Images de la collection Chtchoukine à la fondation Vuitton

fondation-vuitton fondation-vuitton Quand on voit ça, on se dit c’est peut-être comme l’opéra Bastille ou la BnF, moche à l’extérieur mais beau dedans. Mais non, c’est moche dedans aussi, et avec un éclairage médiocre. Heureusement Chtchoukine, lui, avait du goût et les œuvres de sa collection réunies ici jusqu’au 20 février prochain valent le déplacement. Malgré la foule qui rendait l’approche difficile, j’en ai photographié quelques-unes.portrait-de-chain-mei-laoziAnonyme, Portrait du patriarche Chain Mei Laozi, 17e siècle, encre de Chine et aquarelle sur soie

*monetClaude Monet, Déjeuner sur l’herbe, 1866

Décryptage « Le Déjeuner sur l’Herbe »

*douanier-rousseau Douanier Rousseau, Vue du Pont de Sèvres et des côteaux de Clamart, Saint-Cloud et Bellevue, huile sur toile, 1908

*odilon-redon Odilon Redon, Femme étendue sous un arbre, tempera sur toile, 1900

*picasso Picasso, L’étreinte, pastel sur carton, 1900

*matisse-atelier-du-peintreMatisse, L’atelier du peintre, huile sur toile, 1911

*matisse-danse Matisse, La danse, huile sur toile, 1912

*matisse-desserte Matisse, La Desserte (Harmonie rouge, La Chambre rouge), huile sur toile, 1908

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malevitch-baigneur Malévitch, Baigneur, gouache et crayon sur papier, 1911

*larionov-printemps Michel Larionov, Le printemps, huile sur toile, 1912

*tatline-nu Vladimir Tatline, Nu, huile sur toile, 1913

*rodtchenko-construction-en-blanc Rodtchenko, Construction sur blanc, huile sur toile, 1920

*lioubov-popova-architectonique-picturaleLioubov Popova, Architectonique picturale, huile sur toile, 1918

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l’expo sur le site de la fondation

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un documentaire sur Chtchoukine, un personnage à découvrir, sur Arte

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« Philippe Soupault et le surréalisme », témoignage filmé par Bertrand Tavernier


Passionnant et magnifique, on ne voit pas le temps passer. Une leçon d’humanité, d’histoire, de poésie. Avec Alain Aurenche en interlocuteur. Et avec la musique d’Érik Satie. Soupault évoque un grand nombre d’artistes et de poètes qu’il a connus, de Charlie Chaplin à André Breton bien sûr, en passant notamment par Cendrars, ou Jarry, chez lesquels nous sommes allés, comme chez Satie, il y a quelques jours.

« La fille se leva et s’approcha de son hamac »

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Douanier Rousseau, Le Rêve

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« La fille se leva et s’approcha de son hamac. Il posa la main sur son épaule et elle tressaillit ; en même temps, elle l’observait d’un regard hardi et possessif. Laissant courir ses doigts de sa tempe jusqu’à sa petite oreille délicate, il s’émerveilla de la fraîcheur de sa peau moelleuse comme du caoutchouc ; elle paraissait élastique. Elle pouffa et posa sa tête sur sa poitrine, puis mit doucement les doigts sur son bas-ventre, explorant la toison rude.

« Tsindu », marmonna-t-elle d’un ton ravi, en fronçant le nez. Les Niarunas avaient tout le corps pratiquement vierge de poils, qu’ils considéraient comme la preuve indiscutable de mœurs dissolues. Dans la mesure où ils associaient les poils aux guhu’mi, les démons de la forêt, ils avaient d’abord pensé que cette particularité était susceptible d’accentuer son auréole surnaturelle, mais leur ligne de démarcation entre le sacré et le profane était plutôt incertaine. Déjà ils adoptaient un ton plus familier avec Kisu-Mu et le taquinaient, non seulement au sujet des poils de son pubis, mais encore de ses pieds tendres, de sa terrible maladresse à l’arc et aussi de sa répugnance à manger des poux. Dès le début, ils s’étaient montrés bien plus intrigués par le revolver, par son poids et son éclat, qu’ils ne l’avaient jamais été par l’avion ou le parachute, qui dépassaient totalement leur entendement.

Sortant par la porte latérale, il entraîna Pindi parmi les arbres, où il lui fit l’amour. Les enfants accoururent pour profiter du spectacle ; il les chassa, mais quelques-uns revinrent furtivement pour encourager le couple de leurs cris. À moins de les tuer, il n’y avait pas d’autre solution, Pindi refusant de coucher avec lui une fois la nuit tombée. Le jour, Kisu-Mu était inoffensif et pouvait être traité comme un homme, mais la nuit, lorsque rôdaient jaguars et fers-de-lance, chauves-souris vampires et guhu’mi, il était dangereux de dormir avec les esprits. Le crépuscule et la nuit étaient sacrés. Qui pouvait assurer Pindi que Kisu-Mu ne se transformerait pas en Homme-Anacouda, et qu’elle ne donnerait pas naissance à des serpents ?

