Voici la dernière partie de notre lecture du livre spirituel du génial mathématicien, avec ce choix de passages – les précédents sont ici et ici (sur la création). Le livre peut aussi être lu en entier en pdf.
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« Car la laideur est de l’homme seul et non de la nature, et notre laideur et celle des autres est là comme une tâche et comme une l e ç o n pour être apprise et connue, comprise et assumée, et comme une é p r e u v e pour être surmontée…
C’est pourquoi aussi un soi-disant « art » qui cultive « le beau » en fuyant « le laid » comme la peste, n’a d’ « art » que le nom. Il est non seulement stérile, mais de plus (et les deux vont de pair), il dégage un ennui mortel, l’ennui des choses f a u s s e s, des choses insipides que seul l’homme sait produire ! L’amour n’est pas moins réel ni moins grand parce qu’il y a un pot de chambre sous le lit des amants, ni la mort un passage moins crucial pour l’âme et un processus moins essentiel et moins créateur dans le flux puissant de la vie, parce que les chairs de ce qui fut un corps vivant se faisandent et que leur odeur peut-être nous incommode, ni l’enfantement et la naissance d’un nouvel être un événement moins marquant et une expérience moins profonde pour la mère et pour l’enfant, parce que les draps de l’accouchée sont maculés peut-être d’urine et de sang… »
« La résonance « spirituelle » dans ma connaissance du feu est d’ailleurs forte et irrécusable (et il n’y a pour moi qu’il en était de même de la connaissance que mon père avait des âpres hivers de la Russie). Il y a un sens très vif de la beauté et d’une certaine qualité v i v a n t e du feu. Je souffre quand je vois un feu maltraité et malheureux, chose qui n’est pas si rare hélas. La façon dont quelqu’un s’occupe d’un feu en dit beaucoup sur lui, y compris sûrement au niveau spirituel. Tout est relié, et notre être s’inscrit dans chacun de nos faits et gestes. »
« Ce sceau du Groupe sur l’être en formation, transmis qu’il est par les êtres adultes de son entourage déjà marqués par ce même sceau et qui se bornent à perpétuer aveuglément les mutilations reçues par eux-mêmes, ne changera sa nature, viscéralement et foncièrement ignorante des processus créateurs et ennemie de tout signe d’autonomie intérieure du jeune enfant, et l’ambiance qui entoure celui-ci ne changera radicalement de nature, que si les hommes qui constituent le Groupe ont déjà changé.
Depuis ses origines, l’humanité est restée bloquée spirituellement dans ce cercle vicieux, dont la boucle d’acier me paraît tout aussi tenace aujourd’hui qu’elle le fut jamais – le réflexe du troupeau me paraît marqué dans la psyché humaine aussi profondément et de façon aussi généralisée que jamais. Si « progression » il y a, elle n’est en tout cas pas dans un quelconque affaiblissement de ce réflexe, et des attitudes d’irresponsabilité personnelle qui l’accompagnent. Bien au contraire, cette irresponsabilité me paraît aujourd’hui plus grande peut-être qu’elle ne le fut jamais, encouragée qu’elle est encore par la mainmise de plus en plus envahissante de l’État et de ses institutions sur la vie personnelle de chacun. »
« À mesure qu’un être mûrit spirituellement (…) c’est la qualité de vérité, d’authenticité de ses actes, ou au contraire leur caractère « faux », factice, « facile », ou mécanique, qu’il aura tendance de plus en plus à prendre comme mesure de leur caractère « bienfaisant » ou « malfaisant », comme la mesure du « bien » et du « mal ». C’est ce discernement délicat, jamais acquis, toujours à renouveler dans toute situation nouvelle à laquelle il se trouve confronté, en tenant compte de « la loi » simplement comme d’une contrainte parmi d’autres plus ou moins impérieuses suivant les circonstances, qui de plus en plus lui tiendra lieu de lumière pour éclairer et pour guider ses actes ; en accord avec la loi s’il est possible, et à son encontre s’il le faut, et dans un cas comme dans l’autre, tant spirituellement que pratiquement, à ses propres risques et périls. »
« Certes, il n’y a rien de plus fréquent que la conviction à bon compte d’avoir bien agi. Les pires abominations se commettent dans l’inébranlable conviction de faire ce qu’on a à faire (avec le plus souvent l’approbation totale et unanime du Groupe auquel on s’identifie, est-il besoin de le dire…), d’être on ne peut plus « en règle avec sa conscience » (qui a toujours bon dos). Sans doute même ne pourraient-elles pas s’accomplir sans cela, et en tout cas pas en pleine connaissance de cause. Mais cette conviction, tout comme ce qu’on appelle communément « la conscience » proviennent du moi, elles n’impliquent pas les couches tant soit peu profondes de la psyché et ne sont nullement le reflet ou la source d’une véritable connaissance. Ces convictions font partie des accessoires du rôle que nous avons choisi de jouer, et cette « conscience » (qu’elle soit « bonne » ou « mauvaise », peu importe la différence…) fait partie du livret. Ces simagrées-là se déroulent dans les couches périphériques de la psyché. Et je n’ai aucun doute que dans ce cas si commun, celui du sempiternel « cinéma » qu’on joue à soi-même, on est toujours parfaitement au courant du jeu qui se joue. Mais cette connaissance reste à fleur de conscience, et au besoin est refoulée dans les parties plus ou moins profondes de l’Inconscient. »
