Leonarda

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le café Esméralda, derrière Notre-Dame de Paris

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« Dans son roman Notre-Dame de Paris, le célèbre écrivain français Victor Hugo décrit le personnage d’une bohémienne belle, gentille, honnête et courageuse. Elle a 16 ans et elle s’appelle Esméralda. Par le biais de la peinture qu’il fait de son personnage, Hugo exprime sa sympathie aux Roms, connus à l’époque sous le nom de bohémiens ou de gitans, reflétant toute la grandeur d’âme de l’écrivain. Mais tout récemment une jeune Rom à peine âgée de 15 ans, Leonarda Dibrani a été interpellée par la police française devant ses camarades de classe, et expulsée vers le Kosovo. Sa famille a également été expulsée. (…) Loin de moi l’idée de dire si la politique d’immigration française est bonne ou pas, mais j’espère que le Gouvernement français ne fera pas porter la responsabilité des problèmes intérieurs qui surgissent sur la tête des immigrés ; après tout, dans le passé, les immigrés ont apporté de grandes contributions au développement social et économique de la France, et ce sera encore le cas dans l’avenir. Au contraire, le Gouvernement français devrait prendre conscience de la montée des forces d’extrême-droite, et ne pas laisser la xénophobie et le populisme interférer dans la revitalisation et le développement du pays. » L’article de Ren Yakiu, L’affaire Leonarda, reflet des difficultés de la société française d’aujourd’hui, est à lire en entier dans Le Quotidien du Peuple.

 

« Les Roms sont à l’affiche aujourd’hui, après tant d’autres dans le passé : les polaks, les ritals, les bicots, tout nom méprisant affecté à l’étranger comme si les Français étaient profondément xénophobes. (…) Ces situations ne sont pas nouvelles, mais elles s’aggravent. Voici plus d’un demi-siècle, Ouest-France, sous la plume de son fondateur Paul Hutin-Desgrées, écrivait : « Peuples riches et peuples libres, prenez garde aux peuples asservis et aux peuples pauvres : ils envient légitimement vos biens et ils envient légitimement votre liberté ; ils les maudiraient si le partage commandé par la justice ne se faisait pas. C’est la guerre qui est le produit fatal de l’injustice. » L’éditorial de François Régis Hutin, Immigration : accueil, justice, cohérence, est à lire en entier dans Ouest-France.

 

« L’histoire des Dibrani représente l’histoire de milliers d’immigrants qui voient en Europe la possibilité d’une vie meilleure, et qui parfois, tragiquement, se termine avec la mort de centaines d’hommes et de femmes, qui ne parviennent pas à atteindre leur but. (…) La déportation massive d’immigrants ou leur confinement dans des centres de détention avant leur entrée sur le continent européen, montre que la politique de l’Union Européenne dans ce domaine est consolidée, sans compréhension de la globalité du processus migratoire. Comme le confirme Martin Schultz, président du Parlement européen, en déclarant que : « (…) L’Europe a besoin d’un système d’immigration légal. Les États doivent admettre que nous sommes un continent d’immigration ». L’article de Pablo Jofre, France : guerre aux Roms, est à lire en entier (en espagnol) sur Radio Uchile.

 

Précédents points de vue sur l’affaire :

La réflexion et le très humain portrait de la famille Dibrani par Miguel Mora : « Les Dibrani, apatrides d’Europe »

La vive protestation du leader hindou Rajah Zed contre la déportation de Leonarda et les conditions faites aux Roms 

La réaction du cardinal André Vingt-Trois : « Qu’ils mangent de la brioche »

L’inquiétude de  Manuel Garcia Rondon, secrétaire général de l’Union Romani, et sa gratitude envers les lycéens français.

 

Marie, Kristina, Yael

J’ai deux ou trois fois côtoyé Bertrand Cantat, dans notre jeunesse bordelaise. Solaire et charismatique. J’aimais bien les chansons de Noir Désir. Comme beaucoup, je ne peux plus les écouter. D’outre-tombe, je lui ai envoyé mon livre Forêt profonde quand il était en prison. Je ne sais s’il l’a reçu. Je ne pense pas que quiconque ait envie d’accabler Bertrand Cantat. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de ne pas oublier les victimes. De respecter leur mémoire. De ne pas ignorer les messages désespérés de Kristina Rady. Fabrice Hadjadj a écrit un jour – sans que nul journal chrétien n’y trouve rien à redire -, à propos de l’épisode évangélique où Jésus sauve une femme de la lapidation, que lui ne la défendrait pas : « Je la lapiderais plutôt, en bon chrétien. Oh, pas avec des cailloux ! Des mots et des regards bien sentis peuvent cribler beaucoup mieux et sans laisser de trace. La fille pourrait se suicider, après ça : on dira qu’on l’avait prévu. » Ils sont nombreux, ceux qui ne veulent pas voir.

