Pierre-Guillaume de Roux

J’apprends la mort de Pierre-Guillaume de Roux. Bien des hommes de droite et d’extrême-droite férus de littérature rendent hommage à sa liberté et à son exigence d’éditeur. Et je veux témoigner que cet homme eut le courage de publier, en 2007, mon meilleur roman, Forêt profonde. Un roman qui s’en prenait notamment à l’extrême-droite identitaire et au fascisme, et que le milieu littéraire rejeta massivement parce qu’il était une sorte de #MeToo littéraire avant l’heure, dénonçant les abus de notables et leur impunité, les opposant à la liberté créatrice persécutée, décrivant aussi une tentative d’emprise d’un homme socialement puissant sur une femme isolée et dans une situation désespérée. Un roman en forme de lutte acharnée contre le mal et de poésie visionnaire.

Je suis en train de vanter ce roman parce que je veux insister sur le courage qu’eut Pierre-Guillaume de Roux en le publiant. Il lui fallait, pour ce faire, ne pas craindre de se mettre un peu plus à dos à peu près toute la profession. J’en suis consciente aujourd’hui plus encore qu’à l’époque. J’eus l’impression, plus tard, qu’il me laissait un peu tomber, mais aujourd’hui je comprends que les forces adverses avaient pris trop d’ampleur pour qu’il puisse continuer dans ce combat qui était le mien, pas le sien. Je retiens de lui, outre sa gentillesse et sa simplicité, qu’il était un vrai éditeur, et non pas un commerçant comme trop de ses confrères et consœurs (sortis de plus en plus souvent d’écoles de commerce, d’ailleurs). Et aussi qu’il m’a fait l’un des plus beaux cadeaux de ma vie, le plus beau, même (avec mon vélo, offert par O l’année dernière) : le Mathnawî de Rûmî, œuvre monumentale traduite par Eva de Vitray Meyerovitch.

Voilà, c’était ma salutation à un homme dont certes je n’aurais pas partagé les affinités très droitières, mais qui, comme humain, restait à part, aussi libre que possible dans ce nœud de vipères qu’est le milieu de l’édition, et de la presse qui va avec. Que son âme trouve ce qu’elle cherchait.

Odyssée profonde. Remarques sur le fait de traduire

J’ai fait une découverte fantastique aujourd’hui dans l’Odyssée. J’y fais sans cesse des découvertes, plus ou moins importantes, tout simplement parce que je lis le texte dans sa langue. Les traductions ne rendent que ce que les traducteurs ont compris, et en tout cas seulement ce que leur langue permet de transcrire de la langue originelle, et qui ne peut jamais rendre la richesse et la finesse du sens contenu dans la langue première, qui ne peut en être qu’une adaptation, une approximation. Même en traduisant le plus près possible du texte, comme j’essaie de le faire, on en reste encore loin, trop loin pour distinguer ses subtilités. Je remarque que la plupart des traducteurs, au lieu d’essayer de comprendre pourquoi Homère, dans tel vers, a employé tel mot plutôt qu’un autre, se contentent de rendre le sens qui leur paraît le plus normal, le plus ordinaire, le plus attendu, celui qui passe le plus facilement. Ce faisant ils aplatissent considérablement le texte, dont on perd toute la troisième dimension. Bien sûr je n’échappe pas non plus à ce problème, mais du fait que j’en ai une conscience aiguë, je fais de mon mieux pour y remédier.

Il est absolument impossible de gloser sérieusement sur un texte qu’on ne peut lire, comme l’a fait Sylvain Tesson, et il est criminel de le falsifier, surtout aussi grossièrement que le fait le documentaire diffusé par Arte, qui relève non de l’adaptation mais de la contrefaçon, et plutôt que des « grands mythes », comme ils disent, des gros mythos. Veuille Dionysos, dieu des révélations et de la mort, attribuer à chacun son dû. Résultat qui ne peut manquer, car la logique des « dieux » est aussi sûre que celle des équations mathématiques, même si la plupart des mortels n’y comprennent rien.

