L’incroyable et effroyable livre de l’abbé Wiel d’Outreau

« Je ne dirai jamais que j’ai violé un enfant », a-t-il dit dès le début aux enquêteurs. Non pas : « Je n’ai jamais violé un enfant » mais « Je ne dirai jamais que je l’ai fait ». Ce pourrait être le titre de son livre, écrit avec la collaboration du journaliste Lionel Leroy, et qu’il a intitulé Que Dieu ait pitié de nous. La thèse du livre : les enfants n’ont jamais été violés par quiconque, tous les accusés sont innocents. Thèse négationniste, puisque la réalité des viols, après avoir été avouée puis récusée par nombre d’accusés, a été reconnue et continue de l’être par les quatre condamnés restants – et la justice a reconnu victimes douze enfants.

Malgré cette obsession négationniste, le livre comporte des contradictions manifestes. Tantôt il mentionne les allées et venues dans l’immeuble et les connexions entre voisins et appartements, tantôt il prétend que les Delay ses voisins de palier étaient complètement isolés et ne recevaient jamais personne. Sans cesse il dit et répète que personne n’a violé nul enfant, et puis ailleurs, au détour d’une phrase, estime que les accusés dans leur « écrasante majorité » étaient innocents.

Dès la troisième page, Wiel rend hommage aux Lavier ses autres voisins, un couple récidiviste qui après avoir été acquitté a été de nouveau condamné plusieurs années plus tard pour maltraitance et violence sur ses enfants – alors que d’autre part une vidéo « familiale » les montrait en train de danser à moitié nus, mimant des actes sexuels et s’embrassant sur la bouche entre parents, enfants, autres membres de la famille ou amis.

Tout au long de son livre, Wiel ne cesse de justifier les adultes – sauf Myriam Badaoui, à laquelle il réserve toute sa rancœur. Thierry Delay, reconnu père violeur et prostitueur d’enfants (et accusé par plusieurs d’avoir même tué au moins un enfant), a toute sa considération. Wiel l’aide à trouver un jardin, le plaint quand sa femme, fuyant ses coups, passe du temps chez une voisine et le laisse seul avec les enfants. Quand le criminel entre dans la salle d’audience en 2005, l’abbé qui ne l’a pas vu depuis un certain temps pour cause de prison, s’émerveille : c’est une « jolie scène », dit-il, qui donne envie d’aller vers lui.

Les enfants sont les grands absents du livre. Ou plutôt ils sont là, omniprésents, mais occultés. Comme s’ils n’étaient que des fantômes. Les enfants dont il fut l’instituteur en Algérie pendant la guerre, dans sa jeunesse. Les enfants des colonies où il fut moniteur à son retour en France. Les jeunes dont il s’occupa après sa formation de prêtre. Les enfants qu’il reçut pendant des décennies à Outreau dans son appartement, dont il avait aménagé le salon spécialement pour eux, avec une table de ping-pong, et qu’il recevait tous les jours jusqu’à dix heures du soir. Et enfin ses petits voisins immédiats, ceux de la tour du Renard, ceux de son palier, notamment les enfants Delay, qui comme bien d’autres l’accusèrent. Tous ces enfants sont mentionnés dans son livre, mais comme s’ils n’étaient que des figurants sans visage et sans nom, à l’arrière-plan de l’histoire, qui reste une histoire faite par et pour les adultes. Sauf que lorsqu’ils se mettent à parler, c’est la catastrophe. Ils mentent, martèle l’abbé Wiel. Les femmes aussi mentent, ou du moins déforment la langue, quand il leur arrive de dénoncer des viols sur leurs enfants. Chaque fois l’abbé a cette réplique : « Pardon ? » Puis il explique que ces dénonciations ne sont qu’une façon de parler, ou une élucubration.

Le problème est que des adultes reconnaissent les faits. Pour ceux qui se sont ensuite rétractés, il est aisé de dire qu’ils ont parlé inconsidérément. Mais comment justifier que quatre d’entre eux aient avoué sans se dédire ? L’abbé Wiel a trouvé une explication hallucinante. Il la répète à deux moments de son livre : les adultes ont inventé avoir violé les enfants pour ne pas avouer qu’ils avaient eu « une partie à quatre » entre adultes, où les enfants étaient présents mais sans qu’on les ait fait participer. Le prêtre raconte avoir vu un soir descendre les Delay, accompagnés de leurs enfants, chez leurs voisins. C’est là qu’il situe cette « partie à quatre » qu’ils auraient voulu cacher en inventant des viols d’enfants. Ainsi donc, dans la tête de l’abbé Wiel, des viols d’enfants seraient moins honteux et moins risqués à avouer qu’une partie de sexe entre adultes ? On voit le gouffre où conduit une telle disposition d’esprit. Le terrible, c’est le sexe entre adultes. Mais avec les enfants, ça ne compte pas.

