Au cinéma porno selon Haruki Murakami

Elle dévorait le film des yeux, le regardait avec passion. Je reconnus avec admiration que si c’était pour le regarder avec autant de zèle, cela valait bien le prix du billet. Et puis, elle me faisait des commentaires : « Regarde-moi ça ! », ou : « C’est épouvantable, je ne tiendrais jamais le coup s’il y en avait trois à la fois pour me faire tout ça ! », ou encore : « J’aimerais bien essayer ça. » Je trouvais bien plus amusant de la regarder, elle, plutôt que le film.

À l’entracte, profitant de l’éclairage dans la salle, je regardai autour de moi, et il me sembla qu’il n’y avait pas d’autre spectatrice que Midori. Un jeune homme qui avait l’air d’un étudiant et qui était assis près de nous alla s’asseoir plus loin en l’apercevant.

« Est-ce que tu bandes quand tu vois ça ? me demanda-t-elle.

Sans titre, peint cet après-midi

Sans titre, peint cet après-midi

– Eh bien oui, de temps en temps. Ce genre de films ont été fabriqués dans ce but, non ?

– Et tu crois que quand il y a des scènes suggestives, les gens qui sont là se mettent tous à bander dans un bel ensemble ? Tu les imagines, trente ou quarante, d’un seul coup ? Cela ne te semble pas curieux, quand on y pense ? »

Je lui dis qu’après tout elle avait sans doute raison.

Le deuxième film fut d’autant plus ennuyeux qu’il était plus sérieux. Il y avait de nombreuses scènes de sexe oral, et, à chaque fois qu’il y avait une fellation, un cunnilingus ou un soixante-neuf, la salle résonnait de gros bruits de succion ou d’aspiration. En entendant ces bruits, j’avais la curieuse sensation de vivre sur une bien étrange planète.

« Je me demande qui peut bien avoir l’idée de bruits pareils, dis-je à Midori.

– Je les aime beaucoup », me répondit-elle.

Il y avait aussi les bruits de va-et-vient du pénis à l’intérieur du vagin. Jusqu’alors, je n’avais jamais pris conscience que ça existait. Les hommes respiraient bruyamment, tandis que les femmes haletaient, en prononçant des mots plutôt ordinaires, comme : « C’est bon », ou : « Encore ». On entendait aussi grincer le lit. La scène se prolongeait. Au début, Midori regardait avec amusement, mais bientôt elle en eut assez et me proposa de sortir. Nous nous levâmes et, une fois dehors, respirâmes un grand coup. Ce fut la première fois où l’air du quartier de Shinjuku me sembla frais.

« Je me suis bien amusée, dit Midori, on reviendra, n’est-ce pas ?

– On peut y retourner autant qu’on veut, c’est toujours pareil.

– C’est normal, puisqu’on fait toujours le même genre de choses. »

Elle avait raison.

Haruki Murakami, La ballade de l’impossible (trad. du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle)

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Marche pour le climat

Ce n’est pas moi qui y suis allée et qui ai fait les photos, c’est Sydney. Dans une belle lumière. Il y avait beaucoup de monde, de l’Hôtel de Ville à République, et il a photographié deux belles œuvres de street art au passage. Voici donc son léger reportage en quelques images.

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marche pour le climat 1

street art 1

street art 2

marche pour le climat 2

marche pour le climat 3

Ce samedi 8 septembre à Paris, photos S.G.

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Corpus sanus in bibliotheca sana

photo Alina Reyes

photo Alina Reyes

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L’opération cette fois a été la bonne, l’erreur chirurgicale est réparée. Gag : mon sein avait bien été enlevé, mais pas sa lésion cancéreuse, restée dans le coin où elle se planquait. Qu’est-ce qui avait pu distraire mes deux chirurgiens, le cancérologue et le reconstructeur, au point de leur faire commettre une telle bévue ? Il m’a paru que c’était comme si la société n’acceptait pas de me débarrasser du cancer qu’elle m’avait infligé. Mais les deux hommes de l’art, finalement, l’ont fait. Mon tout nouveau sein en reconstruction est désormais sain, comme le reste de mon corps.