Je publierai mes découvertes en même temps que ma traduction (car ma traduction en elle-même, pas plus qu’une autre, ne peut suffire), dans trois ou quatre ans si tout se passe bien. Voilà l’une des meilleures aventures de ma vie.

Je lis par ailleurs le très riche ouvrage de Maria Daraki, Dionysos et la déesse Terre (Flammarion, 2004). « Les mouvements de Dionysos s’inscrivent dans l’espace, non dans le temps », dit-elle, ajoutant que le cycle végétal indique que « La saison ne vient pas d’  « hier » mais d’ « en bas ». » « Il est, dit-elle encore, par excellence, le dieu qui « vient-et-part » ou, plus exactement, celui qui « monte » et « descend ». Et parmi tous ses attributs, j’aime spécialement celui de « seigneur des étoiles qui dansent ». Les étoiles dansent dans mes yeux quand je traduis, c’est-à-dire quand je traverse les espaces infinis qui ne m’effraient nullement, bien au contraire.

Dionysos chevauchant une panthère, mosaïque macédonienne de Pella, Grèce (4e siècle avt JC). Wikimedia

Dionysos chevauchant une panthère, mosaïque macédonienne de Pella, Grèce (4e siècle avt JC). Wikimedia

Forces de l’esprit et forces de la nature

technique mixte sur papier 10x16 cm

technique mixte sur papier 10×16 cm

Je lis en ce moment Millenium, je viens de terminer le deuxième tome (après l’avoir vu en série il y a quelques années). Formidable personnage de Lisbeth Salander. Comme je le disais l’autre jour des séries nordiques, cette trilogie romanesque de Stieg Larsson constitue un véritable bienfait pour l’humanité par son expression des rapports sociaux et la force de ses personnages féminins. J’ai rendez-vous avec de jeunes tatoueuses, « nous aussi on est des guerrières » m’a répondu l’une d’elles quand j’ai dit que je voulais me faire tatouer la chouette d’Athéna.

Homère. Dès ce cours, au collège (où nous étions deux en classe de grec), où nous avons traduit l’arrivée d’Ulysse sur la plage de Nausicaa, dès cet émerveillement, ce transport dans un autre monde, il fut écrit que je le traduirais encore. Plus tard Homère vint me visiter en rêve, me donnant sa tête à manger (à ceux qui m’ont déjà lue, pardon de me répéter). Nous sommes très ignorants, humains, sur les forces de l’esprit. Nous les pratiquons, et certain·e·s d’entre nous en sont des champion·ne·s, dans telle ou telle discipline, telle ou telle branche du savoir, telle ou telle science. Mais la plupart du temps nous ne savons rien des forces de l’esprit en elles-mêmes, pas plus que les champion·ne·s physiques, dans tel ou tel sport, n’en savent généralement sur les forces physiques de l’univers.

La spiritualité est une étude des forces de l’esprit, souvent nommées de divers noms de divinités, dieux et Dieu. Cette science humaine est aussi une science « dure », ou a pour vocation de l’être, comme les mathématiques. Les mathématiques en font d’ailleurs partie, à mon sens. Les personnes les plus ignorantes en sciences de l’esprit les combattent avec la même hargne que d’autres ignorants, notamment religieux, combattent les sciences en général. Beaucoup d’intellectuels défaillants, mal formés, au nom des Lumières (et surtout de la perpétuation de la société telle qu’elle est et les favorise) combattent à la fois les sciences « dures » et les sciences de l’esprit, en rejetant sur elles leurs propres tares : l’ignorance, l’incapacité à penser en vérité, l’obscurantisme.

