Épée

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image Alina Reyes (juin 2012) (« procession des hommes/procession des anges »)

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Je l’ai raconté dans Ma vie douce, toute jeune je rêvai une nuit que, ayant trouvé un petit miroir où je me regardai, j’y vis L’homme à l’épée.

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11 C´est Nous qui, quand l´eau déborda, vous avons chargés sur l´Arche

12 afin d´en faire pour vous un rappel que toute oreille fidèle conserve.

13 Puis, quand d´un seul souffle, on soufflera dans la Trompe,

14 et que la terre et les montagnes seront soulevées puis tassées d´un seul coup ;

15 Ce jour-là alors, l´Evénement se produira,

16 et le ciel se fendra et sera fragile, ce jour-là.

17 Et sur ses côtés [se tiendront] les Anges, tandis que huit, ce jour-là, porteront au-dessus d´eux le Trône de ton Seigneur.

18 Ce jour-là vous serez exposés; et rien de vous ne sera caché.

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Sourate 69, Al-Haqqa, La Vérité, à écouter, lire en arabe, en phonétique et en français ici.

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Le verbe haqqa, d’où vient le mot Haqqa, qui est l’un des noms de Dieu et donne son titre à cette sourate (La Vérité, L’Inéluctable… L’Heure ou Le Jour de vérité), signifie d’abord : venir chez quelqu’un. Où nous voyons que messianisme et vérité sont intimement liés. Ce verbe signifie aussi : frapper quelqu’un au milieu du crâne, ou  sur le creux de la nuque. Et : faire juste, tomber, frapper juste. Et : devoir absolument arriver. Et : savoir avec certitude. Le mot comporte les sens de justesse, et aussi de justice.

Tout étant lié, quand le ciel est fendu et la terre frappée, c’est que la vérité vient frapper à notre tête.

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Dialogue d’un cheikh et d’un rabbin

Une série d’émissions faisant dialoguer des représentants des trois religions monothéistes, dont voici la dernière en date. On y entend bien des thèmes et des remarques qui entrent en lien avec ce qui se dit sur ce site au fil des jours. (Et n’oublions pas : ne soyons pas idolâtres, ne nous prenons pas pour Dieu en voulant faire ce que lui seul peut faire). En espérant que comme moi vous serez au paradis en écoutant ce dialogue sur les choses de Dieu, ces paroles qui touchent nos racines.
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Sagesse des Pèlerins

 

Le premier mot de la Bible est bereshit, qui signifie  au commencement, en premier, et qu’il est aussi possible de traduire, comme je l’ai fait dans Voyage : dans le plus précieux. Le dernier mot du Coran est an-nasi : les hommes. Voici le résumé de l’histoire de la Révélation :  Dans le plus précieux, les hommes.

Et cela au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, selon les premiers mots du Coran, et la grâce du Seigneur Jésus avec tous, selon les derniers mots de l’Évangile, qui commence en rappelant que Jésus est né fils de David, fils d’Abraham, comme les juifs, donc, et comme les musulmans aussi.

Au verset 67 de la sourate 22, Le Pèlerinage, il est dit : À chaque communauté Nous avons institué un ensemble de rites qu’elle doit observer. Qu’ils cessent donc de discuter avec toi l’ordre reçu ! Implore plutôt ton Seigneur, car tu es assurément dans le droit chemin. Au verset 40 de la même sourate, il est dit : Si Dieu ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom de Dieu est beaucoup invoqué. Que Dieu « repousse » les gens les uns par les autres signifie qu’il veille à ce que règne une diversité de communautés et de rites, afin justement d’éviter la destruction de toute maison où Il est invoqué. La non-diversité, c’est la mort. Dieu veut et aime la diversité, toute sa création le prouve. De même que la diversité est nécessaire dans le monde naturel, elle est nécessaire aussi dans le monde spirituel. Même si cela peut irriter les hommes aux rêves totalitaires, ainsi est la volonté du Ciel.

