Thersite ou Homère parrésiaste : Iliade II, 211-244 (ma traduction)

Thersite est présenté comme laid parce que la vérité qu’il présente est laide. Certes c’est un aspect de la vérité, qui en a d’autres, mais c’en est un. On ne me fera pas croire qu’Homère ne s’identifie pas en partie à lui, diseur de vérité, parrésiaste menacé par les puissants et rejeté par les autres. À mon sens, c’est justement à cause de cette menace et de ce rejet qu’Homère utilise un personnage qu’il a l’air de mépriser pour lui faire dire des vérités sans trop risquer les coups de bâton. Sinon, pourquoi lui donner la parole, pourquoi écrire (oui, je parle d’écrire, car je vois, en lisant çà et là de savants hellénistes, qu’Homère ait écrit ses textes est très sérieusement estimé vraisemblable, ou du moins complètement possible) – pourquoi écrire, donc, ce vigoureux passage, reprenant des reproches plus tôt exprimés par Achille à l’encontre d’Agamemnon, avec plus de force encore quand ils sont dits par un humble ?

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Les hommes enfin s’assoient et se tiennent en place.
Seul Thersite, intarissable bavard, continue à criailler ;
Il connaît en son cœur un tas de mots inappropriés
Et vains, inconvenants, pour s’en prendre aux rois,
215 Et essayer de faire rire les Argiens ;
C’est l’homme le plus laid venu sous les murs de Troie ;
Il est cagneux, boiteux d’une jambe, et se tient
Voûté, les épaules affaissées sur le torse ; par-dessus,
Un poil rare fleurissant sur une tête pointue.
220 Il est surtout odieux à Achille et à Dévor,
Qu’il insulte tous deux ; cette fois, avec des cris aigus,
C’est au divin Agamemnon qu’il adresse ses reproches ;
Car terribles sont au cœur des Achéens la rancune
Et la colère contre le roi. L’invectivant, il hurle :

225 « Atride, de quoi te plains-tu ? de quoi as-tu besoin
Encore ? Ton campement est plein d’airain, il est plein
De femmes de premier choix, celles que nous, les Achéens,
Nous te donnons, à toi d’abord, quand nous prenons une ville.
Ou manques-tu encore d’or, de l’or que t’apporterait
230 Un Troyen dompteur de chevaux, en rançon pour son fils
Que moi ou un autre Achéen aurions capturé ?
Ou d’une nouvelle femme avec qui faire l’amour,
En la retenant pour toi, à l’écart ? Non, je ne trouve
Normal qu’un chef plonge dans le mal les fils des Achéens.
235 Ô ventres mous, cœurs vils, Achéennes, et non plus Achéens,
Rentrons à la maison avec nos nefs, et laissons-le là,
À Troie, savourer ses privilèges, qu’il voie
Si nous allons venir à son secours, ou pas.
Lui qui maintenant offense Achille, un homme bien supérieur
240 À lui : il lui a enlevé sa part, et il la garde.
Mais Achille laisse se calmer sa colère en son cœur ;
Sinon, Atride, c’eût été ta dernière brimade. »

Ainsi, insultant, parle à Agamemnon, berger des peuples,
Thersite ;

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Je suis absolument bouleversée par tout ce que je trouve dans l’Iliade. Je ne m’attendais pas à tant, à si fort. Dans la nuit, l’image qui m’est venue est celle du bac révélateur dans lequel apparaît la photographie (j’ai pratiqué cela à vingt ans, avant la photo numérique). Jusque là, je n’avais lu que des extraits de ce poème, et seulement en traduction. Vivre avec, le vivre comme je le fais en le traduisant à haute intensité, en donne une tout autre vision. Une autre vision d’Homère que celle qu’il donne de lui dans l’Odyssée. Après environ 900 vers traduits ce midi, en sept jours pile donc, depuis que j’ai commencé, dimanche après-midi dernier (ayant terminé le matin même de traduire les dernières dizaines de vers des Bucoliques), je commence à avoir aussi une idée du commentaire qui accompagnera ma traduction.

Académie française : le club des vieux cons incompétents

À écouter jusqu’au bout. Tellement emblématique de l’esprit de notre pays. Que les vieux riches réacs, voire fachos, s’y retrouvent, on le comprend bien. Ce qui m’a plus peinée, c’est de penser à ceux, rares sans doute, qui viennent d’ailleurs, qui viennent de là où payer 35 000 euros le costume pour pouvoir entrer à l’Académie c’est vraiment beaucoup, et qui y vont quand même si on leur fait l’aumône de les y élire, qui vont quand même rejoindre cette bande d’esprits sales, parce qu’ils ne résistent pas à l’attrait des honneurs. Évidemment après ça ils n’auront plus qu’à rester bien aplatis devant les pouvoirs en place. C’est à ça que servent les gens récupérés, à affermir le pouvoir des sales types, des abuseurs en tous genres. C’est de ces complicités passives et actives qu’une société pourrit sur pied. Il y a quand même une bonne nouvelle, c’est que ces prétendus immortels, en habitués de la falsification de la langue, n’arrêtent pas de mourir. Et qu’ils finiront par disparaître complètement de l’Histoire. Qui retiendra, quand l’Académie n’existera plus, qu’elle fut une triste institution.
Le sujet commence à la deuxième minute.