« Cette voix-là [celle de la bonne ou de la mauvaise conscience] n’est ni plus ni moins que celle du Censeur, fidèle Gardien de la Loi et des processus du Groupe intériorisés par l’ego. J’ai parlé dans le texte principal de la « bonne » conscience (« à bon compte »). Pour ce qui est de la mauvaise, je donnerai comme exemple instructif (parmi des millions similaires) celui du commandant de camp de concentration SS qui à coup sûr, le jour où il n’arrive pas (pour des raisons techniques indépendantes de sa bonne volonté manifeste) à remplir son « quota » quotidien de juifs à faire passer au four crématoire, ne manquera pas d’avoir mauvaise conscience vis-à-vis du Fürher et de la Nation germanique ; tout au moins si c’est un homme de scrupule et de devoir digne des hautes responsabilités à lui confiées. »
« Ainsi l’acte « bon » ou « bénéfique », celui qui œuvre « le bien », n’est plus pour moi celui dont les conséquences prévues me paraissent telles, ni celui accompli dans de louables intentions, et encore moins l’acte « licite », conforme à la loi ou aux usages, mais bien l’ a c t e f e r t i l e spirituellement. Et si modeste et si humble soit-il, l’acte fertile pour celui qui l’accomplit est aussi l’acte fertile pour tout autre être et pour tout l’Univers dans sa totalité. Un tel acte ne présuppose chez celui qui l’accomplit aucune connaissance sur la nature de l’acte et sur ses effets possibles, probables ou certains, ni immédiats ni lointains. Il ne présuppose aucune maturité spirituelle ou mentale particulière. L’acte fertile n’est autre que l’ a c t e a u t h e n t i q u e, c’est-à-dire celui accompli dans un é t a t d e v é r i t é d e l’ ê t r e. Un tel acte est accessible à chacun à tout moment, en toutes circonstances, conformément à son propre libre choix. Accomplir un tel acte, c’est simplement être fidèle à soi-même, à « ce qui est le meilleur en nous ». C’est simplement « être soi-même » en acquiesçant à son propre devenir spirituel, c’est véritablement être, et c’est véritablement d e v e n i r. »
« Je voudrais revenir encore sur l’ é t a t d e v é r i t é. C’est donc là l’état créateur au plan spirituel, l’état « pleinement créateur » dont sourd l’œuvre spirituelle. On peut aussi le décrire comme l’état d’une c o m m u n i o n avec l’Hôte invisible, avec Dieu en nous : l’ é t a t d’ é c o u t e d e l a v o i x i n t é r i e u r e, de cette voix qui nous souffle, en chaque moment où nous faisons silence, ce qui est essentiel pour éclairer notre libre choix vers « l’acte juste » qui correspond aux exigences de ce moment. Cette écoute créatrice n’est pas l’écoute passive, celle qui se borne à « prendre connaissance », mais une é c o u t e e f f i c a c e, rendue telle par la foi en ce qui est entendu. En cette foi immédiate et nue gîte l’étincelle prête en tout moment à fuser, à embraser et à se transformer en acte créateur – tel un feu qui jaillit et saisit et transforme un bois mort en chaleur et en flammes ! C’est elle, la foi, la virginale ardeur de l’âme qui éveille la force enfouie ou assoupie au fond des souterrains et qui libère, anime et soutient. C’est elle qui transforme brebis moutonnière en aigle, au vol puissant et solitaire… »
« Il semblerait que dans les Desseins de Dieu sur l’homme, ce soient la liberté et la responsabilité humaines qui soient la p r i o r i t é p r e m i è r e e t i n v i o l a b l e, alors que le temps, les errances, les errements et la souffrance (se prolongeant à l’infini et sans mesure aucune, dirait-on…) ne soient pas pour Lui de la moindre conséquence ; si ce n’est, uniquement, en tant que p r i x pour l’ultime fruition de ce « premier », comme la v o i e vers l’épanouissement ultime de la libre créativité de l’être. »
« Tout acte créateur, si infime qu’il puisse paraître, et alors même qu’il semblerait à jamais perdu et oublié, est un c o m m e n c e m e n t, géniteur fécond d’une suite sans fin d’actes issus de lui qui le continuent et le parachèvent. Toute création, en tant qu’œuvre qui n’est pas que de l’homme mais aussi de Dieu, a vie et valeur éternelle. »
« Pour moi ça avait été le magouillage généralisé scientifiques-militaires qui avait fini par me mettre en marche. Pour un autre c’était le bruit de nuit et de jour qui soudain lui apparaissait dans toute sa dimension démentielle. Pour un autre encore, l’air même qu’il respirait, auquel il n’avait jamais prêté attention et qui, il le sentait bien à présent, insidieusement le rongeait. Ou des longues études dans lesquelles on s’était investi avec une conviction de commande et dont on découvrait, dans une clarté soudaine et fulgurante, qu’elles n’avaient aucun sens – une simagrée de singes dressés ! Tel autre expulsé de chez lui avec les siens à brève échéance, par quelque sombre spéculation immobilière. Ou la muette menace d’une centrale nucléaire non loin de là (…) Pour ces hommes et ces femmes (et bien souvent des gosses aussi, dont la carapace isolante est moins épaisse et moins étanche), de découvrir qu’ils n’étaient pas seuls de leur espèce, que d’autres avaient passé et passaient par de tels caps et ne craignaient pas d’en parler, était une délivrance. Le travail le plus utile, je crois, que nous avons pu faire par le moyen du groupe et de son bulletin, c’était d’aider certains parmi eux à sortir de cet isolement, vécu souvent comme une tare et comme une impuissance, et à se découvrir porteurs d’un mouvement qui les dépassait autant qu’il dépassait le petit groupe aux moyens ô combien modestes que nous formions. »
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