Peut-être la rivière croit-elle, comme chacun de nous, aller où bon lui semble. Et elle a bien raison.
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Peut-être la rivière croit-elle, comme chacun de nous, aller où bon lui semble. Et elle a bien raison.
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Quand les hommes veulent être en s’imposant « Je suis partout », le Vivant n’est plus où ils existent sans être.
Le mystique et l’artiste cherchent Dieu à travers l’homme et le cosmos, métaphore de l’homme, dans le retrait d’eux-mêmes. Équivalence du paysage et du portrait ou de l’autoportrait, mise à distance de l’égo révélant la faille, le mystère, le chemin.
L’apparence est le voile, le manteau, dont la contemplation est déchirement. Par cette déchirure, se voit Dieu.
Le Vivant est où est le vrai lieu de l’homme : retirant son manteau ou se tenant dans une fente du rocher, comme Élie ; nu et devenant fente lui-même, comme le Christ en croix, inspirant et exhalant la Vie.
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« J’ai l’impression que nous avons plus qu’il ne nous faut de cités, de villes et de villages, et en revanche une carence certaine en espaces réellement sauvages. Dans les quarante-huit États contigus du continent nord-américain, quels sont les lieux où on peut encore disparaître et se recueillir ? Ces sanctuaires paisibles, accessibles seulement au prix d’efforts physiques, ou même carrément interdits. Pour l’essentiel, les repaires splendides de la jeunesse.
Il nous reste tellement d’endroits où devenir vieux, franchement assez à mon avis, de lieux pavés, clôturés, raccordés.
Nous qui sommes déjà vieux ou en passe de le devenir en avons trop pris, nous avons dévoré plus que notre part. »
Rick Bass, Journal des cinq saisons
Bon jour de fête de fin de Ramadan aux musulmans ! Et bonne et joyeuse ascèse spirituelle à tous.
Me tournant vers le visage du Christ scotché sur mon mur, je le vois me sourire, et plaçant deux doigts à mon front je le salue, lui disant, radieuse : « je t’écoute, Capitaine, je te suis ! » Il me sourit dans tout le corps, il est content.
« Mais l’enchevêtrement de ces longs pins abattus [par la tempête], semblables à des baguettes de mikado, crée en une nuit, comme des dés jetés par la main de Dieu ou, qui sait, selon le schéma directeur pensé et exécuté par un autre grand architecte, tout un réseau spontané de barrières, de corrals et de murets qui vient protéger la future vague de trembles et de cèdres prêts à prendre racine au centre de ce labyrinthe de troncs éparpillés, de ce chaos, ou de ce qui apparaît comme tel, trop confus et trop dense pour que même le cerf le plus affamé s’y aventure et atteigne les pousses naissantes des jeunes arbres. C’est ainsi que l’effondrement de l’ancienne pinède et l’érection de barrières qui l’accompagnent fournissent, dans cette abstention même, exactement ce qu’il faut aux cerfs pour assurer leur survie – la future protection de l’épaisse canopée des cèdres adultes en hiver quand les cerfs affaiblis chercheront un abri contre la neige profonde et le froid glacial, et les tendres feuilles de tremble quand les faons de l’été seront en passe de devenir de jeunes adultes et qu’ils seront prêts à dévorer la terre entière. »
Rick Bass, Le journal des cinq saisons
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Dieu est exact
« Les ours – noirs et grizzlys confondus – auront traversé toute la saison ensevelis sous des chapes de neige. Les ours noirs se recroquevillent dans un tronc d’arbre creux (une des dix mille raisons qui font qu’on ferait sans doute mieux de conserver quelques arbres morts dans nos forêts ; il n’est pas absolument indispensable de tous les expédier à la scierie à des fins nobles et utiles), ou bien se pelotonnent sous le surplomb d’un rocher, satisfaits, semble-t-il, à l’idée de laisser la neige recouvrir peu à peu leur corps immobile, comme si durant cette période, ils avaient résolu, au plus profond d’eux-mêmes, d’imiter la masse des montagnes endormies, les courbes de leurs silhouettes figées dans le sommeil semblables à celles des reliefs qu’ils ont provisoirement renoncé à arpenter.