Le verset 15 de la même sourate dit : Celui qui pense que Dieu ne le secourra pas dans l´ici-bas et dans l´au- delà, qu´il tende une corde jusqu´au ciel, puis qu´il la coupe, et qu´il voie si sa ruse va faire disparaître ce qui l´enrage. Qu’est-ce que cela signifie ? Le mot sabab, corde, employé avec le mot ciel, signifie les voies du ciel ; c’est un mot qui désigne aussi le lien de parenté, et aussi les moyens, et encore la cause, la raison. Qui veut donc couper son lien de parenté, qui est au ciel, qui veut couper les moyens, la raison et la cause de la vie, qui sont au ciel, qu’il voie donc si cela va arranger le monde selon son désir, ou si ce n’est plutôt lui qui va devoir, d’une façon ou d’une autre, se plier à la volonté du ciel.

Sagesse des Pèlerins est le titre du livre que je prépare comme vademecum pour les voyageurs, Voyage étant plutôt destiné à la lecture dans les maisons, s’il plait à Dieu.

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Les vieux et les jeunes

photo Alina Reyes

 

L’un de mes fils, alors jeune adolescent, aimait beaucoup parler avec ce vieux Japonais qui fut un temps notre voisin, comme nous avons aimé parler l’autre soir avec Maï, la vieille vietnamienne, et comme, adolescente moi-même, j’aimai ce vieux Crétois dont je parle dans Voyage. Enfant, je n’étais attirée en rien par le monde des adultes, le monde des adultes étant trop souvent celui du « vieil homme », comme dit dans l’Évangile, l’homme qui a perdu la fraîcheur et la gratuité de l’être. Et la poésie que je cherchais dans la vie, je la trouvais chez ma grand-mère, mes grand-oncles et grand-tantes, que j’allais voir souvent, heureuse de leur paix, de leur fantaisie, de leur liberté. Ils étaient des icônes du temps, le temps apaisé, assumé, en train d’entrer dans l’éternité. Je me projetai dans leur âge, la vieillesse m’était une douce promesse. J’ai toujours aimé voir les vieux assis sur des chaises au soleil devant leur porte, laissant le temps passer. Mais que sont-ils devenus, ces vieux ? Les vieux du monde riche ne veulent plus être des vieux. Alors moi, devenue grand-mère encore jeune, j’ai laissé blanchir mes cheveux, et j’en suis heureuse. Si Dieu me donne une longue vieillesse, tant mieux. Et elle sera d’autant plus longue que je l’aurai commencée jeune. S’il me rappelle plus tôt, eh bien, du moins aurai-je déjà goûté à cet âge qui m’est ce qu’il doit être, une seconde enfance, plus accomplie.

C’est une belle chose que François, dans l’avion qui l’emmenait au Brésil, ait dit vouloir « encourager les jeunes à vivre insérés dans le tissu social avec les personnes âgées ». Cela fait aussi partie du projet des Pèlerins d’Amour, la communion des générations comme elle avait lieu autrefois, mais dans les nouvelles formes que peut engendrer le nouveau monde. La communion entre la jeunesse et la vieillesse unifie l’être, rend le jeune fort et serein devant le temps qui l’attend jusqu’au terme de sa vie, et donne aux vieux la grâce de réunifier leur vie et d’être ce qu’ils doivent être, d’humbles lampes pour le monde avant de le quitter.

Voici les lignes qui parlent de Nikolaos, le vieux Crétois, à la fin du livre de Voyage intitulé Dans la montagne. En parlant de moi, c’est de tous les jeunes qu’elles parlent :

 

En 2002, une nuit en dormant, j’ai vu en rêve le temps, et il pensait. En fait il réfléchissait à moi. Il était une sorte de paille à travers laquelle l’être montait, aspiré, et dans laquelle en même temps il était fait, formé. Dans mon rêve je savais que le temps était en train de spéculer sur mon compte, et que lorsqu’il saurait, je serais aspirée et formée pour la forme dans laquelle j’étais prévue.

Maintenant que je me rappelle de ce rêve comme si je l’avais fait la nuit dernière, en tombant par hasard sur un ancien cahier où je l’avais noté, je me rappelle aussi ce que m’avait dit un Crétois rencontré sur son île quand j’avais dix-sept ans. Que je serai très belle un jour – mais j’avais tout de suite senti que ce message disait autre chose que ce qu’il semblait dire, qu’il parlait du temps, de la beauté du temps, de mon être dans le temps.

