Arche de jeunesse

à dix-sept ans, en Grèce, photographiée par mon amie allemande, Eva

à dix-sept ans, en Grèce, photographiée par mon amie allemande, Eva

À dix-sept ans, j’avais changé mon sang, l’affaire était entendue : transfusée de poésie à haute dose, mon ADN devenu corde solide, souple, sensible, apte à toutes les variations, toutes les démultiplications, j’étais armée pour la vie.

Armée pour être vivante, sans cesse.

Ayant bu et mangé de la littérature par milliers de pages à l’âge où les veines sont tendres, accueillent le flux et le transportent follement vite et pur au cœur du cœur, réécrite par mes actes de lecture, mes lectures de textes et de nature, j’entrai à jamais dans la vie de lecture, d’écriture, de relecture et de réécriture qui s’appelle perpétuelle jeunesse.

Lisez ! Savoir lire est la connaissance.

*

Le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve,
Le gouffre à l’étambot,
La célérité de la rampe,
L’énorme passade du courant
Mènent par les lumières inouïes
Et la nouveauté chimique
Les voyageurs entourés des trombes du val
Et du strom.

Ce sont les conquérants du monde
Cherchant la fortune chimique personnelle ;
Le sport et le comfort voyagent avec eux ;
Ils emmènent l’éducation
Des races, des classes et des bêtes, sur ce Vaisseau.
Repos et vertige
À la lumière diluvienne,
Aux terribles soirs d’étude.

Car de la causerie parmi les appareils, — le sang, les fleurs, le feu, les bijoux —
Des comptes agités à ce bord fuyard,
— On voit, roulant comme une digue au-delà de la route hydraulique motrice,
Monstrueux, s’éclairant sans fin, — leur stock d’études ; —
Eux chassés dans l’extase harmonique,
Et l’héroïsme de la découverte.

Aux accidents atmosphériques les plus surprenants
Un couple de jeunesse s’isole sur l’arche,
— Est-ce ancienne sauvagerie qu’on pardonne ? —
Et chante et se poste.

Arthur Rimbaud, Mouvement

*

Tout est lumineux dans les poèmes des Illuminations, à qui sait lire

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Exposition Sylvia Plath/Edgar Poe à l’école des Gobelins, et « Une apparition »

Le sourire des glacières m’annihile.
Si bleus courants dans les veines de mon aimée !
J’entends son grand cœur ronronner.

De ses lèvres, esperluettes et signes de pour cent
Sortent comme baisers.
C’est lundi dans son esprit : morale

Passe à la laverie et se présente.
Que dois-je faire de ces contradictions ?
Je porte blanches manchettes, je salue.

Est-ce l’amour alors, ce tissu rouge
Émis de l’aiguille d’acier qui file, si aveuglément ?
Il fera petites robes et manteaux,

Il couvrira une dynastie.
Comme son corps ouvre et ferme –
Une montre suisse, empierrée aux charnières !

O cœur, quelle désorganisation !
Les étoiles clignotent telles des chiffres terribles.
ABC, disent ses paupières.

Sylvia Plath, Une apparition (dans ma traduction)

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Khoo Jade, "Le Corbeau"

Khoo Jade, « Le Corbeau »

Holmes Louis, "Le Colosse"

Holmes Louis, « Le Colosse »

Almaida Emilie, "Edge"

Almaida Emilie, « Edge »

Barocca Sophie, "Opium"

Barocca Sophie, « Opium »

Leroux Agathe, "Coquelicots en juillet"

Leroux Agathe, « Coquelicots en juillet »

Prioul Ornélie, "Cornus"

Prioul Ornélie, « Cornus »

De Bernouis Grégoire, "Le scarabée d'or"

De Bernouis Grégoire, « Le scarabée d’or »

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Cazals Magaux, "La lettre volée"

Cazals Magaux, « La lettre volée »

Rey Mauzaize Léa, "Le chat noir"

Rey Mauzaize Léa, « Le chat noir »

Colombié Maïlis, "Les années"

Colombié Maïlis, « Les années »

Rey Mauzaize Léa, "Le chat noir"

Rey Mauzaize Léa, « Le chat noir »

Manesse Catherine, "Alone"

Manesse Catherine, « Alone »

Jouniot Maxime, "Le corbeau"

Jouniot Maxime, « Le corbeau »

Brocal Juliette, "The night dances"

Brocal Juliette, « The night dances »

Ce sont les œuvres des étudiants de l’école, je ne les ai pas toutes photographiées, pour en voir davantage aller sur place

Et mes traductions de Poe

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« L’Un et le Tout », Goethe et la rue

autoportrait,

En écho à la note précédente, À la santé du Sapiens, cette dernière strophe (à la suite des images) du poème de Goethe L’un et le Tout, dans la traduction de Jean Tardieu, qui le présente ainsi : « le poème, de nature métaphysique, intitulé Eins und Alles (L’Un et le Tout) où l’on perçoit comme un écho lointain, une vision prémonitoire de la pensée moderne, issue, peut-être en partie, des audacieuses conceptions théologiques de Giordano Bruno, lorsqu’il suppose que la Création et ses créatures seraient condamnées au néant si elles n’étaient vouées à un acte éternel, à un changement perpétuel, mariage sacré de l’Unité et de la Totalité. »

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Photos Alina Reyes, hier après-midi à Paris 13e

 

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Il faut que tout agisse et soit mouvant et crée
Et que la forme change aussitôt que formée.
Tu n’es qu’une apparence, ô repos du moment !
Partout au plus profond se meut l’éternité,
Car toute chose ira se dissoudre au Néant
Si dans l’Être immobile elle veut demeurer.

