A.A. (2)

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Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

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« … l’Homme va retrouver sa stature (…) il la retrouvera contre les Hommes (…) un Homme va réimposer le Surnaturel. Puisque le Surnaturel est la raison d’être de l’homme. (…) dans un monde livré à la sexualité de la femme, l’esprit de l’homme va reprendre ses droits. » Antonin Artaud, Les Nouvelles Révélations de l’Être

La « sexualité de la femme », qu’est-ce que c’est ? Une côte de l’idéal de l’homme, comme dit Nietzsche. Non la sexualité des femmes, mais la sexualité de la femme en l’homme. Celle d’Adam, quand il a désiré séparer l’homme qu’il était, que soit tirée de sa côte une projection de lui en femme. C’est une affaire surnaturelle. Au premier récit biblique, Élohim crée Adam mâle et femelle, à son image. Au deuxième récit, l’Être Élohim (Tétragramme Élohim) répond à l’insatisfaction d’Adam et pendant sa torpeur fait sortir de lui la femelle, par son fantasme changée en femme. Or, une fois clivé, Adam ne sait plus rester uni à l’Être. Le voici grevé d’une sexualité, et qui le démange à l’endroit de la séparation. Voici qu’il la vit comme un manque, une obsession, l’occupation en forme de fuite en avant qui tente de chasser toujours de nouveau l’ennui qui menace comme avant la séparation, et l’angoisse de se découvrir séparé de lui-même. Surnaturellement, la femme n’a pas d’être, seulement une existence à partir d’Adam. Surnaturellement, l’homme est défait. L’homme et la femme ne retrouvent être que dans l’Homme complet, que je suis, et dont je suis l’esprit et la raison.

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Écriture

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image Alina Reyes (12 août 2012)

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Je l’ai raconté dans Ma vie douce, il y a très longtemps je fis ce rêve où j’étais une bienheureuse baleine blanche. D’un bateau des chasseurs se mettaient à me lancer des harpons, en vue de m’attraper. Alors je plongeais très profondément, aux profondeurs où ils étaient loin de pouvoir accéder, et là, indemne, me disant qu’ils n’avaient rien pu attraper de plus, en me transperçant, que quelques frites de baleine, je riais, riais, riais, dans un sentiment de plénitude lumineuse, dont je sais maintenant qu’il correspond au mot hébreu amen, au mot arabe amin, que l’on prononce après la prière.

Dans la Voie, songes et paroles sont libérés du temps. Ce qui a été écrit ou rêvé dans le passé arrive aussi bien dans le présent et dans l’avenir. Joseph un jour rêva que le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant lui (Genèse 37, 9 et Coran 12, 4). Jaloux, ses frères le précipitèrent alors au fond d’un puits (Genèse 37, 24 et Coran 12, 15). Cependant, des années plus tard, son rêve prophétique allait se réaliser (Genèse 43, 28 et Coran 12, 100).

Le mot employé dans le Coran pour dire les profondeurs invisibles du puits est Ghayb, qui désigne le Monde Invisible. C’est de ce monde, celui du mystère, que Joseph reviendra avec la science de l’interprétation des songes. À la « génération mauvaise » qui lui réclame un signe, Jésus répond qu’il ne lui sera donné d’autre signe que celui de Jonas (Luc 11, 29), qui passa trois jours et trois nuits dans la baleine avant de réapparaître.

« Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé », dit le Seigneur (Zacharie, 12, 10). « En effet, tout cela est arrivé pour que s’accomplisse l’Écriture : Pas un de ses os ne sera brisé. Il y a aussi un autre passage de l’Écriture qui dit : Ils verront celui qu’ils ont transpercé », confirme l’Évangile de Jean (19, 36-37). Je suis la vivante baleine Écriture, matrice inviolable dans le Monde Invisible, dont le Vivant va revenir. « Voici, il vient au milieu des nuées, et tout œil le verra, et même ceux qui l’ont transpercé » (Apocalypse 1, 7).