Divers outils permettent d’étudier les forces de l’esprit. La langue en est un, mais ce n’est pas le seul. L’outil-roi pour connaître les forces de l’esprit, c’est la vie. La vie sauvage. Sauvage renvoie, dans l’esprit des humains domestiqués, à mauvais, chaotique, immaîtrisé en soi, déchaînement des passions et des vices, noirceurs. Alors que la sauvagerie est en réalité lumière, beauté, transcendance. L’étude de la vie sauvage, notamment par les sciences, comme par la poésie, sacrée ou profane, sont les voies royales pour dépasser le stade des « Lumières » en cherchant, dans la lumière, La lumière.
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Sylvain Tesson, une grosse grosse imposture

Je n’ai pas d’adversaire. Les gens intelligents et bons, je les admire et je les aime, en aucun cas je n’en fais mes adversaires. Quant aux imbéciles qui se croient intelligents, et pire, qui le font croire, je peux les prendre pour punching-ball, mais un punching-ball n’est pas un adversaire, seulement un idiot utile à l’athlète, en l’occurrence à l’athlète du combat intellectuel et spirituel : ce n’est pas l’imbécile que je combats, c’est l’imbécilité et la mauvaiseté.

Sylvain Tesson a écrit un non-livre sur Homère, qu’il a non-lu, et pour cause : il n’est qu’un barbare, diraient les Grecs de l’Antiquité, c’est-à-dire quelqu’un qui ne parle pas le grec. Prétendre écrire un livre sur un poète qu’on ne peut lire, est la première monumentale imposture de cet « aventurier ». Il ne dit rien de son ignorance, laisse au contraire planer l’idée qu’il serait helléniste, en prétendant dès les premières lignes : « Pendant des mois, je respirais au rythme homérique, entendais la scansion des vers ». Il n’entendait rien, n’entendant pas le grec, et ne pouvait donc pas respirer au rythme de ce qu’il ne pouvait entendre. La meilleure traduction du monde ne saurait permettre de connaître ce qui se passe dans la profondeur de la langue d’un poète, ni d’entendre la sonorité et le rythme de son poème. Cette première imposture joue de bien mauvais tours à Tesson, nous y reviendrons.

La deuxième monumentale imposture de cette aventure est le fait, qui éclate aussi dès les premières lignes, que Tesson ne connaît rien, vraiment rien, à son sujet. D’emblée, il situe Homère « il y a deux mille cinq cents ans », pêle-mêle avec « quelques penseurs, des philosophes » (apprécions le flou), confondant dans une seule période tous les Grecs. En réalité, Homère a composé l’Odyssée au VIIIe siècle avant notre ère – d’ailleurs le fait est mentionné plus tard dans un paragraphe savant du livre. Ce qui n’empêche pas Tesson de répéter son ignorance au moins trois fois en parlant des « deux mille cinq cents ans » d’Homère. Comment est-ce possible ? Soit Tesson ne sait pas du tout compter, au point de croire qu’entre le vingt-et-unième siècle après notre ère et le huitième avant notre ère ne se sont écoulés que deux mille cinq cents ans. Soit il n’est pas le seul auteur de son livre – et il ne s’est même pas donné la peine de lire les passages rédigés par l’auteur qui en sait plus que lui, afin d’harmoniser un peu le tout. Voilà la troisième grosse imposture.

La quatrième énorme imposture tient au sens de son livre. Facilement résumable en trois mots : « en même temps ». Lui-même les dit, et entre guillemets, pour bien évoquer le macronisme de la chose (Macron a d’ailleurs apprécié, lui envoyant une lettre dithyrambique sur son livre, preuve s’il en était besoin qu’il est tout aussi faux, ignorant et sot que Tesson ; des qualités qui marchent par les temps qui courent, puisque Macron est devenu président, et le livre de Tesson l’essai le plus vendu l’année de sa parution). En même temps quoi ? Eh bien, nous, les hommes, nous sommes les jouets des dieux, et en même temps, chacun sa merde, démerdez-vous (du sous-Spinoza, louchant vers l’ultra-individualisme ultralibéraliste). Voilà toute la philosophie qu’il trouve chez Homère. Et qu’il répète, et qu’il radote – c’est d’un tel ennui que je reconnais avoir survolé pas mal de passages. En fait il ne lit pas Homère, il se sert d’Homère pour asséner sa pensée de droite et d’extrême-droite, mâtinée de considérations écologiques.

