Non-père, non-François, etc

Cette contradiction fondamentale atteint son plus haut point, parmi les Églises, dans l’Église catholique, avec son père tout-puissant, le Pape. En vérité le pape est spirituellement impossible, faux. C’est pourquoi Benoît XVI s’est retiré : sa situation était intenable. Le pape suivant, qui est aussi le pape simultané – preuve supplémentaire de la fausseté de cette figure censée représenter l’Unique sur terre – a pris un nom de frère, François. Mais comme il n’a pas de numéro à y accoler, qui l’inscrirait dans la suite des papes et relativiserait donc sa figure, le monde avide de père spirituel l’appelle pape François, le renvoyant ainsi sans cesse à cette fonction paternelle dont le Christ a dit qu’elle ne pouvait pas être celle des hommes, d’un homme. Lui-même, le Christ, ne s’est jamais fait appeler père ni pape, et Pierre ne l’a sûrement pas fait non plus, ayant entendu de la bouche du Messie que seul Dieu pouvait être appelé père. Il est d’ailleurs à remarquer que si le Christ appelle Dieu Abba, ce n’est pas seulement pour souligner le fait qu’il est son père spirituel, c’est aussi pour empêcher les hommes de chercher des pères spirituels parmi les hommes. À celui qui s’agenouille devant lui et lui demande : « Bon maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? », il répond : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon sinon Dieu seul ». (Marc 10, 17-18)

L’un des vices de cette focalisation sur le pape est d’entraîner l’Église à sa suite dans le cœur des fidèles. Si le pape ne nous plaît pas, ou pas trop, nous ne pouvons plus aimer l’Église non plus. Si, au contraire, nous pouvons nous raccrocher à la figure du pape comme il ne faudrait pas s’y raccrocher, alors l’Église, quoique devenue au cours des siècles bien moins récupérable que la femme d’Osée, prend soudain l’allure d’une jeune mariée, ou presque, si l’on ferme assez les yeux sur les artifices qui lui rafraîchissent le teint, « l’attrape-couillons », comme ma grand-mère appelait son poudrier, qui n’empêche pas de vieillir et d’aller vers sa mort.

C’est pourquoi, après Benoît XVI, l’on n’a pas laissé le Saint Esprit élire le pape, on l’a calculé en fonction des besoins estimés, le premier étant le besoin de popularité, incluant la possibilité de jouer un rôle, de se présenter non comme ce qu’il est, mais comme ce qu’on attend qu’il soit. Rappelons-nous Bergoglio apparaissant au balcon pour la première fois avec une mine et des gestes de benêt, afin de ressembler à certaines images du Poverello d’Assise, bras levés, air candide – la candeur est-elle vraiment le fond de l’être du vieux cardinal jésuite ? Tout ceci ne peut être qu’éphémère, superficiel, soumis aux humeurs du temps et finalement destructeur dans la durée.

Comment sauver le bon côté de la papauté, son caractère unifiant ? En ne prenant pas le pape pour un pape. Ne pas se prendre lui-même pour un pape, c’est ce qu’a tenté Bergoglio, mais pas en profondeur. Dès que la vérité se rapproche, la vérité d’en face paraît : contrairement au pape qui en son temps accueillit François, le pape François n’accueille personne qui soit comme le vrai François, à la fois nouveau et touchant le ciel. Les risques sont trop grands, ce sont ceux que le Messie exige de l’homme, ceux qui pourtant sauvent.

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Remettre les pendules à l’heure

Ne pourrait-on dire que l’Église, avec tous ses prêtres qu’il faut appeler père, est en contradiction totale avec l’enseignement de Jésus-Christ, qui a demandé de n’appeler père personne d’autre que Celui qui est aux cieux, et qui a donné, sur terre, l’exemple d’un homme non engendré par un homme ?