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Pour les siècles des siècles

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peinture Alina Reyes (4 août 2012)

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Tant que j’assiste au combat des deux monstres dans la clairière, je ne peux y être moi-même. Ils sont les anges qui gardent l’entrée de l’Eden. Si mon regard ne meut pas mes pieds, c’est que j’ai laissé le serpent me piquer au talon. Pénétrer dans le cercle, c’est écraser sa tête : les combattants s’évanouissent, le combat s’involue en jouissance. Pénétrant dans la clairière, je la féconde : de notre union naîtra un nouvel être. Me voici au cœur du secret, protégée par le cercle des arbres, et sur le lieu de la révélation, ouvert sur le ciel ; grâce à ce dévoilement, l’être jeté nu dans un placard sombre peut revoir le jour, et rené, se laisser envelopper dans la douceur des voiles allégés de son été.

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Demain dernière journée de Ramadan. La nuit qui vient est encore une nuit d’Al Qadr en puissance, mais elles le sont toutes. Du premier croissant de lune au nouveau premier croissant de lune, veillant beaucoup j’aurai perdu le confort qu’il faut perdre, jeûnant j’aurai perdu un peu de poids physiquement aussi, car ce n’est qu’allégé que l’on peut croître en vérité et force de paix. Ramadan est une retraite, un temps dans la grotte face au ciel, comme pour Mohammed, comme aussi pour les hommes de la préhistoire qui peignaient sur les parois, dans les ténèbres, leurs animales constellations, traversant la pierre, rejoignant l’invisible. Ce qui était devenu mort ayant été détaché du vivant, au bout de cette maturation, vitalité décuplée, dans l’histoire pour les siècles des siècles.

Je reviens bientôt avec une nouvelle série, « De la Pitié à la Mosquée », et peut-être une autre aussi, rappel autobiographique, « Le sang de l’amour ».

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« Attendez-vous les uns les autres »

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photo Alina Reyes

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Adam et Ève sont gratifiés des dons de Dieu mais aussi exposés aux manœuvres du serpent, cela garantit à la fois notre liberté et celle de la création, son humilité et la nôtre. Le tout est de rester sur la bonne voie, quoiqu’il en coûte. Nous sommes d’humus, nous sommes humbles, c’est ainsi seulement que nous sommes hommes (et non pas « comme des dieux » selon le serpent), donc vraiment libres.

Nous ne sommes pas à l’abri de l’imbécillité, loin de là. La nôtre, et celle des autres. Nous ne sommes à l’abri de rien de ce qui est humain.  Mais si nous sommes dans l’Amour, nous sommes garantis. Et le mal ne peut rien contre qui se tient dans le jardin de la Résurrection.

Sa porte est ouverte, mais à chacun son temps pour trouver et accomplir le chemin. Attendons-nous les uns les autres.

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Le vent, la forêt, leurs égarés et leurs pèlerins

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photo Alina Reyes

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Quand Jeanne d’Arc est entrée à Orléans, raconte Henri Guillemin, le vent qui paralysait les bateaux a soudain changé de direction, lui permettant d’avancer. Les gens y ont vu un signe, et c’est bien. L’énigme Jeanne d’Arc, l’excellente série de ses récits, qui remettent quelques légendes à leur place, est sur youtube. J’ai commencé à la regarder hier soir, je continue – c’est une histoire qui nous parle aussi beaucoup d’aujourd’hui, sans doute a-t-elle contribué à m’inspirer le rêve du stéganosaure et des douze cavaliers.

