Qu’est-ce que la métaphysique ?

La pensée de Marx part de ce qui est pour révéler son ordre, comme aussi la pensée d’Hegel.

Mais la pensée d’Hegel part d’avant, du moment où un ordre crée et régit ce qui est.

Pour l’un et l’autre, ce qui est, est mouvement.

Marx part de l’étant, le voit dans son avancement et son faisant-avancer.

Hegel dit l’être en train d’avancer, et de faire avancer l’étant.

Marx voit l’étant aller vers son renversement.

Hegel voit l’être aller vers son accomplissement.

Marx est l’antithèse d’Hegel, mais il ne faut pas entendre anti- comme « contre » mais dans son premier sens : « en face de ».

Je propose une nouvelle définition du mot métaphysique. Il a d’abord signifié, d’après un classement simplement éditorial des œuvres d’Aristote, « après la physique » (ses ouvrages postérieurs à sa Physique). Au Moyen Âge, le mot a pris avec la scolastique le sens qu’il a encore aujourd’hui : « au-delà de la physique ». « Physique » désigne la nature en grec, et la préposition meta signifie, dans l’ordre : au milieu de, en communauté avec, d’accord avec, par le moyen de, avec accompagnement de, en opposition avec ; ou encore : avec, selon, à la suite de, après, pendant. La métaphysique selon mon sens est : au milieu de la physique. Ce que mon roman à venir, en train d’advenir en moi, doit faire voir (blépein, théorein, idein : je pense ici notamment à ce que Badiou appelle un communisme de l’Idée dans son Second manifeste pour la philosophie).

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Aletheia

La philosophie d’Hegel et celle de Marx constituent deux systèmes de pensée dialectique qui constituent eux-mêmes une dialectique, dont le terme reste à trouver. Il en est de même pour la pensée d’Héraclite et celle de Parménide. Pour ma langue, et pour celle de l’autre, qui est une multiplicité. Pour une photo que je prends d’un objet, et pour chacune et l’ensemble des mille photos que je prends du même objet sous différents angles, dans diverses lumières. Pour la vitesse de la flèche de Zénon, et son parcours. Comme dit l’autre, je ne cherche pas, je trouve. Puis je cherche comment dire ce que je trouve. C’est-à-dire, je le déploie, et le déployant, le révèle. Je l’invente, parce que je l’ai découvert.

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« Il n’y a pas de sacrifice »


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« Il n’y a pas de sacrifice », dit Alain Badiou dans cette conférence sur la vérité. C’est aussi ce qui est écrit dans la règle de mon ordre. C’est pourquoi je ne peux être « chrétienne » au sens où ce que les grands prêtres et Rome font depuis deux mille ans à la Vérité : tenter de l’immobiliser. L’ordre est à la fin de Voyage, il y est ouverture, et Voyage repart en voyage, le voyage sans fin de la vérité. Non seulement en esprit, mais aussi en fait : matériellement, il va se poursuivre autrement. Ceci comme mon travail tout entier, qui est tout entier de composition et de recomposition créatrice. La voilà, « la vraie vie » dont parle Badiou, et qui est, oui, le bonheur absolu.
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Fiction or not fiction, that is the question

Toute fiction s’inspire du réel. De situations, de personnes, d’expériences, de faits réels. Le mot fiction vient du verbe latin fingo, qui signifie façonner, pétrir. On pétrit quelque chose, et non pas rien, comme pourrait dire Parménide. La même racine a donné les mots figure et ses dérivés, ainsi que feindre. En anglais elle a donné aussi faint (faible, vague).

L’homme a besoin de fictions comme supports à sa pensée. Les mythologies, les cosmogonies, les religions reposent sur des fictions. Figures et concepts sont étroitement alliés dans la formation de la philosophie et de la pensée. Les mathématiques elles-mêmes sont nées de figurations géométriques, elles-mêmes nées de l’observation de la nature, phusis (physique).

À oublier que la pensée naît du réel via la fiction, on tombe dans de faux processus et de faux procès. Le véritable serviteur, celui qui façonne le réel au service de la pensée, donc de l’élévation de l’humanité, qui ne peut se survivre qu’en s’élevant, en croissant (tel est aussi le sens du mot phusis, de même racine que les mots phos (lumière), phèmi (dire), et un autre phos (être humain)), s’élève, comme le dit Kafka, « d’un bond hors du rang des meurtriers ». Et cependant il est poursuivi comme un meurtrier (Le Procès). Le jugement des hommes, contraire à celui de la Vérité, les condamne, parce que les hommes ne veulent pas voir révélé le mal qu’ils font dans l’obscurité. « Et le Jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées », dit l’évangile de Jean.