Bien entendu cet enseignement est à comprendre dans l’esprit et non pas à la lettre. Que signifie-t-il, dans l’esprit ? Qu’il n’y a pas de paternité autre que la paternité parentale – laquelle n’est pas forcément biologique. Il n’y a pas de paternité spirituelle humaine, il ne doit pas y avoir de prétention des hommes à la paternité spirituelle. La prétention à une telle paternité ne peut être que spirituellement meurtrière, comme l’illustre l’histoire d’Abraham et de son fils, à travers qui Dieu apprend aux hommes qu’ils ne doivent pas porter leurs enfants sur l’autel du sacrifice. Enseignement renouvelé par l’élévation du Christ sur la Croix par des prêtres, ce Christ élevé comme le serpent d’airain par Moïse au désert, pour montrer aux hommes le mal qu’ils font et qu’il ne faut pas faire.

Le seul père spirituel, c’est celui qui est au cieux. Car, comme on le dit dans l’islam, Dieu sait mieux. Les hommes transmettent des savoirs, mais Dieu seul enseigne (n’est-ce pas ce que Kerouac veut dire quand il dit que la seule leçon qu’il ait reçue est une « leçon en BLANC » ?) Et Lui seul, à qui se laisse enseigner et engendrer par Lui, donne la liberté.

Dieu est la vie. Pour être enseigné, il ne faut pas exister entre hommes, en se faisant loi les uns aux autres, mais vivre, vivre sous la loi du ciel, vivre sur la terre comme au ciel. Et écouter ce que dit cette vie, qui est amour et enseigne l’amour, qui offre, commande et révèle tout.

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Ce qui fut et ce qui est

Ce matin est passé à la maison un ramoneur qui passait chaque année quand j’habitais de l’autre côté de la cour, et que je n’avais pas revu depuis cinq ans. Quand je lui ai dit mon nom, il s’est exclamé, tout content : « Ah vous êtes la fille de Mme Nardone, qui habitait dans l’immeuble ! » N’est-il pas étrange qu’aujourd’hui, malgré mes cheveux gris, on me prenne pour la fille de celle que j’étais quand j’étais plus jeune ? Ce nettoyeur des conduits du temps connaît l’ordre réel de la vraie vie.

Engendrez-vous.

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Des sables elles surgit, ressuscitée

Voie Lactée. Ex arena rediviva surgit, c’est la devise de ma ville, Soulac, dont le nom selon certains désigne, solum lac, le lait de la Vierge rapporté là par Véronique, et dont la basilique Notre-Dame de la Fin des terres réapparut d’entre les sables à partir de 1858, année où apparut à Lourdes l’Immaculée Conception, Soulac où une petite réplique de la Statue de la Liberté fait face, par-delà l’horizon, à l’autre rive, invisible aux yeux humains, mais qui est.

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– Ô bras neigeux de Dieu, j’ai vu Ses bras, là, sur les côtés de l’Échelle de Jacob, là par où il nous aurait fallu évacuer (comme si des canots de sauvetage avaient pu rien faire d’autre que de s’écraser comme des fétus contre les flancs du navire, dans cette furie) la face blanche et personnelle de Dieu m’a dit : « Ti-Jean, ne te tourmente pas, si je vous prends aujourd’hui, toi et tous ces pauvres diables qui sont sur ce rafiot, c’est parce que rien n’est jamais arrivé sauf Moi, tout est Moi – » ou comme le disent les textes sacrés Lankavatara : « Il n’y a rien d’autre au monde que l’Éternité dorée de l’Esprit divin » – Je voyais les mots « TOUT EST DIEU, RIEN N’EST JAMAIS ARRIVÉ SAUF DIEU », écrits en lettres de lait sur cette étendue marine. – Mon Dieu, un train infini dans un cimetière sans limites, voilà ce qu’est cette vie, mais elle n’a jamais été rien d’autre que Dieu, rien d’autre que cela – c’est pourquoi plus la plus haute vague monstrueuse se dresse pour se moquer de moi et pour m’insulter, plus je prendrai plaisir à la contemplation du vieux Rembrandt avec mon pichet de bière, et plus je malmènerai tous ceux qui se gaussent de Tolstoï, quelle que soit votre résistance ; et nous atteindrons l’Afrique, nous l’avons atteinte d’ailleurs, et si j’ai appris une leçon, ce fut une leçon en BLANC. 