Je pense à Nikolaos le vieux pêcheur de Loutron, où l’on ne parvenait qu’en petit bateau, rencontré au cours de ce même voyage, à qui j’avais longuement tenu la main dans sa maison, il était peut-être le Christ tandis que nous étions à table à picorer avec sa femme et d’autres pêcheurs, et puis qui avait dénoué son turban de sa tête, et l’avait noué sur la mienne.

Tout est présent, le temps est vivant, tout l’être est présent et communie.

 

Je vois un feu de braises, avec du petit poisson posé dessus, et du pain.

 

Banalité du mal, essentialité du bon

à Paris, photo Alina Reyes

 

« Malgré tous les efforts de l’accusation, tout le monde pouvait voir que cet homme n’était pas un “monstre” ; mais il était vraiment difficile de ne pas présumer que ce n’était pas un clown. Et comme une telle présomption aurait été fatale à toute l’entreprise, comme il était aussi assez difficile de la soutenir vu les souffrances qu’Eichmann et ses semblables avaient infligé à des milliers de personnes, ses pires clowneries passèrent quasiment inaperçues et l’on n’en rendit jamais compte. » Clowneries, ou, comme je les appelle dans Voyage, singeries de l’homme qui se ment.

« Il est dans la nature même du totalitarisme, et peut-être de la bureaucratie, de transformer les hommes en fonctionnaires, en “rouages” administratifs, et ainsi de les déshumaniser », écrit aussi Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem. J’ai trouvé ces extraits de son livre, que je n’ai pas lu, sur internet, tout à l’heure en revenant du cinéma où je suis allée voir le film Hanna Arendt, dont j’ai aimé le caractère très incarné, la mise en place assez puissante des questions du mal et de la vérité. Aujourd’hui la thèse de la philosophe sur la banalité du mal est largement reconnue, l’histoire et le recul ont mis en évidence cette vérité qui fit scandale à l’époque. Les totalitarismes déshumanisent les hommes, notamment par la machine bureaucratique, en sorte qu’ils soient amenés à obéir aux ordres sans pouvoir distinguer le mal du bien. C’est ce que Arendt observa chez Eichmann et tous les exécutants de son genre, des hommes ordinaires et non pas des monstres, qui n’ont aucun sentiment de culpabilité, se justifiant par le fait qu’ils obéissent à la loi. Une loi inversée : ce n’est plus « tu ne tueras point », mais « tu tueras ». Or, dit-elle en substance, le rôle de la pensée est de permettre de distinger le bien et le mal ; l’horreur est rendue possible du fait que ses exécutants, déshumanisés, ne pensent pas.

Je ne prétends évidemment pas entrer en discussion avec la pensée d’Hannah Arendt, que je n’ai pas encore lue. Seulement donner quelques éléments de méditation à partir de ces grands axes de sa pensée exposés dans le film. Montrer, comme elle l’a fait, comment des systèmes totalitaires en viennent à produire et faire produire le plus grand mal constitue un dévoilement capital de la vérité, et nous sommes avisés si nous continuons à débusquer les formes de totalitarisme qui se cachent derrière des systèmes politiques plus… politiquement corrects. Mais ceci fait, reste à se poser la question : pourquoi cela fonctionne-t-il ? Pourquoi l’homme se laisse-t-il déshumaniser ? Pourquoi obéit-il quand on lui demande de faire quelque chose de mal ? Je ne me situe pas ici depuis le terrain de l’organisation politique, mais depuis le cœur de l’homme.

Il me semble que la déshumanisation n’intervient pas sans son accord. Le totalitarisme a besoin pour fonctionner d’un réseau auquel l’individu abdique son libre arbitre. Le réseau le séduit en pensant pour lui et en le déresponsabilisant des actes qu’il lui fait accomplir. Cela suffit-il à le déshumaniser ? En partie seulement. Car si puissant soit-il, le réseau ne peut arracher du cœur de l’homme ce qui y est inscrit de toute éternité : la connaissance du bien et du mal. (Rappelons que dans la Bible, c’est Dieu qui donne à l’homme cette connaissance, en lui désignant le bon et le mauvais, le bénéfique et le mortel, l’interdit – le serpent ensuite ne fait que singer Dieu en prétendant offrir la connaissance du bien et du mal, cette connaissance qu’Ève et Adam ont déjà, et que la parole du serpent inverse, comme le fait le discours totalitariste). Il se peut que cette connaissance du bien et du mal soit tellement enfouie dans le cœur de l’homme qu’il l’ait comme oubliée. Mais elle y est, et au moment de faire le mal qui lui est suggéré ou ordonné, l’homme sait qu’il s’agit du mal. S’il l’accepte, c’est qu’il ne veut pas le savoir.