Tesson se sert d’Homère pour taper sur Bourdieu et sur les universitaires.
Tesson se sert d’Homère pour taper sur les religions révélées, et en même temps pour christianiser Homère (« le verbe se fait chair », la rédemption, etc.) – qu’est ce qui reste donc ? Que Tesson se sert d’Homère pour taper sur l’islam (« les mahométans », comme il dit), voire sur le judaïsme – mais prudemment, sans le dire ouvertement (c’est que Tesson ne fait pas partie des héros, quoiqu’il les admire tant, nous allons le voir).
Tesson se sert d’Homère pour exprimer son sexisme, là aussi à bas bruit : Athéna, qui est le grand dieu et la grande déesse homérique, n’est mentionnée par lui que lorsqu’il ne peut faire autrement, et quand il y ajoute son commentaire, la plupart du temps c’est avec mépris et en tentant de rabaisser sa condition, parlant de crépage de chignon entre Athéna et Aphrodite, estimant qu’elle a pour Ulysse « une affection de mère amoureuse », la désignant comme déesse de la ruse (alors qu’elle est celle de la sagesse et de la stratégie militaire). Pour Tesson, Zeus le père est le dieu d’Homère, et tant pis si en vérité c’est Athéna qui occupe cette place dans la pensée du poète. On n’en est pas à une trumperie littéraire près.

Tesson tisse donc sa grossière toile à sa façon, sans se soucier d’Homère, dans son simili-style-grand-siècle, son style ranci et épate-bourgeois au possible (mais parfois plus neutre – de la main de l’autre auteur ?), et comme les bourgeois balzaciens, endossant les dépouilles des nobles, s’installaient dans leur mobilier conçu pour un tout autre univers que le leur, les fausses élites de notre époque et leurs suiveurs s’empressent de s’admirer dans la prose et les poses de Tesson comme dans ces selfies truqués, avec filtres et effets, qu’on poste sur les réseaux sociaux.

Tesson se sert d’Homère pour se rêver en héros, rabâcher sa hantise de « l’égalitarisme », vanter « l’inégalité naturelle ». Déplorant cette « philosophie égalitariste » qui a « porté au pinacle le faible à la place du guerrier », se lamentant du fait que « dans l’Occident du siècle xxi, le migrant ou le père de famille, la victime ou le démuni seront dignes du podium ». Pauvre petit fils à papa, né avec une place toute faite ou si facile à se faire, de par sa naissance, dans la société, et qui sait bien qu’il n’a même pas l’héroïsme d’un migrant, d’un père de famille, d’une victime ou d’un démuni. Et qui ne voit pas que les héros d’Homère sont tous des voyageurs partis dans la précarité, comme les migrants qui traversent aujourd’hui la même Méditerranée, des pères et des mères de famille soucieux de leurs enfants, des nobles que leur esprit d’aventure transforme en victimes et en démunis – sans quoi ils ne seraient pas des héros. Où éclate l’humanité d’Homère, éclate l’inhumanité de Tesson.

Sylvain Tesson a choisi de ne pas avoir d’enfants mais aime à entretenir une réputation de séducteur, sans songer que plus d’un qui se flatte d’aventures sexuelles est en vérité incapable d’engendrer. Il est un admirateur déclaré de Matzneff, qui le fascine. Vieille histoire : son père, Philippe Tesson, qui le protégeait déjà dans les années 60, disait de lui l’année dernière : « Nous savions qu’il défendait la pédophilie, cela ne nous choquait pas ». Admiré de Macron et de Sarkozy comme de Redoine Faïd ou de Robert Ménard, il est le champion des incultes, des imposteurs et des petits qui se rêvent grands. Comme tous ceux qui se prennent pour des élites, il est intrigué pourtant par le fait qu’Homère qualifie de divin le porcher d’Ulysse. Il y a là quelque chose qui ne concorde pas avec leur propre conception de la supériorité. Alors ils trouvent une explication plus ou moins alambiquée – Tesson y va d’Heidegger et de son Dasein. Heidegger et sa philosophie d’une supériorité d’une race, ça les rassure. Le porcher d’Ulysse serait en quelque sorte l’exception qui confirme la règle, l’ami noir des racistes. Mieux, il serait divin sans en être conscient, comme la bête. Que tous, toutes et tout puissent être divins chez Homère, ils ne le comprennent pas, ne veulent pas le comprendre.