Dès lors, en effet, pourquoi en parler ? « Je ne dirai jamais que… » Pour sauver sa peau, l’abbé Wiel réitère ses accusations contre les enfants, enfonce et enfonce les clous : ils ont menti. Pour sauver sa peau l’abbé Wiel sacrifie la vérité, et la dignité et l’intégrité des enfants avec. De cela au moins, sans contestation possible, il est coupable.

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« Milena Jesenska et Franz Kafka, Nus devant les fantômes » (11)

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Ce n’est pas moi qui t’écris, puisqu’on ne peut écrire qu’avec les mains, avec le corps. Écrire, c’est passer à l’acte, et laisser une trace concrète de cet acte.

Un jour, une femme libre d’écrire me prêtera sa main, et je lui prêterai mon amour de toi pour tracer d’autres signes entre toi et moi, entre nous et ceux qui, ayant survécu à ce qui nous tua, auront conscience d’être des survivants menacés.

Oui, j’ose croire qu’un jour l’une de ces survivantes sera saisie par mon envie impuissante d’écrire, que les phrases inconsistantes emmêlées dans mon cerveau en sortiront comme des colonnes de fourmis pour aller s’installer dans sa chair, descendre le long des veines de son bras et s’aligner sur du papier. Pourquoi ne le croirais-je pas ? Ne connaissons-nous pas, toi et moi, le pouvoir magique de l’écriture ?

Je me souviens d’une des dernières lettres que tu m’écrivis deux ans avant ta mort. Comme les lettres arrivaient maintenant chez moi, où Ernst risquait de les trouver, tu m’appelais alors Chère Madame Milena, et tu avais recommencé à me dire vous. Quelle tristesse, n’est-ce pas ? Si tu prenais cette distance, c’était aussi parce que l’amour entre nous était resté si vif qu’il rendait nécessaires ces précautions : ne presque plus se voir, éviter de demander trop de nouvelles l’un de l’autre à nos amis communs, ne presque plus s’écrire… Et quand il devenait inévitable de le faire, tenter désespérément de se prémunir contre cette sorcellerie épistolaire

Dans cette lettre, tu me parlais d’un ami avec lequel tu ne correspondais plus depuis longtemps, et auquel tu avais pensé la nuit précédente. Ces heures de nuit, qui me sont si précieuses à cause de leur hostilité, je les ai employées à lui écrire dans ma tête une lettre où je ne cessais de lui répéter sans fin avec les mêmes mots des choses qui me paraissaient d’une extrême importance. Et, de fait, j’ai reçu de lui une lettre ce matin.

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À force de t’écrire dans ma tête, cher Franz, de te répéter, avec les mêmes mots, les mêmes choses que tu sais déjà et qui ne m’en apparaissent pas moins importantes, peut-être recevrai-je une dernière lettre de toi ? Même si nous savons tous les deux ce que tu pensais de ce genre d’échange dont nous étions comme drogués :

Écrire, c’est se mettre nu devant les fantômes ; ils attendent ce moment avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route. C’est grâce à cette copieuse nourriture qu’ils se multiplient si fabuleusement. L’humanité le sent et lutte contre le péril ; elle a cherché à éliminer le plus qu’elle le pouvait le fantomatique entre les hommes (…) l’adversaire est tellement plus calme, tellement plus fort ; après la poste il a inventé le télégraphe, le téléphone, la télégraphie sans fil. Les esprits ne mourront pas de faim, mais nous, nous périrons.

Comment avons-nous pu, nous, Tchèques, Allemands, Européens, laisser se dresser ces autres fantômes qui bientôt allaient nous chasser de notre propre histoire pour nous anéantir ? Et comment aurions-nous pu les chasser avant qu’ils n’eussent pris notre place d’humains, avant qu’il ne fût trop tard ?

Les fantômes erraient autour et à l’intérieur de Prague bien avant ma naissance, et j’eus très tôt dans mon enfance l’occasion d’éprouver leur terrible menace. C’était un dimanche matin. Comme tu le sais, chaque semaine les Tchèques et les Allemands de la ville se retrouvaient sur le Graben, chacun d’un côté. De nos fenêtres, nous assistions à ces rassemblements rituels. Parfois l’un et l’autre groupe se contentaient de flâner, séparés par la largeur d’une rue. Mais souvent la tension montait, étudiants allemands et tchèques se jaugeaient, s’invectivaient, sur le point de s’affronter. Tu as connu quelque chose de semblable au début des années 1890 déjà, quand les enfants de l’école tchèque qui faisait face à ton école primaire, sur le marché aux Bouchers, traversaient la rue pour venir se battre avec vous, pour la plupart petits juifs de langue allemande, et donc ennemis tout désignés.