Si l’homme ne savait pas qu’il va faire quelque chose de mal, la propagande ne serait pas obligée de lui représenter que c’est « pour la bonne cause ». L’homme qui accepte d’entrer dans la voie du mal, même s’il a l’impression que c’est celle du moindre mal, ou d’un mal insignifiant, entre dans la voie de sa déshumanisation. Il peut y avoir alors en lui un combat pour le repentir et la réintégration de sa pleine humanité, de sa liberté perdue. Et le combat peut être gagné. Cela se produit sans cesse. Mais autre chose peut se produire et se produit aussi, c’est que l’homme n’ait pas la force de gagner le combat. Ou qu’il n’en ait pas le désir. Alors s’installe une épaisse cuirasse autour de son cœur, où se trouve la connaissance innée du bien et du mal, qu’il lui faut absolument enterrer. Une fois enterrée la source de son humanité, l’homme est spirituellement mort, déshumanisé. L’homme s’est déshumanisé pour ce frisson qu’il s’est donné de transgresser. La banalité du mal vient du désir secret de transgression, comme frisson qui fait sortir de la banalité de l’être. Très bien cachée ou non, il y a une jouissance du mal, la jouissance de satisfaire le ressentiment de l’homme envers ce qu’il est. Et cette satisfaction est décuplée si elle peut s’exercer à l’encontre de ce que l’on soupçonne d’être moins banal que soi-même, d’une façon ou d’une autre.

Si bien que nous pouvons retourner la vision de la banalité du mal. Au plus profond, ce n’est pas le système politique qui crée la banalité du mal, c’est le sentiment de la banalité de soi qui crée le système politique qui va permettre de prendre la voie de la banalité du mal, la justifier, la fournir comme un infaillible fournisseur de drogue. Et si l’absence de pensée, involontaire ou délibérée, facilite la sujétion au mal, il est encore plus remarquable que bien souvent c’est l’élaboration d’une pensée qui lui sert de porte et de marchepied (pensons au cas d’Heidegger, dont la pensée du Volk et de « l’être pour la mort » continue dans le temps, de façon ouverte ou non, son œuvre morbide comme justificatif philosophique de maints nationalismes, de l’impérialisme à l’occidentale au sionisme et à l’islamisme politique). Les systèmes totalitaires sont les instruments de vengeance que se créent les hommes contre ce qui est libre et vivant, et dont ils se sentent incapables, ou dont ils ne se sentent pas à la hauteur. C’est pourquoi il faut inlassablement enseigner aux hommes combien, du seul fait d’être, ils échappent en vérité à la banalité, combien ils ont été conçus uniques, grands et beaux dans leur humilité, et combien leur salut et leur bonheur se trouvent dans le refus du mal et le choix de la bonne voie, toujours de nouveau possible.

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Amour

 

Debout avant quatre heures pour le repas d’avant l’aube – un bol de flocons d’avoine aux raisins secs, un demi-litre de thé vert au gingembre, froid, préparé la veille, une cuillerée de miel – puis les prières – l’islamique, la chrétienne -, méditation, un peu de lecture, contemplation du jour qui se lève à la fenêtre – les cris des martinets -, douche rafraîchissante, ma robe de coton blanc, un peu de piano, tout doucement pour ne réveiller personne – premier déchiffrage, main droite puis main gauche du premier Prélude du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach – il y a longtemps que je n’ai pas joué, bonheur. Toutes les fenêtres sont ouvertes pour quelques minutes encore, petits bruits de temps en temps dans la cour, très légers, comme si tout le monde s’inclinait devant la grande chaleur qui s’annonce – les martinets eux-mêmes sont plus discrets. Le monde retient son souffle. Une attente d’amour. Splendeur de la vie.

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