Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne (1)

hier soir de ma fenêtre, photo Alina Reyes

 

Cette sourate est au centre phonologique du Coran. Même nombre de lettres de part et d’autre. Centrale aussi dans sa signification.

Elle a été presque entièrement révélée à La Mecque et comporte 110 versets. Selon plusieurs hadiths, quiconque en lit le vendredi les dix premiers ou les dix derniers versets (lesquels protègent de l’antichrist), bénéficie d’une lumière jusqu’au vendredi suivant. Et quiconque la lit reçoit une grande lumière au Jour de la Résurrection.

Le Coran est semblable au ciel étoilé. Son ordre est absolument parfait, même s’il nous échappe. Quant à sa contemplation, elle demeure libre. Nous avons déjà contemplé la première sourate, Al-Fatiha, L’Ouvrante ; la sourate 96, Al-Alaq, que nous avons interprété « La Foi » ; et la sourate 114, An-Nas, Les Hommes. Enfin, dans la note précédente nous avons donné à lire, entendre et voir en peinture cette sourate Al-Khaf, telle l’étoile Polaire, que nous allons maintenant commenter un peu. Bien entendu rien ne nous empêchera d’y revenir (notamment lorsque je serai en mesure de le faire à partir du texte arabe), comme rien ne nous empêche de contempler inlassablement telle ou telle étoile, telle ou telle constellation, et le ciel tout entier, visible et invisible.

Dans Relire le Coran, Jacques Berque évoque « la théologie musulmane, selon laquelle l’époque du Coran est justement celle où des miracles matériels, on est passé aux miracles intellectuels, aux miracles rationnels, aux miracles d’induction. »

Le centre du Coran est plus précisément, dit-il ailleurs, le verset 74 de cette sourate. Il s’agit du verset au cours duquel le mystérieux guide de Moïse tue sans raison apparente un jeune homme rencontré en chemin. Voyant cela, j’ai vu le Livre comme un univers de lumière et de vie, jailli du trou noir qu’est le mystère de la mort ; et de par ce mystère tout entier avertissement et promesse pour le Jour de la Résurrection.

La Bible aussi se développe à partir de ce mystère, avec l’expulsion d’Adam et d’Ève hors d’Éden et leur entrée dans le monde mortel, et le premier meurtre humain, celui d’Abel par son frère Caïn. Et le Nouveau Testament, le christianisme tournent entièrement autour de la Croix, à savoir la mort du Christ et sa Résurrection, promise à tous.

Veiller à la source unique, proclamer sa souveraineté et son inviolabilité, montrer à partir d’elle le chemin de la Résurrection, tel me semble être le thème premier de cette dix-huitième sourate. Au terme de la première histoire qu’elle raconte, celle de la caverne où se sont réfugiés des jeunes gens persécutés pour leur foi, est affirmé le fait que Dieu seul sait quel était leur nombre, et quel fut le nombre d’années ou de siècles qu’ils y passèrent. Au terme de la deuxième histoire, celle du jardin terrestre, est affirmé le fait que l’homme, contrairement à ce qu’il peut s’imaginer, en définitive n’est pas maître de son destin ; mais que vient assurément pour chacun le moment de se retrouver devant Dieu. La troisième histoire nous conduit à la toute spirituelle « jonction des deux mers » : c’est là que « le poisson » retourne à sa source, comme Moïse va être conduit à le faire en voyant que le sens caché de l’existence et de la mort est en Dieu et lui appartient.

La quatrième histoire est celle d’un peuple primitif, presque sans langue, vivant directement sous l’ardeur du soleil, et menacé par Gog et Magog, qui se voit mis à l’abri par l’édification d’un mur jusqu’au Jour du Jugement. Plus nous avançons dans la sourate, plus le mystère devient profond, insondable et pourtant offert à notre pénétration. Laissons aujourd’hui sa splendeur et son immensité nous renverser, puis nous reviendrons marcher en son domaine, tels les Dormants de la Caverne ou Moïse, son compagnon et leur Guide.

Kahf signifie : grotte, caverne (surtout spacieuse) ; refuge, asile ; chef d’une troupe et chargé de ses affaires ; rapidité de la marche, de la course.

Les jeunes gens se sont réfugiés tout à la fois dans la caverne et dans la rapidité de la marche. Des siècles ont passé quand ils se réveillent comme s’ils n’avaient dormi que quelques heures. Ils ont trouvé refuge aussi dans « le chef de la troupe, chargé de leurs affaires », Dieu. Là où la course du temps est libérée de sa mesure humaine, là où se trouve le salut.

Hûta signifie : poisson (surtout très grand, notamment le poisson de Jonas) ; et c’est aussi la constellation des Poissons. Le grand poisson est donc aussi la spacieuse caverne, et réciproquement. Mais l’histoire ne se passe pas sur terre, comme pour Jonas qui doit aller prêcher Ninive, elle se passe au « ciel » (la constellation), au lieu des miracles intellectuels, des miracles rationnels, des miracles d’induction.

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à suivre : ici

Prochain, notre destin

photo Alina Reyes

 

C’est un mouvement irrésistible qui m’appelle. Ce que Dieu a écrit est devant nous et nous appelle. Plus nous Lui obéissons, plus nous Lui obéissons. Plus nous Lui obéissons, plus vite nous allons, et plus la vitesse est puissante lenteur. Le concours et l’adversité des hommes ne font qu’assurer plus profondément ou même précipiter le destin – je parle du destin spirituel, le seul qui soit, le seul qui conditionne toute la vie.