Ce dimanche matin-là, j’étais trop jeune pour comprendre ce qui était en train de se passer, mais je garde un souvenir très vif du profond sentiment d’inquiétude qui m’envahit alors. Les « Allemands », c’est-à-dire les étudiants germanophones, arrivèrent soudain en rangs serrés et disciplinés d’un bout de la rue. On aurait dit une armée, ils avançaient en chantant, leur pas cadencé résonnait, leurs casquettes bariolées dansaient dans la lumière. De l’autre côté, surgirent les Tchèques. Eu aussi, au lieu de leur trottoir habituel, occupaient toute la rue, et marchaient, déterminés, vers l’autre troupe. Je l’ai raconté dans Pritomnost : Ma mère qui se trouvait à la fenêtre avec moi me serra la main (…) Dans les premiers rangs des Tchèques qui approchaient, il y avait mon père.

La police déboucha d’une autre rue et s’interposa entre les deux groupes prêts à se rejoindre. Face à face, ils continuaient à avancer. Les Tchèques se trouvèrent bientôt aux prises avec la police. Confusion, coups de feu, une clameur aiguë monta de la foule. En quelques instants, le Graben fut déserté. Il ne restait que les policiers, arme à la main, et debout face à eux, mon père. Calme et droit, il regardait la dépouille d’un homme qui gisait à ses pieds. Quand il se pencha vers le corps, ma mère me prit dans ses bras et me serra contre elle. Elle pleurait.

C’est ainsi que dans les chants, les cris et le sang, se délitait sous nos yeux le vieil empire autrichien, mosaïque de nationalités, de langues, de cultures et de religions diverses, qui paralysait toute velléité d’indépendance par un absolutisme arc-bouté sur la bureaucratie, la police, l’Église et l’armée.

J’ai dit un jour qu’un article politique doit être écrit comme une lettre d’amour. J’ajouterais aujourd’hui qu’une lettre d’amour doit aussi être politique. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’elle doive parler de politique. Mais si une lettre d’amour n’est pas porteuses des enjeux politiques les plus élevés, alors elle n’est que vent. « Je t’aime » n’est politique que s’il implique une remise en question de soi et du monde. Partir par amour ; se libérer, se transformer, agir, entreprendre par amour… cela est politique. Le reste n’est que sentimentalisme, sensualité ou conformisme.

Je me rends compte que cette lettre n’est pas seulement une lettre d’amour, Franz. C’est une sorte de puzzle que j’essaie de rassembler, en quête d’un tableau de notre amour. Et c’est aussi une lettre ouverte, comme l’étaient mes articles, car j’ai toujours voulu m’adresser aux hommes et aux femmes dans la perspective d’un échange de réflexion aussi bien que de compassion. Tu es mort, Franz, et je le serai bientôt. Comment pourrais-je n’écrire que pour toi et moi ?

Au-delà de toi, j’adresse cette lettre aux vivants, pour les inviter à te lire, à creuser avec nous jusqu’aux racines de notre histoire commune – la petite et la grande histoire -, enfin à m’aider à assembler le puzzle, afin que nos efforts ne restent pas lettre morte.

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à suivre (voir principe en première note de la catégorie)

L’Église et la justice, deux institutions protectrices de la pédocriminalité

Sous le choc en apprenant que Michelle Martin-Dutroux, kidnappeuse d’enfants, violeuse d’enfants, bourreau d’enfants séquestrés, meurtrière d’enfants, après avoir obtenu, grâce à un couvent qui a offert de l’héberger, de sortir prématurément de prison – au bout de huit ans, sur les trente auxquels elle était condamnée – et après avoir organisé son insolvabilité pour n’avoir pas à indemniser les victimes,

sous le choc en apprenant que cette ordure, après tant de traitements de faveur, est maintenant hébergée par un ancien juge, qui a aménagé pour elle trois pièces au premier étage de sa maison – et qui parle de lui et d’elle comme « prince et princesse ». Princes de ce monde, comme on appelle le diable, le mal.

Comme dans l’affaire d’Outreau, l’affaire Dutroux a été jugée de façon à enterrer un grand nombre de faits et d’impliqués. L’existence manifeste d’un réseau a été niée, on a conclu au pédocriminel isolé. Le silence des pires meurtriers est ce qui se vend et s’achète le mieux.