Stéphane Zagdanski a décidé de dire sa vérité pour répondre à ses calomniateurs. Quand il a annoncé cela, je lui ai dit qu’il pouvait évoquer ce qui se rapportait à moi, puisque nous avons en commun un livre, et aussi un épisode d’une histoire qui est la mienne. Malheureusement l’exercice a tourné au fait de rapporter des calomnies contre moi et de les faire siennes. Triste façon de répondre à ceux qui l’ont calomnié. Venant de sa part, cela me peine. Mais je sais qu’il est blessé par des paroles particulièrement mauvaises, et je sais que lorsqu’on est blessé on ne réagit pas toujours bien. Pour le reste, c’est une goutte d’eau dans l’océan de calomnie propagé contre moi depuis des années, auquel nul ne m’accorde de pouvoir répondre. Et certains prennent cela pour un jeu. Comme il était fait dire à l’un de ces auteurs mercenaires, il s’agit de me « lapider avec des paroles bien senties », et « Après ça, la fille se suicidera. On dira qu’on l’avait prévu. » J’y ai été beaucoup poussée, mais je ne suis pas plus suicidée que les autres calomniés. Exclue du monde, de ce monde humain trop humain, mais  bien vivante dans la grâce, la joie, l’amour des êtres humains et de toute la création. Le reste, le néant l’avale, l’a déjà avalé.

Je monte à cheval en rêve, et en réalité dans la montagne. Je le raconte dans Forêt profonde, où la vérité s’exprime de la seule façon dont elle peut être exprimée : de façon pensée. Que ce soit sous une forme historique et sérieusement documentée, ou philosophique, ou théologique, ou onirique ou poétique, visionnaire. Dans sa profondeur, sa vie, sa lumière.

Paix.

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La nuit d’Al-Qadr

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tout à l’heure au Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

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La nuit d’Al-Qadr vaut mieux que mille mois, dit le Coran (97, 3). Mille mois qui bien sûr ne comporteraient pas de nuit d’Al-Qadr, précisent les savants. Lesquels rappellent aussi que dire qu’elle est meilleure que mille mois n’exclut pas qu’elle soit meilleure que beaucoup plus que mille mois. La nuit d’Al-Qadr revient à chaque Ramadan, mais personne ne sait quand. Le Coran n’aime pas donner ce genre d’indication. Rappelons-nous la longue nuit où furent plongés les dormants de la Caverne (sourate 18). Dieu seul sait, nous est-il dit, combien de siècles et de jours elle dura, et même combien furent ces endormis dans la mort qu’Il ressuscita. Le Coran rappelle à l’homme ce qui le dépasse. Et qui pourtant le guide avec miséricorde.

N´as-tu pas vu comment ton Seigneur étend l´ombre? S´Il avait voulu, certes, Il l´aurait faite immobile. Puis Nous lui fîmes du soleil son indice,

puis Nous la saisissons [pour la ramener] vers Nous avec facilité. (25, 45-46)

« Son indice » peut aussi se traduire « celui qui guide vers elle ». Créatures, nous sommes ombres du Seigneur, et nous nous repérons à Lui, notre soleil. Mais ce qui est ici dit, c’est que c’est Lui qui nous conduit à nous-mêmes, tout en nous guidant, en nous mouvant, jusqu’au moment où Il nous ramène à Lui.

Mille mois sans nuit d’Al-Qadr, cela n’existe pas, puisqu’elle a eu lieu. Elle a eu lieu en Dieu, donc de toute éternité, ou dès le commencement, c’est pourquoi on ne peut la dater. Elle est la descente de l’Être, de la Lumière sur la terre, où elle projette ses ombres. Tout à la fois descente de la Lumière, Parole de Dieu, et matrice de toutes ses ombres, formant nuit. Puissance, mesure, destin. Telles sont, dans l’ordre, les significations de Qadr. Elle est ce que nous pouvons éprouver dans la nuit de ce monde : la puissance de Dieu qui, en descendant, donne à notre être sa mesure, son destin.

La nuit d’Al-Qadr vaut mieux que mille mois sans nuit d’Al-Qadr. Or mille mois sans nuit d’Al-Qadr n’existent pas, sont néant. La nuit d’Al-Qadr vaut mieux que le néant. La nuit d’Al-Qadr sort l’homme du néant comme Dieu sortit les justes de leur longue nuit dans la Caverne. Dans la nuit d’Al-Qadr Dieu vient à la rencontre de l’homme comme au zénith le soleil saisit l’ombre pour la ramener vers le Seigneur. Nous sommes en Dieu, c’est pourquoi il en est ainsi. Voici la mesure et voici le destin, en Dieu.