Ils se séparèrent brusquement et restèrent étendus sur le dos, savourant le soleil sur leur peau nue et la langueur qui leur alourdissait les jambes. Puis Pindi l’accompagna à la rivière, qu’ils appelaient le Tuaremi, et délaissant la pirogue à laquelle ils travaillaient, les autres Niarunas les suivirent. Elle entra dans l’eau en même temps que lui, les enfants s’y précipitèrent à leur tour, et tous se mirent à s’éclabousser. »

Peter Mathiessen, En liberté dans les champs du Seigneur, trad. Maurice Rambaud

Jean-Pierre Brisset par Michel Foucault, Sept propos sur le septième ange

Douanier Rousseau, Les Flamants roses

 

En préparant mon travail sur Saint-Louis de la Salpêtrière (nous y reviendrons),  je suis tombée sur les Sept propos sur le septième ange de Michel Foucault. J’étais partie à la bibliothèque chercher Histoire de la folie à l’âge classique, j’en ai ramené aussi Naissance de la clinique. Mais ce que j’ai d’abord lu cette nuit, ce sont donc les Sept propos…

André Breton dans son Anthologie de l’humour noir dit de Brisset : « Nous assistons ici, non plus à un retour de l’individu mais, en sa personne, à un retour de toute l’espèce vers l’enfance. (Il se passe quelque chose d’équivalent dans le cas du douanier Rousseau). »

Cependant Brisset est bien plus vertigineux que Rousseau. Son désir de retrouver l’enfance de la langue s’apparente à une physique-métaphysique, une métaphysique-physique. Lisant Foucault, j’ai songé, bien au-delà de « l’humour noir » vu par Breton, aux trous noirs des physiciens, attirant la lumière, et aussi à ce qu’ils appellent trous de vers, par où s’effectuerait le passage d’une dimension à une autre. Comme dans ce Journal toutes les « Catégories » peuvent entrelacer leurs doigts, et les mots-clefs féconder l’être dans leur nuée.

En sortant de la bibliothèque, je suis passée par la rue Teilhard de Chardin, où j’ai fait les photos qui dialoguent avec le texte de la note précédente. « Coextensif à leur dehors, il y a un dedans des choses », dit Teilhard.  À l’évolution correspond une involution créatrice, c’est aussi ce qu’a pressenti dans la langue Brisset, qui aspirant sa lumière et la retournant comme un gant, ouvre par ce voyage un trou de ver dans les dimensions de l’être.

Citons Foucault : « Chercher l’origine des langues pour Brisset, ce n’est pas leur trouver un principe de formation dans l’histoire, un jeu d’éléments révélables qui assurent leur construction, un réseau d’universelle communication entre elles. C’est plutôt ouvrir chacune sur une multiplicité sans limite ; définir une unité stable dans une prolifération d’énoncés ; retourner l’organisation du système vers l’extériorité des choses dites. »

Foucault montre que Brisset part d’un bruit de fond originel de la langue, d’où seraient nés les mots, formes condensées dont il est possible de libérer de nouveau le foisonnement du sens. Je pense à l’épisode de Babel, traduit et commenté dans Voyage, et inauguré ainsi : « Tout le pays était babil unique », avant la dispersion par Dieu des hommes et des langues dans le monde, libérant la vie.

Citons Brisset, cité par Foucault : « Voici les salauds pris ; ils sont dans la sale eau pris, dans la salle aux prix. » L’homme naît dans le marais, comme on y assiste aussi dans Voyage. Citons Foucault, à propos de Brisset : « Le mot n’existe que de faire corps avec une scène dans laquelle il surgit comme cri, murmure, commandement, récit ; et son unité, il la doit d’une part au fait que, de scène en scène, malgré la diversité du décor, ds acteurs et des péripéties, c’est le même bruit qui court, le même geste sonore qui se détache de la mêlée, et flotte un instant au-dessus de l’épisode, comme son enseigne audible ; d’autre part, au fait que ces scènes forment une histoire, et s’enchaînent de façon sensée selon les nécessités d’existence des grenouilles ancestrales. »

Il s’agit de « retransformer les mots en théâtre ; replacer les sons dans ces gorges coassantes ; les mêler à nouveau à tous ces lambeaux de chair arrachés et dévorés ; les ériger comme un rêve terrible, et contraindre une fois encore les hommes à l’agenouillement : « Tous les mots étaient dans la bouche, ils ont dû y être mis sous une forme sensible, avant de prendre une forme spirituelle. Nous savons que l’ancêtre ne pensait pas d’abord à offrir un manger, mais une chose à adorer, un saint objet, une pieuse relique qui était son sexe le tourmentant. »

Et maintenant sortons du livre, voyons ce qu’il vient de nous dire : l’idolâtrie première, d’où viennent les paroles mauvaises. Rappelons-nous que ce qui peut rendre l’homme impur, ce n’est pas ce qui entre en lui, mais ce qui peut sortir de sa bouche, ainsi que le dit le Christ. La saloperie que décline Brisset. Qu’il faut laver et racheter dans l’eau baptismale d’une langue originelle retrouvée, et non seulement retrouvée mais réinventée, redéployée, pour Sa gloire et le salut du monde.

 

Jean-Pierre Brisset

Michel Foucault

Voyage