Mystique et résurrection

tout à l'heure à Paris, photos Alina Reyes

 

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« L’âme retire de cette oraison et de cette union une extrême tendresse, si bien qu’elle voudrait fondre, non de douleur, mais en larmes de joie. Elle en est baignée tout entière sans l’avoir senti et ne sait ni quand ni comment elle les a versées, mais elle éprouve une grande délectation en voyant que ce feu ardent a été apaisé par une eau qui l’augmente encore. On dirait de l’arabe, mais c’est ainsi. » Sainte Thérèse d’Avila.

Si elle avait voulu seulement dire : c’est incompréhensible, elle aurait pu dire : c’est du chinois. Seulement, cela dépasse l’imagination, c’est divinement exquis, comme la substance même d’une langue sémitique, et spécialement donc de l’arabe, cette langue du Coran qui déchire tout cœur qui l’entend appeler à la prière. Si les mystiques chrétiens espagnols ont pu être inspirés par le soufisme, c’est que le soufisme vient comme un jus du Coran, lequel, contrairement à ce qu’on croit souvent, est tout entier mystique, dans sa substance même, sa langue, dans laquelle Dieu vit et bouge comme un nourrisson.

L’islam est par essence mystique. C’est à méconnaître cela qu’on l’égare parfois. La soumission à Dieu est mystique. Toute la vie de Mohammed est mystique. C’est pour cela que dans le Coran la miséricorde de Dieu annule le péché originel (dont est exempte Marie, par exception, dans le catholicisme, du fait d’avoir donné naissance au Verbe de Dieu). Les musulmans aiment l’idée de pleurer en priant, des vidéos très populaires le montrent, ils y trouvent comme la sainte espagnole « une grande délectation ». Délectation qui n’a rien de morose, contrairement à ce qui se produisit plus tard dans un catholicisme devenu doloriste. Ici nous sommes dans la pure réponse au très ancien désir d’Isaïe, qui s’exclamait : « Ah, si tu pouvais déchirer les cieux ! », nous sommes dans la fulgurance d’Élie quittant la terre dans un char de feu, nous sommes dans l’indicible du Verbe qui se dépasse lui-même en étant arraché à la tombe par la résurrection.

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Marilyn Monroe. Le génie, une intimité toute particulière avec la lumière

 

Se demande-ton si Albert Einstein, Vincent Van Gogh, Elvis Presley ou Franz Kafka ont berné le monde, pour être devenus des icônes ? Je vois des articles sur Marilyn Monroe où l’on se demande si elle a été manipulatrice ou manipulée, pour devenir ce qu’elle continue à être. Y compris les féministes, on préfère éviter la question de son génie. Le monde ne supporte les génies que disparus, et elle est encore trop vivante pour cela. Heureux les pauvres en esprit, ils n’ont pas peur de voir Cela. Un esprit unique, incarné dans un être humain unique, intime de la lumière.

(cliquer)

La longue route de Patti Smith


Photo Patti Smith (et d’autres ici)

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Toute la presse parle de son dernier album, « lumineux« . Je suis formée aussi par la mystique de cette mouvance… La très belle et multiforme oeuvre de Patti Smith, entre autres, n’est-elle pas la preuve de la profondeur de cette spiritualité de son époque, qui peu à peu se décante ? Et voici aussi de la même artiste un poème, traduit par Jacques Darras et paru aux éditions Bourgois (d’autres aussi ici)

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Nous marchions dans nos manteaux noirs,
balayant le temps, balayant le temps,
dormant dans des âtres abandonnés,
les quittant pour affronter la pluie.
Trempés, crottés, un peu fous,
pataugeant aux ornières, mâchonnant des bulbes,
tellement nous avions faim, tulipes
flamboyantes dans leurs corolles déchiquetées.

Nous nous décorions d’ombellifères,
œuvrant jusqu’à l’épuisement de nos fronts d’élus,
dans le murmure de la piste mystérieusement reconnue,
une pluie qui n’était pas la pluie, des larmes qui n’en étaient pas.

Et le Graal, ô le Graal si proche de nous,
parures d’aluminium habillées de soleil.

Les glaïeuls étaient en fleur, explosaient
par toutes les fentes. Le monde entier
attendait anxieusement que la sainte mère inspecte
nos mentons de cette chanson familière —

Aimez-vous le beurre?
Bon vous aimez le beurre…

puis nous nous arrêtâmes sur une colline jaune absolu.

