les joies et les lumières de Ramadân, ses états spirituels, comme le temps Réel, seront sans mesure ni fin. » (c’est moi qui souligne)

Et maintenant je voudrais lancer une passerelle en citant Louis Bouyer, dans Le Sens de la vie monastique :

« L’effet de cette ascèse pénitentiaire doit être en fin de compte de nous mettre devant Dieu dans l’état de gens qui savent qu’ils n’ont plus droit à ce qu’ils ont, si peu qu’ils aient. Il ne s’agit pas seulement de nous en inculquer l’idée. Nous devons aller ici au-delà de la simple psychologie. C’est d’ailleurs la raison dernière pour laquelle la tradition monastique a toujours considéré une ascèse purement spirituelle comme radicalement insuffisante. Il faut réaliser concrètement cette situation qui est la nôtre : non seulement se considérer comme pauvres, mais l’être de fait. Disons-nous bien que si le Christ n’a pas cru pouvoir relever notre misère autrement qu’en en prenant sur lui toute la réalité, il serait invraisemblable que nous puissions nous en tirer à moindre frais. Nous découvrons ici à quoi tient cette place envahissante qu’ont prise les pauvres dans la religion d’Israël. »

Et ce passage de la fin de Forêt profonde :

« L’homme n’habite le monde que lorsque le monde l’habite, l’homme est fractal, poème poète, appartenant au Poème, se démultipliant en poèmes, et quand il atteint son plus grand déploiement, à son tour créateur du Poème. Accrochée à la main d’Haruki, le suivant dans le flot des êtres que le vent tiède avait fait sortir de leur lit, j’étais la joie simple et mouvante d’une lettre avec les autres descendue là sur le quai, j’étais le a, le a a a, dans la confusion nous n’étions encore que des essais de voix de l’être au réveil mais déjà il me semblait entendre le chant qui viendrait. J’enlevai ma capuche, détachai mes cheveux, ouvris mon manteau. Je levai la tête et vis le ciel, à l’est, au-dessus de la Seine, s’ouvrir. Un long nuage très sombre se fendit par son milieu, de chaque côté de la faille les bords se surlignèrent d’or. Du trou, profond et argenté comme un puits, jaillirent lentement des sortes de comètes fuschia, indigo, blanches. Tout se referma et j’entendis une jeune fille dire : « la nuit du destin ! ». »

En attendant, n’oubliez pas, ce soir est une très bonne nuit, dégagée, pour observer les étoiles. Vous vous sentirez petit, mais c’est un si splendide voyage. Et c’est très important de contempler aussi avec ses yeux de chair. Au soir de votre vie, au moment de le rejoindre, pourrez-vous penser que vous avez assez contemplé et vécu le ciel, ou aurez-vous laissé passer les occasions de le faire ?

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L’Alpha et l’Oméga

photo Alina Reyes

 

Tel anonyme, mécontent de mon amitié pour l’islam, m’envoie ce message : « alina reyes virée de l’église », aussitôt suivi de celui-ci : « alina reyes juive ». L’islamophobie est une variante de l’antisémitisme. Qui se déclare contre l’antisémitisme sans se déclarer contre l’islamophobie est au fond antisémite, fût-il juif. Et qui se déclare antisémite est également au fond islamophobe, fût-il musulman. Quant au chrétien, qu’il prenne soin de ne pas croire que sa religion met l’homme à la place de Dieu. L’antisémitisme, et ses variantes l’islamophobie, voire l’antichristianisme, sont le symptôme d’un refus du fait qu’en premier comme en dernier lieu, l’autorité n’appartient pas à l’homme, mais à Dieu. Le judaïsme et l’islam étant les religions qui affirment avec le plus de force l’unicité de Dieu et de son autorité sont évidemment les cibles premières de l’homme qui veut s’imposer au lieu de Dieu, ou qui se sert du nom de Dieu pour imposer une volonté toute humaine. En vérité tout vrai croyant, ou pour le dire mieux tout vrai pauvre, quelle que soit sa religion ou son absence de religion, parce qu’il manifeste malgré lui que l’homme n’est pas le détenteur ni du premier ni du dernier pouvoir, déclenche le malaise, ou même la haine, ou l’acharnement destructeur, de l’homme qui refuse de voir en ce miroir sa propre petitesse.

C’est pourtant ainsi, petits, que nous sommes aimés, et que nous sommes grands.

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Les animaux désincarnés

photo Alina Reyes

 

J’étais assise sous un arbre en train de lire cette phrase de Triangle de pensées, d’Alain Connes : Étant donné un système logico-déductif non contradictoire, on ne peut pas formaliser sa cohérence de l’intérieur mais on peut formuler une proposition du type « la présente proposition est indémontrable ». En même temps exactement que je lisais ces derniers mots, une femme près de moi dit : « il n’y a vraiment pas un nuage aujourd’hui ». Et dans ma tête les deux propositions se chevauchèrent, si bien que je crus un instant que celle que je venais d’entendre était celle que je venais de lire. Je poursuivis ma lecture. La phrase suivante était : Une telle assertion n’est démontrable que si elle est fausse. Je levai les yeux vers le ciel et en effet je vis qu’elle était fausse, il y avait bel et bien des nuages dans le ciel bleu, quoique blancs, fins et discrets comme de la soie.

Depuis le début j’ai été mal interprétée, mal comprise, soupçonnée à tort de toutes sortes de choses, et je le dis dans l’espoir d’éviter cela à autrui une autre fois. Car cette misère aurait pu être évitée tout simplement par un vrai face à face avec mes interlocuteurs, un face à face d’homme à homme, où la présence réelle parle suffisamment pour que la vérité paraisse et prenne la force des relations d’honneur, telles que les hommes peuvent en connaître quand ils ne comptent pas sur la technologie et autres artifices de communication où mijote à son aise le diable. Incarnation, incarnation !

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Pourquoi et comment

Si l’homme souvent ne sait pas ce que dit et veut ce qu’on appelle son inconscient, et qui est en vérité sa réelle conscience, occultée par le moi et le monde, son corps, lui, le sait. C’est pourquoi son corps vit, est en joie, respire, danse, chante, bondit, souffre, agonise, féconde, conçoit, accouche, revit, etc. C’est pourquoi nous disons que Dieu s’est incarné à partir du moment où un homme, le Christ, en allant par amour au bout de ce que peut un corps, nous a rendus conscients de son incarnation, même si cette conscience est encore très floue, comme dans un miroir pour reprendre l’expression de saint Paul. Or un jour nous verrons face à face de quoi il s’agit, qu’est-ce qu’un corps, pourquoi il contient la conscience, pourquoi il peut franchir ses limites, et pourquoi et comment il peut ressusciter, même après sa mort physique.

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Point

Il y a incompatibilité entre mon projet et le fait de ne pas aimer l’islam (comme on me le fait savoir),  et il est inacceptable de travailler à sa mise en œuvre en m’en laissant à l’écart, en croyant me résoudre à voir son esprit trahi par des appâts de pouvoir, de concurrence, de paraître. Nul ne peut servir deux maîtres. Qu’on se tourne donc vers le bon.

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