Avant d’être de nouveau opérée, j’avais ces derniers jours éliminé pareillement de ma bibliothèque les livres qui n’auraient pas dû s’y trouver. Les nuisibles, soit parce qu’ils sont nuls soit parce qu’ils sont cancérigènes, je les ai jetés dans la poubelle. Les deux ou trois bons livres que j’avais en double et la vingtaine d’autres qui peuvent être intéressants mais que je ne relirai pas, je les ai déposés dans le hall de mon immeuble, afin que les voisins se servent à volonté – et  ils sont partis très vite.

Tous ces soins sont fatigants, je n’ai pu reprendre le chemin de l’école, d’autant que j’ai été affectée dans un établissement presque aussi lointain que celui de l’année dernière. À cause de l’épuisement qui s’en était suivi, j’avais dû abandonner mon poste au deuxième semestre, mais il semble décidément que l’Éducation Nationale préfère payer pour m’empêcher d’enseigner que pour me permettre d’enseigner. J’enseignerai donc autrement, par le nouveau livre que j’écris.

La nécessité de cette deuxième opération retarde le moment tant désiré où je vais enfin pouvoir faire du sport. Je ne pourrai avant trois bonnes semaines me mettre au yoga, retourner à la piscine, refaire du vélo et peut-être d’autres activités encore. Je peux toujours marcher, mais sans quasiment rien porter. Heureusement, grâce à ma bibliothèque bien rangée, je peux y puiser quelques bons livres à lire, et d’autres à relire, car les bons livres sont toujours bons à relire. Et c’est ce que je fais, entourée d’amour.

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Zen et zazen, pratique

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chaise rue 13eHier en marchant à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Ce matin, à l’aube, j’ai fait zazen – je vais dire comment. Mais je pratique le Zen depuis que j’ai lu, il y a très longtemps (et relu, il n’y a pas longtemps) Siddharta de Hermann Hesse, superbe et classique porte d’entrée au bouddhisme pour les Occidentaux. Adolescente, je me suis intéressée à toutes les spiritualités, j’ai essayé de pénétrer, à ma façon, toutes celles auxquelles j’avais accès à travers des textes. En lisant le témoignage de Taïkan Jyoji dont j’ai donné un passage dans la note précédente, je me dis que toutes les épreuves qu’il est allé chercher dans un monastère au Japon pour parvenir à l’illumination, je les ai pour ma part vécues naturellement, dans la vraie vie telle qu’elle est pour une fille du peuple, mère très tôt et rapidement mère célibataire, sans qualification ni travail autre que des successions de jobs temporaires et mal payés, connaissant des années de grande pauvreté et même de faim, puis malgré tout trouvant le moyen de faire des études, à l’âge où les autres les terminent, de trouver de nouveaux jobs, etc. Pour traverser tout cela, la précarité et l’insécurité permanentes, puis plus tard une célébrité soudaine (et pas du tout aimée) sans se perdre en chemin, sans perdre sa joie ni son esprit d’enfance, pour traverser tout cela et bien d’autres choses et se sentir toujours fraîche à soixante-deux ans, toujours prête à découvrir, apprendre et inventer encore, le Zen profondément vécu, sans signe extérieur, le calme profond malgré les agitations de surface, m’a beaucoup soutenue.