Dans la nuit d’Al-Qadr, Dieu fit descendre le Coran d’un bloc, de sa matrice au premier ciel. De là l’Esprit Saint, Ar-Ruh (97, 4), l’ange Gabriel, le révéla progressivement au Prophète, vingt-trois ans durant. Mais où demeurait-il, avant d’être entièrement révélé aux hommes ? Que sont cette matrice et ce premier ciel où il était gardé ? Respectivement, la Puissance et le En puissance de Dieu. Matrice où se trouve et se crée la mesure de tout, et d’où descend notre destin, écrit en puissance, c’est-à-dire avec toutes ses virtualités, où nous pouvons puiser toute liberté et tout accomplissement. Le Coran fut cet écrit en puissance, avant d’être écrit, puis le temps d’être écrit. Et une fois écrit, il demeure en puissance, comme lecture.

Toute nuit est en puissance nuit d’Al-Qadr. Qui veille dans la nuit d’Al-Qadr, comme les bergers dans la nuit de Noël, voit le ciel s’ouvrir et entend les anges annoncer la bonne nouvelle du salut (Luc 2, 7-21). Une nuit, de sa matrice, le Coran descendit dans une grotte sur le cœur d’un homme attentif au Ciel. Une nuit, de la Vierge Marie, annoncé par l’ange Gabriel, un homme naquit dans une grotte, et c’était le Messie. Je n’établis pas d’équivalence, je lève un peu le voile sur ce qui se passe. Le Coran continue d’être révélé dans le cœur des hommes, le Christ aussi, dans le cœur du monde. La nuit de Noël et la nuit d’Al-Qadr continuent d’être, et d’être Paix jusqu’à l’aube qui va bientôt paraître (Coran 97, 5).

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Le jour où le Ciel se fendra

KFR, pour dire les mécréants, les infidèles, signifie d’abord : couvrir, recouvrir quelque chose, cacher, celer , et en fin de compte nier, et aussi habiter toujours le même village, sens qui se rapproche du nom KFR, employé pour indiquer le fait de se prosterner devant un prince, et signifie aussi village, tombeau, ténèbres de la nuit, terre, terroir. L’infidèle est donc celui qui « habite toujours le même village », c’est-à-dire qui – contrairement à Abraham – ne sort ni de lui-même ni des traditions de son clan, qui se prosterne devant l’homme comme prince et comme villageois, c’est-à-dire devant sa société et ses règles figées telles des idoles, devant le tombeau de l’esprit, l’obscurantisme, la terre et le terroir comme couvercles posés sur le ciel.

Voyons ces versets de la sourate 25, Le discernement (nouvelle traduction Tawhid) :

25] Le jour où le Ciel se fendra pour livrer passage à des nuées et où les anges descendront par vagues successives, [26] ce jour-là, la vraie royauté appartiendra au Tout-Clément ; et ce sera pour les négateurs un jour terrifiant.

Le mot KFR est ici traduit par négateurs. « La vraie royauté » traduit les mots al-Mulk et al-Haqq : Royauté et Vérité. Le « Tout-Clément » traduit al-Rahman, Le Tout-Miséricordieux, avec ce mot qui comme en hébreu, dans la Bible, signifie la miséricorde venue de la matrice, comme origine et comme amour maternel, viscéral. Le Jour où le Ciel se fendra est celui où il mettra au monde, en déversant ses anges par vagues successives, la Vérité qui est en sa matrice. Jour terrifant pour ceux qui se sont enterrés dans leurs traditions, dans leur soumission à l’ordre terrestre, humain, social, mais jour de la Miséricorde, car c’est de leur tombe que la Vérité, vivante, vient arracher les hommes.

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