Johann Wolfgang Goethe, traduit par Jean Tardieu

autoportrait

Mwasi et Nizar Kabbani. Contre la politique de la séparation

La polémique autour du festival afroféministe Nyansapo non-mixte accueilli cette année par le collectif Mwasi est un triste symptôme d’une tendance grandissante à la ghettoïsation de notre société. Directement inspirée du modèle américain, la lutte communautaire opère toujours plus de division et de séparation dans la population. Les problèmes de racisme et de sexisme, pour plus d’efficacité dit-on, sont traités en non-mixité. S’il est vrai que des espaces et des temps dédiés uniquement à telle ou telle catégorie de personnes peuvent aider à libérer la parole, le recours rigide à une telle solution finit par s’avérer dangereux et contre-productif. Le danger est celui du repli sur soi et d’une culture de l’apartheid réactivée. Pourquoi ce festival non-mixte, dont l’essentiel est réservé aux femmes « noires » compte-t-il parmi ses organisatrices une femme non noire, Sihame Assbague, l’une des piliers de Mwasi et organisatrice du « camp d’été décolonial », également non-mixte, de l’année dernière ? Pourquoi Houria Bouteldja, du PIR, non-Noire dont elle est proche, conseille-t-elle, toujours au nom de l’antiracisme, aux Noirs de se marier entre eux, aux Noires de ne pas épouser des non-Noirs ? Pourquoi la sociologue Nacira Guénif, non-Noire elle aussi, est-elle une proche du collectif Mwasi ? Que font ces non-Noires à conseiller aux Noirs et aux Noires de rester entre eux ? Il y a dans cette pratique quelque chose d’enfoui qui n’est pas dit, qui sans doute reste inconscient, quelque chose de dévastateur qui est au fondement de l’Amérique et qui a compromis l’Europe : le trafic d’esclaves et l’esclavage. Autrement dit, il y a un moment où le combat contre le racisme replonge dans l’histoire créée par le racisme de façon très dangereusement ambiguë.

Cette affaire me rappelle celle de la Grande mosquée de Paris, où j’allais prier avant 2013, année où les femmes furent reléguées dans une salle à l’entresol parce que certaines personnes avaient protesté du fait que des femmes étaient trop bruyantes dans la grande salle de prière. En fait ce sont surtout certaines Sub-sahariennes qui étaient pointées du doigt, beaucoup d’entre elles étant peu rigides dans la pratique de la religion, mais très vivantes et animées, vêtues de magnifiques couleurs… et le plus souvent à part des croyantes d’origine maghrébine, peu enclines à se mélanger. J’ai observé et connu à la mosquée une culture de la séparation. Séparation des hommes et des femmes, d’abord manifestée par un rideau tendu entre les uns et les autres dans la grande salle de prière, puis par l’expulsion des femmes de cette salle et leur relégation à l’entresol (alors que du temps du Prophète, hommes et femmes priaient dans un même espace). Et culture d’une certaine séparation ethnique (voire nationale) – en contradiction totale avec l’enseignement de l’islam.

Comme toujours, pour décoincer les esprits engagés sur des voies de garage, il faut faire appel aux poètes.  Voici un texte du grand poète syrien Nizar Kabbani, texte que j’ai trouvé sur la page facebook d’une militante afroféministe, Ndella Paye :

 