Le Zen n’est pas une religion, c’est une pratique. Une pratique au moins autant physique que spirituelle. En fait, le corps et l’esprit y sont complètement unis. Un esprit vivant dans un corps vivant, un esprit aiguisé dans un corps aiguisé. Je ne peux pas dire que j’ai approché le zazen, la « méditation » (le terme est impropre) zen en novice : mes longues années de mysticisme sauvage, puis dans le cadre du christianisme, puis dans celui de l’islam (avec notamment la prière islamique, très physique aussi), mes années de pratique de la contemplation, qui fait partie de mon existence quotidienne, qui est mon existence quotidienne, mes temps d’érémitisme, me facilitent évidemment l’opération qui consiste à faire le vide, comme on dit faute de mieux – faire la paix et la lumière. Mais ce n’est pas une raison pour se dispenser d’expérimenter des méthodes, et j’ai donc expérimenté zazen pour la première fois. Pour me préparer, en plus de continuer à lire le livre dont j’ai parlé, j’ai visionné plusieurs vidéos de maîtres zen, tant pour l’esprit que pour l’exercice physique de zazen. Hier soir j’ai testé, les fesses posées sur un coussin comme indiqué, la position en lotus ; et j’ai constaté que je n’arrivais plus à la faire : là où ma cheville a été brisée, il y a quelques années à la montagne, ça tire trop. Peut-être, si je persévère, et en me mettant aussi bientôt au yoga, parviendrai-je à réassouplir l’articulation. Pour le moment, je me mets donc en demi-lotus – ce que le maître zen dans la vidéo ci-dessous appelle la façon asymétrique (mais les débutants qui n’arrivent pas à faire non plus le demi-lotus peuvent simplement croiser les jambes de leur mieux, ou même, pour les plus raides, s’asseoir sur une chaise). Ensuite il faut se tenir bien droit, c’est essentiel, avec les mains posées l’une sur l’autre, les pouces joints formant une ouverture ovale – les vidéos ci-dessous expliquent tout cela dans le détail. Puis pratiquer la respiration abdominale. Respirer avec le ventre, comme le font les chanteurs. J’ai appris cela dans l’enfance, de mon père qui était chanteur de bel canto amateur, et ensuite, adulte, en chantant dans divers chœurs : quand on doit tenir une note très longue, il faut l’expirer tout aussi longuement. Le maître zen recommande ici de tenir au moins 8 secondes. Hier soir, j’ai été tout de suite à 25 secondes, temps vérifié sur le réveil électronique. Ce matin, sans forcer, tout doucement, j’ai commencé à 18 secondes, puis le temps a augmenté de lui-même à chaque expiration, pour se stabiliser à 25 ou 27 secondes. Je n’ai pas cherché à faire plus, par un effort, car la respiration doit rester naturelle. Mais compter mentalement les secondes est un très bon moyen d’empêcher les pensées importunes ou l’endormissement. J’ai fait cela environ un quart d’heure, puis je suis restée un bon moment à savourer la paix et la lumière avant de me relever.

Deux heures plus tard, à l’hôpital où je me trouvais pour une petite intervention d’une petite heure avant une nouvelle opération demain, la médecin m’a dit « ça se passe très bien, vous ne bougez pas du tout, c’est parfait ». J’ai alors remarqué que sans y penser, naturellement, je pratiquais une respiration calme et profonde. Et j’étais profondément calme.

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La recherche selon la méthode des koan dans le Zen Rinzai

taikan jyojiToute personne qui cherche peut comprendre la méthode de recherche exprimée dans ce passage de l’Itinéraire d’un maître zen venu d’Occident, de Taïkan Jyoji. Approfondir la compréhension de ce qu’est sa propre recherche et de là, approfondir encore sa recherche. J’ajoute encore un mot après la citation.

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« Il existe trois recueils fondamentaux de koan. Un seul est traduit en français : Le Passe sans porte. Ce recueil de quarante-sept koan commence par celui du « MU de Joshu ». Ce koan est un des trois koan de base qu’un Maître a la possibilité de donner à son élève. Le deuxième s’énonce ainsi : « Avant la naissance de tes parents, quel est ton visage originel ? » Et le troisième : « Un son est produit lorsqu’on frappe dans ses mains. Quel est le son d’une seule main ? » Cette technique de travail par le koan permet de remonter aux sources de soi-même par la pénétration de significations mystérieuses, la destruction de monde des naissances et des morts, le dépassement des passions (non leur destruction).

(…)

Chaque koan est un enseignement en soi. Ce n’est pas seulement, comme on peut le lire parfois, un moyen de soutenir l’attention du disciple ; c’est également un enseignement. La compréhension exacte d’un koan et le sens profond échappent souvent à l’étudiant. Si un koan est saisi par l’intellect lors de son énoncé, il doit ensuite passer par une longue maturation, une longue macération, faite par le corps et l’esprit. Il faut souvent plusieurs jours, voire plusieurs semaines, rien que pour passer le koan de l’intellect à l’esprit et au corps. Le travail de recherche doit être effectué de deux manières, d’une part, la concentration de l’esprit sans laquelle la signification du koan ne peut être atteinte, d’autre part le travail d’investigation, de « concentration réfléchie » sur le koan. La pratique absolue et parfaite est d’arriver à être absorbé par le koan, à être un avec le koan, à ce que le koan et soi ne deviennent plus qu’une chose, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il faut que le koan devienne la chose la plus importante du monde. On doit travailler sur le koan de manière à polariser toutes les énergies sur lui. Passer un koan, c’est gravir une marche dans la réalisation de soi.

