Ordre

 

« Ils t’interrogent au sujet de l’Esprit (al-Rûh). Réponds-leur : l’Esprit procède de l’Ordre de mon Seigneur et vous n’avez reçu que peu de science [à son sujet]. »
Coran, sourate 17, Al-Isra, Le Voyage nocturne ou les Enfants d’Isrâ’il, verset 85, traduction AbdAllah Penot.

Pèlerins d’Amour, hommes et femmes, voyageurs du jour et de la nuit, pareils aux anges, pareils aux abeilles, aux papillons, humains sortis de leur cocon, essaimant dans le monde la divine miséricorde.

Transportant le pollen de tout ce qui fut écrit, depuis le premier mot de la Genèse jusqu’à la dernière parole du Coran, réalisant ce qui fut dit dans le Messie. C’est aujourd’hui que ce qui fut raconté arrive. Et ce qui fut annoncé, nous l’assumons.

*

*

*

Plénitude, enfantement, éternité

 

Passé une bonne partie de l’après-midi à lire le Coran, dans la traduction agréable (autant que le format du livre, en édition bilingue, chez Alif Éditions) d’AbdAllah Penot. Arrivée au verset 120 de la sourate An-Nahl, Les Abeilles, je lis : « Ibrâhim constituait à lui seul une communauté ». Cette phrase me remplit de joie. Quelle meilleure façon de dire la plénitude ? Je regarde le texte arabe, il dit : « Voici, Abraham était une oumma ». André Chouraqui, toujours au plus près des mots, traduit : « Ibrâhim était une matrie ».

Justement, un peu plus tôt, j’avais songé à la Vierge Marie, en lisant un passage (Coran 13, 39) où était évoquée Oum al Kitab, la Mère du Coran, le prototype du Livre au ciel, qui, dit le Coran, est auprès de Dieu, lequel y écrit comme il veut. Oum al Quran est aussi un nom de Al Fatiha, L’ouvrante, la première sourate, dont les sept versets contiennent l’ensemble du Livre. Ouvrant mon dictionnaire, je vois que la Vierge Marie est appelée Oum an Nûr, Mère de la Lumière.

*

Mon joug est facile et mon fardeau léger

cet après-midi au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Pour pouvoir renoncer au péché, il faut se savoir capable de ne pas succomber aux tentations. Voilà ce qu’enseigne, par la pratique, le jeûne de Ramadan. Et quiconque est correctement disposé envers ce jeûne, c’est-à-dire s’y dispose sans a-priori, se rend compte qu’il est très facile. Il est très facile de renoncer à boire et à manger, même pendant dix-huit heures de jour et par temps chaud comme en ce moment. Certes la fatigue se fait sentir, augmentée par la perturbation du sommeil, mais à moins de se trouver en situation de danger (insolation ou autre), nous sommes tout à fait équipés physiologiquement pour affronter le jeûne. Et ce n’est pas une bien grande épreuve que de renoncer à manger, boire, avoir des relations sexuelles, pendant quelque temps. C’est seulement une épreuve de patience, et tous les pauvres en esprit connaissent la patience. Les femmes enceintes. Les parents qu’un nouveau-né empêche, des mois durant, de dormir commodément, et qui s’en accomodent avec grâce. Les marcheurs. Les humbles, tous ceux qui ne croient pas que tout leur est acquis, ou qu’ils peuvent tout diriger, mais qui savent que tout vient à son heure, et souvent sous une forme inattendue.

L’ascèse met en évidence les limites de l’homme (la soif, la faim…) et en même temps la facilité qu’il y a à dépasser ces limites. Une fois que par l’ascèse l’homme a compris qu’il lui est aisé de renoncer au péché, il lui faut accomplir un bien plus grand renoncement : il lui faut renoncer à sa condition de pécheur. Le péché est le divertissement de l’homme, et l’homme a peur, et plus que peur, l’homme est épouvanté à l’idée de se retrouver sans divertissement, face à sa propre nudité, qu’il prend pour un mortel néant. Compliquer les relations avec autrui, chroniquement et parfois jusqu’au pire, lui paraît un enfer préférable à ce saut dans le vide que lui semble être la pureté d’être et de relation. L’homme a peur de la lumière, de la simplicité de l’amour, de la grâce, de la joie profonde. Ce royaume, quand il le rencontre, l’attire, mais il ne veut pas y croire. De toutes ses forces de terrorisé, il lui faut en douter. Il lui faut se couvrir comme d’une armure de son péché, afin de n’en être pas réduit à néant. Et oui, en effet, ce royaume réduit à néant tout le vieux système, la machinerie maline par lesquels l’homme croit se protéger du néant. Mais ce royaume est celui de la vie éternelle, où nous n’avons plus jamais faim ni soif, comme dit l’Apocalypse.

Nous entrons dans la deuxième décade de Ramadan, celle du pardon de Dieu. (La première est celle de sa bénédiction, la dernière celle du salut – l’arrachement à l’enfer). Un jour l’homme saura qu’au-delà de l’homme, il est un lieu où le pardon n’est plus une question, où il se vit plus aisément et sans y penser que nous ne respirons, et où il n’a pour ainsi dire plus lieu d’être, tout arrivant et se produisant dans la douce perfection de la grâce.

 

Sagesse

Seigneur, quand auront-ils la foi ? Quand écouteront-ils ta parole qui ne cesse de leur venir, accompagnée de tes signes, de plus en plus pressants ? Comme ils sont entêtés, accrochés à leurs biens, aux associés qu’ils veulent t’imposer dans la gestion de ce qui ne leur appartient pas, le gouvernement de la vie ! Comme ils ne savent pas donner, ni s’abandonner à Toi, ni embrasser leur prochain, tout leur prochain ! Seigneur, accorde-leur un peu de temps encore, que retourne leur cœur ! Seigneur, j’attends et je jaillis, lumière qui repose en ton cœur et en flue selon ses battements, toute grâce et donnée à boire et à manger. Quelle indicible joie, là-haut, dans ton berceau, ta beauté, qui palpite en ton sein et s’étend sous tes pieds, sous nos mains ! Ô venez, amants du jour, à sa voix qui appelle où il va se lever !