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Loi Renseignement : ils ne nous feront pas taire

Hier pendant que la presse, semblant vouloir se boucher le plus possible les yeux, les oreilles et la bouche, nous appelait obscènement à regarder du côté des affaires des Le Pen et autres Ménard, les députés votaient, à une très vaste majorité, le projet de loi Renseignement. Loi scélérate, antidémocratique, de surveillance massive et totale de la population, des citoyens, faisant fi du pouvoir judiciaire pour donner tout pouvoir à l’exécutif, et, en dernière instance, au premier ministre. Manuel Valls, apprenti dictateur qui a déjà montré sa capacité à forcer la main à la justice, s’est félicité, face caméra, que les députés n’aient pas écouté leurs électeurs. Beaucoup d’entre nous avons été accablés et révoltés par ce qui m’apparaît comme un véritable coup d’État. Mais beaucoup d’autres, sensibles à la propagande sécuritaire, restent sans réaction, pensant qu’ils n’ont rien à cacher et que seule la vie des terroristes retiendra l’attention des services de police. Ils ne voient pas que cette loi nuira à tous, notamment par sa capacité à museler le travail des rares journalistes d’investigation qui nous restent, comme ceux de Médiapart. Les grands médias sont aux mains de puissances financières privées et dépendants des aides gouvernementales, ce qui limite déjà grandement leur liberté d’action et de parole. Les médias indépendants, alternatifs, non seulement professionnels mais aussi libres comme il y en a tant sur le Net, pourront voir, du fait d’une surveillance sans limites, leur action et leur parole massivement et occultement entravées.

Le vol massif de nos données ne sera pas complètement nouveau, il se pratique depuis déjà longtemps, de même que la surveillance de certains médias sensibles – notamment musulmans. Mais les outils pour faire ce sale travail seront légalement mis en place, ils faciliteront grandement l’espionnage d’État et nous n’aurons aucun moyen de protester. Ce viol de nos libertés ne concernera pas que notre intimité, mais bien aussi et surtout notre vie sociale, politique, professionnelle. Si nous faisons partie d’une association, d’un syndicat, d’un groupe de parole ou autre, ou si nous en faisons un jour partie, nous risquerons particulièrement d’être suivis, ou bien, si un quelconque problème en lien avec notre activité se rencontre un jour, sans même que nous le sachions, notre parcours pourra être retracé rétrospectivement et servir de moyen de pression pour nous forcer à adopter telle attitude ou telle opinion.

Si beaucoup d’entre nous sont encore inconscients de la gravité de cette loi, peu à peu tous l’intérioriseront, apprendront à vivre avec, et il est à craindre que la réaction sera alors celle d’un repli. Hier soir déjà j’ai vu des gens songer à « se cacher ». Utiliser les outils disponibles pour moins risquer d’être tracés, oui – mais en demeurant conscients que rien n’est incraquable pour les services, et qu’ils ont encore d’autres moyens de nous tracer : téléphones, éventuellement poses de micros et de caméras dans nos maisons, nos voitures… Songer à ne plus utiliser Internet pour tout ce qui est sensible, non. Cette loi établit sur nos têtes un système de domination et d’intimidation. Céder à l’intimidation serait lui donner raison. Ce qu’il faut c’est, par la parole et par tous moyens non violents, saboter le système. Montrer que nous sommes debout, que notre parole malgré la pression demeure libre et même combative. Que le système ne fera pas de nous un peuple condamné à vivre souterrainement – tandis que les grands médias et la propagande pourront régner sur Internet – un peuple réduit au silence comme le furent les peuples colonisés puis les immigrés. Nous faire taire, du même coup nous empêcher de penser, voilà ce que vise le système. Le 11 janvier, convoqué par l’État, et son mot d’ordre « Je suis Charlie », ont accouché du 5 mai et de sa loi en forme d’énorme mot d’ordre. Mais c’est un faux mot, un mot de mort, et il ne vaincra pas. La liberté de l’homme peut être entravée, mais rien ne peut la détruire, elle est éternelle. Tant qu’il y aura des hommes.