Étudiants en détresse et gestes de solidarité

Pour eux-mêmes, les jeunes n’ont quasiment rien à craindre du Covid, mais ils paient un prix fort pour la santé de tous. Les étudiants sont privés de ressources et isolés, les jeunes diplômés dans l’impossibilité de trouver un emploi. Le gouvernement refuse de leur accorder une allocation mensuelle minimum, comme aux autres catégories de population. Beaucoup en sont réduits à retourner chez leurs parents, ou quand ils n’en ont pas la possibilité, à solliciter les aides alimentaires. Et bien sûr les enfants de familles pauvres, qui ne peuvent les aider, sont encore plus en danger, matériel et psychologique.
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En plus des grandes distributions d’aide alimentaire, qui voient de très longues files d’attente, ici et là des gens apportent leur soutien d’une manière ou d’une autre, comme le Pavillon des Canaux, une maison-restaurant très courue dans le 19e arrondissement de Paris, qui ne fait plus restaurant bien sûr pendant la pandémie, mais accueille gratuitement les étudiants pour travailler dans ses pièces très agréables à vivre, avec wifi et café gratuit.
(J’avais donné il y a deux ans à peu près un atelier d’écriture dans ce lieu, et je viens d’être recontactée par l’association qui l’avait organisé pour en animer un en ligne cette fois ; j’ai dû refuser, je ne peux pas faire ce genre de travail en ligne, la présence de tous est indispensable. Il en va de même dans l’enseignement, ne croyons pas qu’on peut remplacer l’école par une école virtuelle, à aucun niveau de l’enseignement).

Autre exemple de belle générosité envers les étudiants, celui de cette boulangerie située entre la Sorbonne nouvelle et Jussieu, qui, avec le soutien de la mosquée, distribue chaque jour des repas sandwich gratuits aux étudiants. (Et leurs sandwiches sont délicieux, j’y vais de temps en temps comme cliente depuis longtemps : délicieux, bon marché et servis avec beaucoup de gentillesse).

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Mind in and out of the Shell ; des pensées pour réinventer la vie

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chasse spirituelle 1-minJ’ai fini de repeindre ce grand panneau de bois (1,38 x 88 cm) trouvé un jour dans la rue devant la Sorbonne Nouvelle – visiblement un tableau de cours délesté de son ardoise. Je l’ai intitulé « Mind in and out of the Shell », ce que les lecteurs de mon livre La Chasse spirituelle comprendront mieux. J’ai d’ailleurs reçu le livre en format papier aujourd’hui, j’en suis très contente, il est beau et bien fait, agréable à tenir et à feuilleter. Pas de titre ni de nom d’auteur en couverture.

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Avec une pensée pour l’anthropologue David Graeber, qui vient de mourir. J’étais allée l’écouter il y a deux ans au Collège de France, je ne l’ai jamais lu mais je sais que ses travaux sont très importants, notamment sur la dette et sur les « bullshit jobs ». Il continuera à inspirer beaucoup de ceux qui travaillent à changer tout ce qui est mortifère en ce monde.

Du vieux monde, et du monde naissant

Encore un Noir américain tué par la police. Dijon Kizzee, 29 ans, passait à vélo quand les policiers ont voulu l’arrêter pour une infraction au code de la route. Il s’est enfui à pied, a laissé tomber dans sa fuite les affaires qu’il portait à la main : du linge dans lequel était cachée une arme à feu (raison pour laquelle, peut-être, il fuyait, bien que les armes à feu soient en vente libre aux États-Unis). Voyant cela, et voyant donc qu’il était désarmé, les policiers l’ont tué en lui tirant plusieurs coups de feu dans le dos. Puis ils l’ont menotté, gisant mort sur le bitume de Los Angeles, et ont laissé là son corps, non recouvert, pendant des heures. Des gens manifestent leur colère, nombreux.

Partout le vieux monde se mobilise pour garder coûte que coûte son ordre inique, en se servant de la police et en développant des mouvements néofascistes et des politiques fascisantes. Le danger est très grand mais il est aussi le signe que le jeune monde cherche à prendre sa place, à donner leur chance à des sociétés plus ouvertes, plus justes, plus solidaires. À chacune, à chacun de choisir dans quel sens elle ou il souhaite peser, à l’avènement de quel monde elle ou il veut participer.