Jack Kerouac, Le vagabond solitaire 

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Porte-clés (Qui survient)

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Des pluies diluviennes ont causé la mort de quatorze personnes cette semaine dans l’État du Veracruz, et l’ouragan qui vient par le Golfe du Mexique a entraîné l’évacuation de cinq mille personnes.

Des inondations torrentielles ont causé la disparition de cinq cents personnes à Boulder, dans le Colorado. Cinq personnes sont mortes, les autres seront sûrement retrouvées.

Boulder est une ville que j’aime, j’avais même songé à m’y installer quelque temps, il y a quelques années. Une ville située à 1600 mètres d’altitude, entourée de forêts et de montagnes aurifères, une ville où les chevreuils descendent à la tombée du soir manger dans les jardins (et on les laisse faire), une ville où l’on aime les cerf-volants, les cafés tranquilles et la vie douce, une ville qui garde vivant le souvenir de Jack Kerouac et de ses compagnons, et où j’avais rencontré quelqu’un qui avait la voiture de Neal Cassady alias Dean Moriarty, le héros de Sur la route. J’avais été invitée à faire une lecture à l’Université de cette ville, j’en avais profité pour faire un petit périple depuis Paris, seule – quelques jours à Montréal où il faisait – 40°, puis quelques jours à New York, et enfin à Boulder, où l’air était pur et sec, si bien que beaucoup, en arrivant, saignaient du nez. L’été suivant Warren, le professeur de littérature française qui m’avait invitée, était venu me voir à la grange, dans les Pyrénées, à peu près à la même altitude. « C’est sans aucun doute un événement historique, qui survient une fois tous les cinq cents ou mille ans », a déclaré un responsable local. Mon porte-clés est toujours celui que j’avais acheté à Boulder, un cylindre transparent contenant de la matière noire, cinq dés et beaucoup d’étoiles flottant dans l’eau.

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Aujourd’hui

noce

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Le milliardaire « Je suis partout », mécontent de ne pouvoir méfaire en Syrie aussi facilement qu’il le fit en Lybie, lâche sa plainte dans sa chronique hebdomadaire. Selon lui, c’est aux élus de déclarer les guerres, non aux peuples de refuser d’y aller. On se croirait en 14, quand, depuis des bureaux dorés, on envoya les hommes au casse-pipe, et le siècle avec. Le milliardaire « Je suis partout » oublie bien des choses dont une : c’est que lui-même, quoiqu’il ait prétention à gouverner le monde, avec son argent pesant, ses combines en réseaux, sa pensée vulgaire et trompeuse, n’est en rien un élu. Relisons Voyage au bout de la nuit et rappelons-nous la suite de l’histoire.

« Lâche qu’il était, je le savais, et lui aussi, de nature espérant toujours qu’on allait le sauver de la vérité… » C’est dans le Voyage, que Gallimard refuse toujours de publier en version numérique mais dont on peut du moins relire en ligne l’incipit.

Aujourd’hui, 14 septembre 2013, début des Journées du patrimoine en France, rentrée politique du Front National à Marseille, ouverture de la fête de l’Huma, fête de la Croix glorieuse, célébration de Yom Kippour. Aujourd’hui quatre manifestations ont été interdites à Paris à cause de risques d’affrontements entre militants d’extrême-droite et militants d’extrême-gauche. Aujourd’hui les Russes et les Américains ont conclu un accord pour tenter d’éviter la guerre en éliminant l’arsenal chimique syrien. Aujourd’hui Dieu merci, certains élus font encore leur travail. Aujourd’hui avenue des Gobelins stationnait une douzaine de cars de la police, tandis que des cars de la Gendarmerie nationale tenaient la place d’Italie, rejoints par des cars de la Protection civile de Paris. J’ai demandé à un gendarme ce qui se passait. C’est l’arrivée de la Techno Parade, m’a-t-il dit. Aujourd’hui à Paris sous la pluie une petite noce populaire de Méditerranéens faisait la fête avec musique et tambours devant la mairie du 13e, et c’était la noce dans mon cœur aussi.

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