Gouvernement décidément suicidaire. Se savoir surveillé provoque une haine inextinguible envers les surveilleurs. Privez les hommes de parole, ils reviendront avec des fusils. Et on nous dit qu’il s’agit de lutter contre le terrorisme ? Le 17 octobre 1961, non content de ses crimes en Algérie, le pouvoir français a tué et jeté à la Seine des centaines d’immigrés algériens, travailleurs cantonnés à leurs bidonvilles, qui manifestaient pacifiquement, refusant le couvre-feu qui leur était imposé. Des ratonnades, il y en a eu bien d’autres depuis. Qui a commencé, et surtout qui s’est acharné dans la violence, physique ou psychique, contre des gens parmi lesquels se recrutent aujourd’hui, au Moyen Orient et ici, des extrémistes qui n’ont que la violence pour réponse à la violence de l’histoire ? Misérable gouvernement, misérables responsables politiques irresponsables, qui embarquez votre pays dans les ténèbres. Nous ne vous suivrons pas, jamais.

Police de la pensée : en 2015, nous sommes en 1984

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Photo AFP/Eric Feferberg

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«Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas de moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir.

(…)

Y avait-il toujours eu ces perspectives de maisons du XIXe siècle en ruine, ces murs étayés par des poutres, ce carton aux fenêtres pour remplacer les vitres, ces toits plâtrés de tôle ondulée, ces clôtures de jardin délabrées et penchées dans tous les sens ? Y avait-il eu toujours ces emplacements bombardés où la poussière de plâtre tourbillonnait, où l’épilobe grimpait sur des monceaux de décombres ? Et ces endroits où les bombes avaient dégagé un espace plus large et où avaient jailli de sordides colonies d’habitacles en bois semblables à des cabanes à lapins ?

(…)

 Le ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue – frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était une gigantesque construction pyramidale d béton d’un blanc éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du parti.

LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE »

Georges Orwell, 1984

« La tour de la Sorbonne se perdait dans la brume, la nuit, la désolation. Ses murs étaient aussi longs que ceux de la Santé, la prison proche aussi du boulevard Gabriel, chez moi. L’ancien Collège de France, prestigieuse institution qui avait accueilli les plus grands noms de toutes les disciplines du savoir, hébergeait maintenant les bureaux de la P.S., Police Spéciale, dont les méthodes étaient directement inspirées des dérives occultes pratiquées par Sad, du temps où il fut ministre de l’Intérieur.

(…)

Espionnage, chantage, torture mentale, mensonge, manipulation, élimination de preuves… Il ne faut pas être trop scrupuleux avec sa conscience quand on occupe ce genre de poste, n’est-ce pas ?

(…)

La pelouse avait laissé place à une dalle de béton, dont les projecteurs braqués autour du bâtiment faisaient ressortir les larges fissures occasionnées par le gel, grosses comme une merde de chien au milieu d’un tapis. Dans ce froid sinistre, sous les lumières blafardes, je crus voir là couchée par terre la maison Usher d’Edgar Poe, prête à se relever avec sa faille obscène. »

Alina Reyes, Forêt profonde, 2007

Impuissance et sadisme

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Photo AFP/Bulent Kilik

Seize soldats français accusés d’avoir violé, sodomisé des enfants affamés en Centrafrique. L’archevêque de Bangui s’empresse de minimiser l’affaire en parlant de seulement un ou deux soldats et de voler au secours… des enfants ? Non, de l’armée.

Luz déclare qu’il ne dessinera plus « Mahomet » car il ne l’intéresse plus. Ce qui l’intéressait, c’était de pouvoir, à travers « Mahomet », exercer son sadisme – comme le dit Norman Finkelstein, « Charlie Hebdo is sadism, not satire ».

D’où viennent les armes de Daech ? D’Europe, des États-Unis, de Russie, de Chine… Comme le dit par euphémisme Courrier International, « la position de certains États qui combattent l’organisation terroriste devient inconfortable. »

Le courage de la vérité, comme dit Foucault

Le PEN américain, dont le nom résonne pour le coup désagréablement, attribue un prix à Charlie Hebdo. Six écrivains anglo-saxons protestent et se désolidarisent de l’association. Ils ne veulent pas être associés à l’  « admiration » et au « respect » que le prix implique pour un journal raciste. Tel autre écrivain, emblème de la pensée correcte, les traite aussitôt de pussies, de femmelettes – racisme et sexisme ne viennent-ils pas du même fond pourri de l’homme ? Comme si on avait primé Je suis partout, avec ses caricatures de juifs qui nous menaient droit où on sait. Eh bien, il y a encore quelques écrivains résistants et je ne suis pas seule. Il est vrai qu’il y faut du courage, et que cela coûte. Difficile par exemple de trouver un éditeur également courageux pour La grande illusion, Figures de la fascisation en cours, où l’affaire Charlie notamment n’est pas traitée du point de vue politiquement correct. Mais vous pouvez lire le livre en ligne gratuitement, il est ici.