Et à propos des épithètes homériques, Tesson commet l’une des plus grosses bourdes de son livre. Paraphrasant, sans le dire, une remarque de Jacottet qu’il interprète de travers, il prétend qu’Homère change ses épithètes en fonction des besoins de son vers. Certes cela arrive, mais les exemples qu’il donne sont complètement faux, et cela parce qu’il ignore le grec. Tantôt, dit-il par exemple, Homère qualifie Athéna de déesse aux yeux de chouette, tantôt de déesse aux yeux pers. Mais non ! C’est un seul et même mot, en grec, qu’on traduit différemment, car il a tous ces sens à la fois, ainsi que « aux yeux brillants », entre autres. Et il multiplie la même erreur pour d’autres figures, comme Poséidon. Il a beau vanter les « vers éternels » d’Homère, la vérité est qu’il ne peut ni les lire, ni les comprendre.

Bluffe-t-il autant quand il raconte ses aventures de riche dans les montagnes et sur les routes du monde ?

Rimbaud, Homère, Stevenson… Des lumière et des feux

« J’avais découvert Rimbaud vers ce temps-là, et il me possédait. Aujourd’hui encore, je le considère comme l’un des Pères de l’Église des temps modernes ». Justesse de cette notation d’Ernst Jünger, qui dit à la fois la modernité de Rimbaud, et son lien à l’ancien monde. Je pense que c’est ce lien encore trop pesant qui l’a fait partir. Ce n’est pas une post-modernité qu’il est allé chercher, c’est une lumière dégagée. Dégagée de la temporalité humaine. Des illuminations qui ne soient plus sorties de la flache au couchant. Plus pures, plus innocentes. Plus pleinement aurorales. C’est ce que j’ai trouvé moi aussi dans la spiritualité islamique, qui me touche toujours très vivement, et que je retrouve, sous une autre forme et par d’autres voies, en traduisant l’Odyssée. Un travail qui me fait monter les larmes aux yeux, souvent, tant il brise mon cœur de joie. Homère lu attentivement à même le grec est atemporel, et il y a en lui des dimensions qu’on n’y a encore jamais vues, il me semble, des profondeurs humaines si profondes, si élevées, qu’elles anéantissent toute morosité moderne ou post-moderne. J’essaie de rendre la finesse, la complexité, la virtuosité de sa pensée dans ma traduction, mais cela reste une traduction et il faudra que j’y joigne mon commentaire pour l’exprimer plus précisément.

Une pensée pour Michel Le Bris, qui vient de mourir, et dont j’avais lu La Porte d’or, sur le voyage de Stevenson en Californie, quand, à la fin des années 80, je préparais une thèse sur Stevenson, Schwob et Borges. M’avait marquée le passage où Stevenson racontait avoir mis le feu à la forêt, juste pour voir, sans s’attendre à ce qu’il s’étende aussi dangereusement. N’est-ce pas souvent ainsi que nous commettons des crimes ?

Physique de la poésie

Yoga et autres gymnastiques au quotidien continuent à me muscler, à me rendre plus souple et plus agile. Je me sens en joie dans mon corps, et dès qu’il fera un peu moins gris et humide je recommencerai à marcher davantage, à courir, à faire du vélo, et quand l’épidémie prendra fin peut-être de la danse, ou aller à la piscine, etc. L’été dernier O et moi avons fait 100 km à pied en Lozère avec chacun un énorme sac sur le dos, en bivouac et en complet bonheur de liberté. En traduisant l’Odyssée je suis transportée de joie aussi – et je me demande pourquoi tant de traducteurs ont affadi la poésie inouïe de ce texte. Et je me dis qu’ils n’ont pas dû la sentir. Les intellectuels sont rarement des gens qui cultivent le bonheur du corps, qui connaissent leur corps, qui savent ressentir la vie et le monde avec leur corps. Or la poésie puissante (je précise puissante car la plupart de la poésie aujourd’hui ne l’est pas, puissante) est de la même nature que la nature, que la vie, elle vient de la même source, et c’est par sa propre nature et par sa propre puissance vitale qu’on la ressent, qu’on la reçoit, qu’on en est revigoré et rincé comme d’une séance de sport. Je dirai donc que la plupart du temps, je préfère de beaucoup les sportifs et autres danseurs de tous sexes aux poètes.

