La ville parle et Victor Hugo nous contemple (images et pensées du soir)

devant-lecole-de-limage-des-gobelinsdevant l’École de l’image des Gobelins

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affiches-en-face-de-la-sorbonnerue Victor Cousin, au coin de la place de la Sorbonne

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Victor Hugo dans la cour de la Sorbonne, où je suis allée écouter un séminaire sur littérature et démocratie au 19e siècle – trois sujets traités, sur Michelet, sur le roman de mœurs et sur le roman réaliste (et je me disais : n’en sommes-nous toujours pas là, ou n’y sommes-nous pas retournés, en partie sous l’influence américaine ? car on croit que les États-Unis sont en avance sur l’Europe qui les suit, alors qu’ils sont en grande partie en retard sur elle, et comme elle les suit en effet elle retourne en arrière) – et il y eut de la part des professeurs plusieurs allusions à aujourd’hui, avec l’idéologie libérale et le retour des populismes.

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Nouvelles du front

Le peuple américain n’est pas tombé tout entier dans le panneau, et le peuple européen sait aussi repérer ses ennemis réels.


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À Barcelone, la maire Ada Colau met le holà à la destruction du quartier par l’expansion de la Sagrada Familia et demande aux propriétaires de ce château en Espagne qu’est devenue la cathédrale de cesser de chasser les habitants et de payer des impôts comme tout le monde : l’article dans Libé.
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Aux riches

Misérables riches, avec vos bras longs aux doigts

Pleins de merde par grosses et petites coupures,

Quelle tristesse roule en vos longues voitures,

Quel abyssal ennui dans le sans foi ni loi

De la marchandise qu’est en vos cœurs le monde,

Quelle très secrète et vile déréliction

Vous pavane, fétus, en toute direction

Où brille, stupide comme une fausse blonde,

Votre non-être qui se la pète, mauvais

Vent, haleine chargée malgré ses maquillages

De ce fondamental mensonge dans les âges

Qui annonce la fin, dont vous vivez crevés.

Alors, où est la joie dedans les limousines

Lourdes comme des tombes où vous êtes assis,

Où donc, dans les avions où votre esprit rassis

Cherche à se divertir, s’élève un peu la fine

Flamme d’amour vive ? Quel présent dans vos mains

Autre que des pourboires, quelle miséricorde

Vous est donnée, à vous qui ne tendez que corde

Pour se pendre aux enfants du monde de demain ?

Où est la joie dans vos trafics d’êtres et d’âmes,

Vos chairs bistourisées, vos industries du faux,

Vos cervelles droguées, vos allures d’appeaux,

Dans tous vos simulacres, exploitations infâmes

Du vivant dont vous vous enivrez et narguez

Les pauvres, les jeunes, toutes les multitudes

Affamées, assoiffées, masses de solitudes

Trébuchant dans les pièges que vous leur larguez.

Voyez, tricheurs voleurs, comme monte l’angoisse

Autour de vos palais, comme la mort étend

Son ombre et sa menace au cœur de notre temps,

Riche de vos esprits vendus, portant la poisse

Sortie de vos usines sur terre comme au ciel.

Misérables pillards, qui transformez les hommes

En aveugles haineux ou en bêtes de somme,

Dépouillez-vous, que vienne vous sauver l’appel.

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Les « 50 romans de notre temps » du Spiegel et vos livres à vous

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Ceux de cette liste que j’ai lus sont, dans l’ordre où ils y apparaissent : Les Versets sataniques de Salman Rushdie (seulement le début, car c’est trop mal écrit) ; Lust d’Elfriede Jelinek ; American Psycho de Bret Easton Ellis ; Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq ; La tache de Philip Roth ; Neige d’Orhan Pamuk ; La route de Cormac Mc Carthy. C’est fort peu. Ces dernières années j’ai lu bien peu des livres qui sortaient, mais je m’étonne de l’absence dans cette liste de Haruki Murakami ou de Vladimir Sorokine, par exemple. Réalisme, réalisme. La liste en dit plus long sur l’esprit des médias de notre temps que sur notre temps.

Allez, c’est ma journée conseil. Après les conseils sur la santé physique, un conseil pour l’esprit : ne pas négliger bibliothèques et bouquinistes, ou rééditions électroniques gratuites de livres tombés dans le domaine public. Les livres de votre temps ne sont pas forcément ceux du temps des médias. Ils peuvent même être tout autres. Le bonheur, c’est de les trouver. Je me rappelle par exemple du jour où j’ai trouvé chez un bouquiniste l’édition originale de Moby Dick dans la traduction de Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono (le bateau de sa couverture ne rappelle-t-il pas celui des migrants ? « notre temps »). Un de ces livres qui sont de tous les temps, et ne vous enferment pas dans « notre temps » mais vous transportent dans l’éternité.

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Administration de la misère

Quand vous vous retrouvez sur le carreau, dans cette société où vous pouvez avoir travaillé et gagné votre vie depuis l’adolescence, mis au monde et élevé quatre enfants, fait gagner pas mal d’argent à pas mal de gens qui finalement ne daignent plus seulement vous répondre, l’humain n’étant pour eux qu’un produit comme un autre, jetable et changeable, alors vous revenez au dénuement de votre jeunesse et vous y êtes en compagnie de migrants et de réfugiés, à l’hôpital et dans les services sociaux. Vous voyez comment les choses se passent à ce niveau de la société. L’extrême précarité est toujours l’extrême précarité, mais elle a changé de visage depuis trente ans. Le fait est que vous y êtes mis en concurrence avec des migrants et des réfugiés, sur des faits précis que je ne veux pas raconter pour ne pas alimenter le trouble. Je veux juste dire que je l’ai constaté, vécu, et que les autorités devraient y penser sérieusement si elles veulent voir perdurer la démocratie. Penser à alléger le règne de l’administration, qui paralyse les forces vives comme une immense toile d’araignée sur le pays. Penser à sortir de la volonté d’assistance, toujours couplée à l’humiliation, à la changer en volonté de solidarité active, de soutien dans les démarches de reconversion ou de formation, de prise en compte des difficultés réelles et des souffrances du peuple mais aussi de ses potentialités, de ses qualités, de son désir de participer à la marche commune, son désir d’aider à avancer. Nul ne sait mieux que les personnes qui connaissent ou ont connu la grande précarité comment survivre dans l’adversité, comment vivre sans se vendre, comment garder la joie et la foi en la vie. Être socialement bien intégré est une force, mais aussi un handicap en cas de moment difficile. Et quelle histoire ne compte pas ses moments difficiles ? Ceux qui sont habitués au confort ont bien plus de difficultés à admettre les changements de paradigme et à risquer leur existence. La solidarité n’est pas la charité. La charité, au sens chrétien du terme, n’est rien, n’est rien que de menteur et de détestable. La solidarité garde en vue l’égalité des partenaires : tous ont besoin les uns des autres, et ceux qui ont le plus besoin ne sont pas ceux qui en ont l’air. Beaucoup de créateurs ont fini dans la misère, et pourtant ce sont eux qui aidaient la société, et qui continuent à la secourir.

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