Montâmes des chevaux, écumâmes des forêts
où d’espiègles fées dansaient sous nos pas.
Des branches se cassèrent contre nos visages.

Notre royaume au-delà d’une clôture maillée…

Luttâmes dans des carrières, marbres lisses,
nous agenouillâmes pour viser des proies en des cercles fervents.

Plantâmes furieusement nos camps,
tentes déchirées par nos piquets,
balafrées par la lame de nos couteaux de poche —
petits renards jaugeant la dureté du sol,
maudissant les basses terres de nous avoir fait si mous.

Moissonnâmes du seigle, en emplîmes des sacs, fîmes des oreillers
pour nos hommes. Essorâmes le sang de nos couches trempées,
couvrîmes les têtes décapitées des martyrs, épaulâmes
les seaux pleins à ras bord,
ne vîmes rien vîmes tout.

Chevauchâmes l’échine de la grande ourse, plongeant nos louches
dans la liqueur laiteuse étendue tel un lac blanc devant nous.

Nos vaisseaux arboraient des obscénités griffonnées
sur les voiles en parchemin, flottant au fil de rivières illettrées
retournées en mares de sang d’eau de pluie croupissante.

Soufflâmes nos chants d’éloge dans la corne d’animaux sacrés —
lazzi, confessions, prières adolescentes
tissées en tapisseries de jardins cloîtrés.

Finies les mères pour nous désormais, inventant liens infinitésimaux,
vœux éruptant dans un surcroît de violence sans rien maudire
que le fait d’être nés — notre allégeance au mouvement,
aux révolutions des étoiles.

Une lumière bleue émanait du sommet d’un être
que nous ne pouvions plus nommer. Gravîmes les degrés
menant à un ciel plus bleu balafré de fanions,
vent saignant. Goûtâmes le spectacle.
Puis tout disparut, mais nous n’étions plus là.

Avions un rayonnement nouveau. La rosée
gouttait à nos nez. Arborions peau brillante,
la quittant sans un soupir. Certains levaient leurs lanternes.
D’autres paraissaient aller dans leur lumière propre.

Montagnes enflammées qui n’en étaient pas,à l’horizon…

Approchant toujours plus, tombâmes sur des masses de grands manteaux
abandonnés par l’amirauté, pourpre royale déposée,
médailles d’honneur, bottes réglementaires en cuir de langue de chien,
bons de papier, peaux de bêtes, hermine et mouton portés par gens
de haut rang, princes et pilotes, mages et mystiques.

Nul rang n’ayant, choisîmes chiffons vifs cousus par des aveugles.
Étant d’un pays d’orbites. Vides.
Quoiqu’on eût trouvé tous les espoirs d’enfant à l’intérieur —
nos propres chères histoires, nos propres chères vies,
taillées dans l’étoffe de la lutte extatique.

Le jour où nous sûmes que nous allions partir, bondîmes
dans nos manteaux consacrés. Eussions pu marcher à l’infini
si telle ou telle autre chose ne nous avait tirés par nos manches amidonnées.

Brisant le cœur de nos mères nous devînmes nous-mêmes.
Nous mîmes à respirer et fûmes sur le départ,
Ivres, étonnés, chacun de nous un dieu.

À présent tu éteins la lumière.
Presses la mèche avec ton pouce.
Si ça colle, tu vas te brûler.
Si elle pète sec, tu te changeras
en rayon qui s’éteindra
avec la nuit en un rêve
parsemé de pacotille.

Vîmes les yeux de Ravel, cernés de bleu, clignant
deux fois. Entonnâmes des arias de notre cru, nullités psalmodiant
de vieux blues parlant de sol divin et de chaussures mortelles,
d’infanteries oubliées, de distances jamais vues en rêve —
pas plus loin que colline humaine, fîmes demi-tour à cause de soldats de plomb
stationnés dans les plis d’une couverture, à distance de main fraternelle,
d’ordre paternel, de sommeil —

…la longue route mes amis

Éclosâmes de nos chrysalides en pleine nuit,
ciel charbonneux alors d’étoiles qu’on ne voit plus.
Croyance d’enfant brodée sur des mouchoirs —

Dieu ne nous abandonne pas
nous sommes son seul savoir.
Nous ne devons pas l’abandonner
il est nous-même
l’éther de nos actes.

Le routard appelle, à la porte du temps, à la porte du temps.
Nous dormons. Faisons projet, doigts sur la vibrante corde.
Joyeusement lucides, nous recommençons.