Il ne s’agit donc pas de saisir intuitivement un koan ni de le résoudre par une réflexion logique. Il ne s’agit pas de comprendre un koan pour le passer, mais de devenir ce koan. L’intuition ne suffit pas. La réponse doit exprimer un état vécu. Prenons un exemple : un homme bat le record de plongée sous-marine en descendant à plus de cent vingt mètres. C’est par un entraînement régulier qu’une telle performance peut être atteinte. Chaque mètre gagné est un acquis, dans le sens où cet être vainc à chaque mètre supplémentaire quelque chose en lui. Plus il avance dans cette aventure (et le Zen n’est-il pas une aventure ?), plus le monde qu’il découvre sera nouveau : les espèces se trouvant à trente mètres de fond n’existent pas à vingt mètres ; celles de cinquante mètres, pas à quarante. Plus il est capable d’aller profond, plus son corps et son esprit réalisent les transformations nécessaires pour supporter les effets de l’augmentation de la pression. Dans le Zen, chaque koan est un mètre. À chaque koan, le corps se transforme, ainsi que l’esprit, puisqu’il n’y a pas d’esprit sans corps ni de corps sans esprit. »

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« La réponse doit exprimer un état vécu », dit Taïkan Jyoji. Oui. Et l’état vécu doit créer la réponse, qui doit être un passage sans porte à un autre monde, jusque là inconnu, et, quelle que soit la voie empruntée, ouvert pour les autres.

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« La femme au portrait », un chef d’œuvre de Fritz Lang

Il y a longtemps que je n’ai proposé de film à visionner. Celui-ci, La femme au portrait, (The Woman in the Window), adapté d’un roman policier, est un film noir réalisé aux États-Unis, où Fritz Lang était en exil. Selon moi, c’est aussi un film surréaliste. La femme en question s’appelle Alice, comme le personnage de Lewis Carroll qui passe through the looking-glass, et on peut penser aussi à la nouvelle de Poe « Le portrait ovale ». L’histoire est celle d’un homme, un criminologue, qu’une image fait entrer dans une rêverie qui en semblant se réaliser le prend dans un crime qui… je n’en dirai pas plus, attention aux articles qui révèlent l’histoire partout sur Internet, mieux vaut les lire après. Tout un processus complexe (il faut saluer aussi le scénariste, Nunnally Johnson) conduit le film dans une tension, un suspense aussi parfaitement maîtrisés que les plans et les couleurs de Lang – car son noir et blanc, si concret, si matériel, tout en offrant certains moments symboliques époustouflants de beauté et de richesse de sens, a une épaisseur de peinture à l’huile, de terre humide (de sang ?), de réalité violemment colorée. On parle ici et là à propos de ce film de mise en scène de la culpabilité ; la question psychologique est peut-être la plus voyante, mais on peut aussi voir le film autrement, disons comme une histoire de passages entre le pays des morts et le pays des vivants, une histoire de fragilité de la vie quand elle bascule malgré elle dans la nuit du mal, quand l’homme dans un moment d’égarement, dans un moment de sommeil de la raison, se retrouve pris dans un engrenage, attaqué et réattaqué par des hommes qui appartiennent au mal, et doit passer par la mort pour en sortir. 1944, c’est la date du film.

(si un panneau apparaît au centre de l’image au début, cliquer sur la petite croix en haut à droite de ce panneau pour le faire disparaître)

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Rentrée du Street Art à Paris 13e, suite

Seul ce qui est fait avec amour et respect donne le bonheur.

Par cette après-midi radieuse, je suis allée à pied avec trois de mes beaux garçons chercher une bibliothèque chez un particulier qui la vendait pour une bouchée de pain, rue de la Providence où il y a quelques années j’allais répéter des œuvres de Bach, Mozart, Verdi…, avec un grand chœur. En chemin, j’ai photographié des œuvres de Street Art que je n’avais pas encore vues, avant de revenir avec des planches sous le bras, puis de passer la fin de l’après-midi à installer mes livres, avec un bonheur sans mesure. Aujourd’hui l’opération grand ménage et réaménagement de mon bureau, pour accompagner l’écriture de mon roman en cours, se poursuit. Je me sens comme une reine en son royaume.

 

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street art 13e 20Hier après-midi à Paris, photos Alina Reyes

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Voir aussi la note de l’autre jour : Rentrée du Street Art à Paris 13e

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