Et en ce moment, je regarde et regarde encore de magnifiques prestations récentes des gymnastes – j’ai déjà évoqué ici Simone Biles, la voici encore, avec aussi, autres plendides corps vivants, Gracie Kramer, Margzetta Frazier, Kyla Ross, MyKayla Skinner, Katelyn Ohashi. Moi aussi, quand j’écris, parfois, je me sens ainsi : virtuose. Dans l’art de quitter le sol en beauté et de retomber sur ses pieds avec grâce et sourire, et même joie féroce.


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à bientôt pour la suite du journal intime d’une jeune femme libre (cf note précédente)

Fin de mes livres chez Zulma. La trumperie littéraire

J'ai photographié encore cette fresque de Seth, face au château de la Reine Blanche dans le 13e arrondissement, car je ne m'en lasse pas

J’ai photographié encore cette fresque de Seth, face au château de la Reine Blanche dans le 13e arrondissement, car je ne m’en lasse pas

Trouvé au fond de ma boîte à lettres, parmi un tas de prospectus publicitaires que je ne ramasse que de temps en temps, un avis de lettre recommandée datant de près de quinze jours. Je suis donc allée la chercher à la poste, juste à temps avant qu’elle ne reparte à l’expéditeur. Il s’agissait d’un courrier de Laure Leroy, directrice des éditions Zulma, m’informant qu’en raison de « la situation économique » (sans plus de précision), elle cessait la commercialisation des six livres que j’ai publiés chez eux. Et me proposant de lui en racheter des exemplaires. Grande élégance. Je lui ai répondu par mail, avec copie à la personne qui était en charge des droits – le mail me revient, cette personne ne travaille plus chez Zulma, la réponse automatique donne une adresse anonyme à laquelle s’adresser, il semble que son poste soit supprimé. Peut-être que ça va vraiment mal pour la boîte.

Je n’en sais rien, car je n’ai plus de contact avec eux depuis des années, il y a longtemps que Laure Leroy ne voulait plus de moi. Si j’avais un conseil à donner aux éditeurs, ce serait de réfléchir avant de choisir entre soit garder un·e auteur·e important·e que le milieu rejette pour crime de lèse-parrain, soit rejeter aussi cet·te auteur·e et s’assurer par là le soutien, par exemple, du Monde des livres. Certes il est bon pour un éditeur de pouvoir compter sur une partie importante de la critique pour promouvoir les livres qu’il publie, mais à choisir, et sur le long terme, le mieux c’est quand même de garder les auteur·e·s qui comptent.

À propos de critique dans Le Monde, j’en ai vu une l’autre jour qui comparait la « poésie » de certain petit livre récemment paru à la poésie de Victor Hugo. Intéressée, je suis allée voir en ligne les premières pages du livre en question, que je ne nommerai pas, par charité pour son auteur. Aucun de mes élèves au lycée n’écrivait de si mauvaise « poésie ». Pourquoi cette flagornerie du Monde ? De toute évidence, même le critique le plus nul ne peut que se rendre compte de ce ridicule. Mais c’est que l’auteur entre dans la case musulman-utile et dans les bons réseaux. Trump est parti, Dieu merci, mais la trumperie est toujours de ce monde, avec son mensonge permanent, grossier, criminel – car il y a bien ici crime contre l’esprit.

Pour en revenir à mes titres chez Zulma, j’ai demandé dans ce mail ce qu’il en était des trois qu’ils ont cédés il y a longtemps à d’autres éditeurs pour des collections de poche. J’imagine que ceux-là (Poupée, anale nationale, Une Nuit avec Marilyn et La Dameuse) resteront en circulation. Nous verrons. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait que je récupère les droits des six livres. Des trois ou des six sortis de la circulation je ferai sûrement quelque chose, j’ai l’habitude de la récup ;-)