Jésus, par la parabole du bon Samaritain, enseigne à ses disciples que leur prochain, c’est celui qui les secourt, d’où qu’il vienne. Le sens de cette parabole est très souvent déformé par les prêtres, qui prétendent qu’elle signifie que mon prochain, c’est tout homme. Ils se placent du point de vue de ce Samaritain qui secourt même l’étranger. C’est capital aussi, mais ce n’est pas ce qu’a voulu dire le Christ. Celui qui nous secourt est notre prochain, voilà ce qu’il a clairement voulu dire. Or, qui nous secourt, en fin de compte ? Dieu. Et il n’est qu’un Dieu. C’est pourquoi mon prochain, c’est-à-dire celui qui m’est le plus proche, plus proche de moi que ma veine jugulaire comme Il le dit au Prophète, n’est pas l’un ou l’autre, mais l’Unique. Même quand il semble être un étranger. Dieu est toujours un étranger. Et Il ne veut pas que nous ayons peur de l’étranger. C’est aussi ce que Jésus a enseigné, en devenant comme un étranger pour les siens, qui ne l’ont pas reçu et dont il s’est détaché, pour le salut de tous. Le Christ survit au judaïsme comme il survivra au christianisme tel qu’il se développa durant près de deux mille ans avant de perdre sa splendeur en perdant la vision de Dieu, devenu remplaçable par l’un ou l’autre. Le Christ est celui qui ressuscite, et l’islam le sait aussi, il sera là, il est là quand vient le moment de la fin et du passage à un autre temps.

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En écrivant le douzième

 

À vivre par, avec et dans le mensonge, ils pourrissent, ils pourrissent, et tous les hommes sensés quittent leur barque en décomposition, et elle tombe en poussière.

Partons sur un bouchon de liège par les eaux claires.

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un extrait du Onzième livre :

 

Je ne suis pas de cette Église. Je suis avec le peuple des pauvres en esprit.

Qui préfère le diable à Dieu, ne finit pas en Dieu. Le temple romain va tomber.

Vieux anges déchus, outils parmi d’autres des puissances révélatrices de Dieu, venu purifier son peuple.

Le souffle monte en moi, doux, nerveux, vivifiant, le souffle se dresse en moi, frémissant de mots à venir, à jaillir pour la vérité du monde.

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À propos de la polémique autour du livre de Richard Millet

à la cathédrale de Nantes, photo Alina Reyes

 

La littérature et les textes sacrés sont victimes du même gravissime problème : l’homme d’aujourd’hui ne sait plus les lire. Et ne peut que vouloir les censurer. Le Coran est plein d’expressions violentes, la Bible aussi, de même que les pièces de Shakespeare ou les livres de Céline. Dans certains cas il apparaît que le texte dénonce la violence (et le lecteur est rassuré), dans d’autres il semble au contraire la promouvoir – et le lecteur est horrifié.

Il faut comprendre que ni les textes sacrés ni les textes poétiques (c’est-à-dire de vraie littérature) ne sont des essais exposant des idées. Même s’ils en ont l’air. Il faut dépasser les apparences. Le texte poétique ne se trouve pas, ne se rencontre pas au niveau des apparences, il dépasse même souvent son auteur et ses idées. Le texte poétique déboule dans le monde pour lui jeter sa vérité en pâture. Sa vérité sous tous ses aspects, les plus splendides comme les plus détestables. L’ange de l’Apocalypse tend à l’homme le livre à manger, et le livre est tantôt doux et tantôt amer. Car le livre révèle.

Telle est sa mission : révéler aux hommes ce qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas voir. Car seule la révélation de la vérité peut sauver les hommes, tantôt en les horrifiant, tantôt en les émerveillant. Le texte poétique vient d’au-dessus du jugement des hommes. Dieu, ou la Vérité si l’on préfère, se saisit de tel ou tel homme, et lui intime d’écrire ce qui est. Il est vrai que l’antisémitisme dit dans les pamphlets de Céline fut, ou est. Que quelqu’un déploie cette vérité en mots, il le fallait. Même si cela échappe à notre compréhension immédiate de ce qui est bon. Les voies de Dieu sont impénétrables, comme on dit. Elles ne le sont pas tant que ça, à condition de se placer au-dessus des débats terrestres, trop terrestres. La vérité sauve, même quand elle fait très mal, même quand on croit qu’elle blesse et nuit. Seulement il faut savoir la recevoir.

Comment ? D’abord en ne se souciant pas de savoir si elle reflète ou non la position de celui qui la révèle. Peu importe, il n’est qu’un homme comme les autres. Ce qu’il faut, c’est regarder le texte en face et se dire : voilà, ce qu’il dit là (que ce qu’il dise tienne de l’amour ou de la haine) existe dans le cœur de la communauté humaine que nous sommes.

Dieu n’attend pas le Jugement dernier pour exprimer son jugement, il nous le donne dans l’éternité des textes sacrés et aussi, au fil du temps, dans l’actualité littéraire. Son jugement est le miroir qu’il nous tend à travers ces textes. Quand nous nous regardons dans la glace, si nous avons une mèche de travers, nous la remettons en place. Sachons faire de même avec ces miroirs de l’être que sont les miroirs de lettres. Vouloir les briser ne nous amènerait qu’à être de plus en plus de travers, de plus en plus laids. Nous vivons dans un monde de Dorian Gray, vendus aux miroirs truqués. Attention, plus dure est la chute. Ne pas la fuir quand elle arrive reste le seul moyen de pouvoir s’en relever.

 

Quelques autres brefs éléments de réflexion à propos de la polémique autour du livre de Richard Millet, ces dernières heures sur ma page facebook.

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