Les grizzlys vont un cran plus loin dans cette métamorphose : en creusant la terre de leurs pattes puissantes et de leurs griffes acérées, ils retournent, selon certaines croyances, jusqu’au royaume des esprits, en un va-et-vient toujours répété entre le monde réel et celui des ombres. Il me vient cependant parfois à l’idée que nous avons tout compris de travers, et que c’est cette terre enfouie et minérale, régie par le temps du sommeil, qui est en fait la réalité durable, alors que l’agitation des couches supérieures n’est qu’une illusion éphémère peuplée de spectres.
(…)
C’est une des leçons fondamentales de la science que le même reproduit toujours le même, et un des enseignements de l’histoire est qu’elle est aussi toujours prête à se répéter ; seuls des efforts considérables et une vigilance de chaque instant permettent d’échapper à cette répétition. »
Rick Bass, Le journal des cinq saisons, éditions Christian Bourgois, 2011
Chaque jour je pense à mon père, là-bas. Qui oublie tout au bout de quelques secondes. Jamais de sa vie il ne m’a téléphoné ou rendu visite, même quand j’étais dans une très grande précarité seule avec mes deux petits, les aînés des deux jeunes hommes. Jamais il n’a accepté mes invitations à venir un ou quelques jours chez nous, jamais non plus il ne s’est intéressé plus de quelques minutes à ses petits-enfants. Je ne ne lui en veux pas, il est ainsi, c’est tout. Simplement je veux dire : comment fonder une relation dont quelqu’un ne veut pas ?
Quant à ma mère, elle m’a écrit il y a plusieurs années que je n’étais plus sa fille. Ensuite j’ai essayé d’arranger les relations à l’intérieur de toute cette famille, j’ai voulu y faire apparaître un peu de vérité, et j’ai dû m’y prendre très mal je l’admets, car tout n’a fait qu’empirer. La dernière fois que je l’ai vue, en juillet avant de partir à la montagne, elle m’a rappelé qu’elle n’avait jamais vu une enfant aussi entêtée que je l’avais été, selon elle – histoire de me faire savoir que tout cela était de ma faute. Je n’ai pas protesté, seulement plaisanté, sans ironie, sur mon horrible caractère. Tous les parents commettent des erreurs et des fautes envers leurs enfants, mais elle n’est pas du genre à en reconnaître le dix-millième d’une.
J’écris ceci au Jardin, à l’ombre sous un arbre, mais à l’instant je sens qu’il fait vraiment trop chaud, je vais rentrer. C’est là qu’on apprécie d’avoir un appartement meilleur marché, orienté au nord. Je pense à O, c’est pour lui que je regarde tant la web tv du sanctuaire de Lourdes en ce moment, avec toutes les prières à la grotte et son silence bienfaisant la nuit. La grotte, le rocher, est infiniment plus puissant que toutes les paroles humaines qui s’y disent.
(écrit hier au jardin, pour un livre en cours)
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« Nous sommes tous les quatre plantés devant la fenêtre du premier étage, et nous scrutons l’obscurité, suspendus dans le noir d’une foi aveugle – guettant la prochaine trouée dans les nuages qui nous permettra d’entrevoir le retour de la lune de l’autre côté.
Il me vient soudain à l’idée que ce dont nous venons d’être témoins ressemble à quelque chose que nous aurions pu voir dans un film, dans un spectacle de prestidigitation mis en scène par Hollywood – tout cela n’a été qu’une illusion – et pourtant l’événement laisse un sillage de réalité, une authenticité dépassant ce que nos sens nous disent que nous venons d’observer. Alors que je me tiens devant cette fenêtre avec ma famille, je comprends qu’il existe une distance fixe entre le sublime et la représentation du sublime, et nous restons là tous les quatre dans l’ombre, dans l’obscurité, chacun ayant parfaitement conscience de cet écart et s’installant confortablement dans cet espace : le dos tourné vers l’un, le visage tendu vers l’autre. »
Rick Bass, Le journal des cinq saisons
Demain est l’Aïd El-Fitr, la fête de fin du Ramadan. J’ai lu ce matin le tout petit livre sur les 99 noms divins que j’ai trouvé l’autre jour à la librairie face à la mosquée. Voici la page d’un beau site consacrée à ces Noms, avec leur commentaire par Ghazali, indiquant la nature de la possible participation humaine à ces qualités divines.
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