Ne vous en déplaise,
J’entends éduquer mes enfants à ma manière; sans égard pour vos lubies ou vos états d’âme…
Ne vous en déplaise
J’apprendrai à mes enfants que la religion appartient à Dieu et non aux théologiens, aux Cheikhs ou aux êtres humains.
Ne vous en déplaise
J’apprendrai à ma petite que la religion c’est l’éthique, l’éducation et le respect d’autrui, la courtoisie, la responsabilité et la sincérité, avant de lui dire de quel pied rentrer aux toilettes ou avec quelle main manger.
Sauf votre respect,
J’apprendrai à ma fille que Dieu est amour, qu’elle peut s’adresser à lui sans intermédiaire, le questionner à satiété, lui demander ce qu’elle souhaite, loin de toute directive ou contrainte.
Sauf votre respect,
Je ne parlerai pas du châtiment de la tombe à mes enfants qui ne savent pas encore ce qu’est la mort.
Sauf votre respect,
J’enseignerai à ma fille les fondements de la religion, sa morale, son éthique et ses règles de bonne conduite avant de lui imposer un quelconque voile.
Ne vous en déplaise,
J’enseignerai à mon jeune fils que faire du mal à autrui ou le mépriser pour sa nationalité, sa couleur de peau ou sa religion est un grand pêché honni de Dieu.
Ne vous en déplaise,
Je dirai à ma fille que réviser ses leçons et s’investir dans son éducation est plus utile et plus important aux yeux d’Allah que d’apprendre par cœur des versets du Coran sans en comprendre le sens.
Ne vous en déplaise,
j’apprendrai à mon fils que prendre le prophète comme modèle commence par adopter son sens de l’honnêteté, de la droiture et de l’équité, avant d’imiter la coupe de sa barbe ou la taille de ses vêtements.
Sauf votre respect,
je rassurerai ma fille que son amie chrétienne n’est pas une mécréante, et qu’elle cesse de pleurer de crainte que celle-ci n’aille en enfer.
Sauf votre respect, je dirai qu’Allah a interdit de tuer un être humain, et que celui qui tue injustement une personne, par son acte, tue l’humanité toute entière.
Sauf votre respect,
J’apprendrai à mes enfants qu’Allah est plus grand, plus juste et plus miséricordieux que tous les théologiens de la terre réunis, que ses critères de jugement diffèrent de ceux des marchands de la foi, que ses verdicts sont autrement plus cléments et miséricordieux.
Sauf votre respect …

Nizar Kabbani

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tacoafro600

source de l’image

 

Musique des anges

Les anges de Patrice Contamine de Latour et Érik Satie

LES ANGES    (à notre ami Charles Levadé)

Vêtus de blancs, dans l’azur clair,
Laissant déployer leurs longs voiles,
Les anges planent dans l’éther,
Lys flottants parmi les étoiles.

Les luths frissonnent sous leurs doigts,
Luths à la divine harmonie.
Comme un encens montent leurs voix,
Calmes, sous la voûte infinie.

En bas, gronde le flot amer ;
La nuit partout étend ses voiles,
Les anges planent dans l’éther,
Lys flottants parmi les étoiles.

José-Maria Patricio Contamine de Latour

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Madame Terre chez Érik Satie et autres notes sur lui

et tous les Anges d’ici, à ce jour

et toutes les Chansons

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Ulysse, Nul et le Cyclope (Odyssée, Chant IX, ma traduction commentée)

Cyclope, gravure de Thomas Piroli pour l'Odyssée, édition de 1793

Cyclope, gravure de Thomas Piroli pour l’Odyssée, édition de 1793

*

Il se lamente terriblement, le rocher retentit de ses cris.

Nous, effrayés, nous fuyons. Enfin, dans la confusion,

la débauche de sang, il retire de son œil le pieu

et tout en s’agitant, le jette avec force au loin.

Puis il appelle à grands cris les Cyclopes qui habitent les grottes

des alentours, sur les sommets battus des vents.

Sur quoi, l’entendant hurler, ils arrivent chacun par leur côté,

se tiennent autour de la caverne, s’enquièrent de ce qui l’afflige.

– « Pourquoi donc tout ça, Polyphème, pourquoi appelles-tu,

accablé, par la nuit d’ambroisie, nous empêchant de dormir ?

Serait-ce qu’un mortel emmène tes bêtes contre ton gré ?

Ou serait-ce toi qu’il tue, par piège ou par force ? »

Alors, de son antre, le véhément Polyphème leur répond :

– « Amis, Nul me tue, par piège ni nulle force. »

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J’ai traduit le passage en vers libres pour contribuer à rendre l’effet de machine verbale que constitue ce morceau d’anthologie. Habituellement on traduit le nom que s’est donné Ulysse auprès du Cyclope, Outis, par Personne. Ou-tis, littéralement, signifie : pas-quelqu’un. C’est exactement ce que rend nul, du latin ne-ullus. Et l’intérêt de le nommer Nul, c’est de pouvoir rendre quelque chose du jeu syntaxique employé par Homère dans ce vers en employant ensuite oude, qui signifie ni dans une proposition comportant deux éléments négatifs. Outis… oude. La construction en grec est déjà audacieuse, et elle est particulièrement intéressante en français où elle renforce l’ambiguïté sémantique, achève d’égarer. Polyphème est bien tué par piège : j’ai préféré ce mot à ruse, car il évoque le mécanisme, la mécanique purement poétique de l’intelligence à la fois ici déployée et concentrée en un raccourci saisissant. Qui tue Polyphème ? Les Cyclopes comprennent que cette affaire, si elle ne vient d’un homme, vient de Dieu, de Zeus, c’est ce qu’ils disent et s’en vont. Et telle est bien la vérité. C’est la Langue elle-même qui, dans un extraordinaire tour d’adresse, assassine en lui crevant l’œil Polyphème le mangeur d’hommes.

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