Une autre inversion de ceux qui font le mal consiste à faire passer de la fiction pour la vérité. Ici nous sommes dans le système idolâtrique. Une figure du faux est présentée comme vraie et vivante. Un film sorti l’année dernière faisait ainsi passer une photographe inventée de toutes pièces pour une personne ayant vraiment existé, dont on exposa et vendit même les photos fabriquées. Vulgaire escroquerie au service de Mammon, comme on dit dans la Bible, à savoir de l’argent et du mal. Les exemples de telles escroqueries à l’art fourmillent, qui non seulement sont destinées à remplir les poches de faux artistes et de leurs producteurs et autres distributeurs, galeristes, éditeurs etc, mais aussi à établir le règne de la confusion dans l’esprit du public, afin que la vérité lui devienne indiscernable du mensonge, et que le cercle vicieux puisse continuer à tourner, l’argent à rentrer et la vérité à être occultée. Ainsi a-t-on vu de faux témoignages de partouzeuses ou de déportés dans les camps de la mort faire des succès mondiaux. Car ceux qui sont, par manque de vérité en eux, impuissants à créer des fictions qui élèvent l’être à la vérité, fabriquent des fictions qui feintent la vérité : ce n’est que parce qu’ils les font passer pour récit de vécus réels qu’ils parviennent à susciter l’intérêt du public. Leur fabrication ne tient que par la croyance au faux qu’elles exigent. Il ne s’agit pas d’art, mais de contrefaçon, tout à la fois contrefaçon de la vie et de l’art.

Le lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo, un écrivain racontait sur sa page facebook les réactions accablantes d’une classe de banlieue dans laquelle il avait été invité à parler de théâtre. Les clichés effrayants sur les jeunes de banlieue, arabes et noirs, y éclataient si bien que les médias (dont Alain Finkielkraut) s’empressèrent de reprendre son récit. Quand la vérité fut dite par le professeur et les élèves, à savoir que les choses ne s’étaient pas du tout passées comme il l’avait prétendu, le mal était fait et personne ne se soucia de le corriger. J’avais déjà lu sur la page de cet auteur de courts récits, écrits d’une plume allègre à la première personne, comme des témoignages de choses vécues. Il était clair qu’il s’agissait en fait de fictions, et tant qu’elles ne mettaient en scène que des historiettes d’amour, peu importait que les lecteurs soient dupes ou non. Mais présenter comme le réel brut des reconstitutions fantasmatiques du réel ressort de la tromperie et participe à semer dans le monde la confusion des esprits. Soyons attentifs, auteurs comme lecteurs.

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Le pain sait-il quand il va craquer

et finir émietté sur la table ?

L’animal sent le tremblement

de terre avant qu’elle ne tremble.

Elle tremble, mes veines tremblent

comme le pain ma chair est terre

et tremble pour ceux qui resteront

si elle redevient poussière.

Mon sang furieux rugit, torrent

jeté dans la veule humanité,

hurlant contre sa surdité.

Écoutez, je vous crache à la gueule,

occupés de votre aliénation !

Ils verraient s’ils ouvraient, un peu,

les yeux. À force de raviner

je suis si loin, ils sont aveugles.

Je sens s’effriter la montagne.

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La drachme retrouvée, une utopie ?

la manne,

La manne, aquarelle, pastel gras,gouache, feutre, encre sur carte 17×23 cm

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Les Grecs ont inventé la monnaie (en Ionie, alors monde grec, chez les premiers penseurs présocratiques – les physiologues) au septième ou sixième siècle avant Jésus-Christ. La drachme qui était, jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par l’euro, la plus ancienne monnaie toujours en cours, a donné son nom au dirham. Elle est mentionnée dans les Évangiles (parabole de la drachme perdue, Luc 15-8), et dans le Coran (vente de Joseph à vil prix par ses frères, 12-20). Le dirham a pu servir de monnaie en Europe entre le Xe et le XIIe siècles. Si des Grecs, ou d’autres, faisaient revivre la drachme comme monnaie venue du peuple et plus vertueuse, ce serait beau, non ?

« Quelle femme ayant dix drachmes ne désirerait, si elle en perdait une, allumer une lampe, balayer la maison et chercher avec soin, jusqu’à ce qu’elle trouve ? Et quand elle a trouvé, elle appelle ensemble ses amies et ses voisins et leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé la drachme qui était perdue’. Ainsi, je vous le dis, vient la grâce face aux anges de Dieu quand un égaré réfléchit et change de voie. » Jésus dans l’évangile de Luc 15, 8-10 (ma traduction).

Ce qui serait vivant, ce serait que toute l’Europe change sa monnaie pour adopter la drachme, monnaie qui fut inchangée pendant des millénaires. Si elle pouvait le faire par désir d’être un espace de joie commune, et  par sens du beau, du temps, de la lumière. (Je parle ici selon l’optatif, comme dans les versets ci-dessus, au mode de l’option, du désir, de la projection).

« Les cadeaux de Dieu ne sont pas toujours faciles », disait à Christian de Chergé son ami Mohammed, qui concevait le jeûne de Ramadan comme un don du ciel. La drachme perdue de la parabole c’est aussi, dans un système de pensée, l’élément qui manque. Ce qui manque au monde n’est pas l’austérité, mais la grâce d’une lampe allumée, d’une maison balayée et d’une pièce retrouvée comme on trouverait une pièce d’habitation oubliée, une nouvelle pièce claire et dépouillée, où habiter en joie.

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Physiologie

sydney dans la foret

Sydney dans la forêt, petite gouache sur papier

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Avant de prendre mon petit déjeuner, j’ai fait une petite série de trois cents abdos. Après le thé vert au gingembre et le pain grillé à la gelée de groseilles, je me suis remise à l’étude des Présocratiques. Il est très productif de songer à eux comme « physiologues ». D’ailleurs phusis, la nature, signifie d’abord : ce qui fait croître. J’ai commencé à énoncer par écrit ce que je vois, et cela fait une petite grande lumière, la lumière qui fait pousser les arbres et les met en marche.

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