18-12-2019. C’est un des rôles essentiels des artistes que d’ « exorciser » le monde de ses mauvais démons. Younès a ici parfaitement fait le job, ils sont sortis par légions. Molière aussi faisait ainsi, et en eut quelques problèmes. Mais il ne serait pas Molière s’il ne l’avait pas fait. Baudelaire disait que la ruse du diable était de faire croire qu’il n’existait pas. Si on ne voulait pas croire à la virulence du racisme caché dans les replis de nos sociétés, par l’art d’un titre Younès a fait apparaître cette réalité.
Ajout du 7-12-2019 : Un jour après sa mise en ligne, la vidéo a été commentée par une horde de fachos que la jalousie enrage, haha. Si ces « identitaires » avaient un peu de la culture française de Younès, ils rendraient plutôt hommage à sa discrète mais puissante actualisation du Cyrano d’Edmond Rostand, avec sa tirade sur le nez et son indissociable tirade des « Non, merci ».
« Rien ne se remplace, tout se transforme », dit-il. Écoutez, voilà du son, du rap, de la poésie, de la musique, de la vie, de la bonne politique aussi. Je lui laisse la parole :
J’suis parti d’chez mes ronds-da sans un rond gars
C’est du pera pas du reggae j’ai décidé d’me décider faire d’la musique
Comme basidi Comme basidi Comme basidi Comme basidi Comme basidi Comme basidi
Le grand remplacement ?
C’est ta fille qui me kiffe,
Qui va me faire des enfants
Et ils auront mon pif !
J’déboule dans ta vie comme les trottinettes à Paris
J’veux l’argent des Qataris Monsieur l’agent sur l’tatami
[Pré refrain]
J’suis parti d’chez mes ronds-da sans un rond gars
C’est du pera pas du reggae j’ai décidé d’me décider faire d’la musique
Comme basidi Comme basidi Comme basidi Comme basidi Comme basidi Comme basidi
[Refrain]
Elle veut qu’j’lui fasse un bébé
Puis deux, puis trois
Elle veut qu’j’lui dise que je l’aime
Puis que, j’y crois
J’suis jamais sûr de moi,
Quoi l’amour dure trois ans ?
Han l’amour dure deux mois
Ouais l’amour dure deux mois
L’grand remplacement c moi
Puis eux, puis toi,
Les grands méchants c’est nous, Rebeu, Renoi
Moi perso ça me va
J’préfère mourir loup garou
Que vivre en villageois
Que vivre en villageois
C’est un moment magnifique et poignant. Un kairos, une acmé. Un homme est là, vivant. Traversant les siècles pour venir nous contempler, nous, femmes et hommes de ce temps, errant en foule d’une œuvre à l’autre, d’une salle à l’autre. Devant le Saint Jean je me suis arrêtée comme dans la méditation, au yoga notamment, et il est devenu vivant – qui ? Jean ? Léonard ? L’Esprit qui se meut à travers les vivants. Les yeux pleins de larmes, souriant comme lui, je n’ai pas bougé – pluie et lumière, un arc-en-ciel tendu entre lui et moi – tout à fait le genre de phénomène qui intéresse Léonard, étudiant obstiné des mouvements de l’eau, de l’air, de la lumière.
Ce soir, regardant des images des splendides îles du Cap Vert, et de leurs montagnes (où nous avons l’intention d’aller prochainement, O et moi) tout en écoutant Césaria Evoria, je songe que Léonard se serait bien entendu avec elle, et aurait adoré son pays. Ce mélange de splendeur et de mélancolie particulière qu’engendre la conjonction de la contemplation de l’époustouflante nature et du sentiment de la fuite du temps – sentiment qu’éprouvait si fort Léonard les derniers temps, à Amboise, alors qu’il continuait à méditer et travailler ses dernières œuvres, la Sainte Anne, le Saint Jean et la Joconde.
Voici des images de l’exposition, bien entendu je n’ai pas tout photographié, vous pouvez trouver en ligne plusieurs vidéos de présentation de l’exposition pour en savoir plus. Si vous le pouvez, allez-y. Vous pouvez aussi lire ou relire mes textes sur Léonard de Vinci et sur ses œuvres.
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Le Christ et saint Thomas ou L’Incrédulité de saint Thomas. À l’entrée de l’exposition, et la dramatisant judicieusement, se dresse cette œuvre de Verrocchio, chez qui Léonard fit son apprentissage. Entourée de multiples études de drapés, révélant que le peintre s’est inspiré des effets de lumière et d’ombre sur le bronze.
Plusieurs œuvres absentes, comme L’Annonciation, L’Adoration des mages ou La Joconde, sont présentées en réflectographie infrarouge, un procédé qui met en évidence le dessin et donne un effet de pénétration saisissant.
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J’ai aimé contempler certaines études peu connues, comme ce visage ou cette petite dame à la licorne*
Beaucoup d’œuvres sont inachevées, comme ce Saint Jérôme et son lion esquissé, qui s’inscrivent ainsi dans l’instant * La Belle Ferronière et un admirateur
*La Vierge aux rochers prise sur le vif par un portable
*Le Musicien, à l’écoute
*De nombreux manuscrits des travaux scientifiques de Léonard
* Et toujours d’admirables dessins
Dans la dernière salle, les dernières œuvres, travaillées jusqu’à la fin à Amboise où il les avait emportéesla Sainte Anne le Saint Jean
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Manque seulement la Joconde, restée à sa place habituelle, où elle reçoit trente mille visiteurs par jour. En allant la voir, je photographie dans la grande galerie cette œuvre de l’atelier de Léonard, qui devait être un Saint Jean et a été transformée en Bacchus*
La voici donc
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Nous repartons en longeant la Seine et ses arbres sculptés d’inscriptions
Le pont des Arts débarrassé de ses cadenas a retrouvé le sens de la légèreté et de la fugace éternitéAujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes
Se plier aux exigences du consensus, avoir ainsi le Congourd ou autre prix ou succès de ce genre, est une solution au statut précaire d’auteur. J’aime trop la vie, la liberté, la littérature, pour seulement l’envisager. Mon truc, c’est la littérature virile. J’en lis (pas dans la production actuelle car il n’y en a pas – le monde littéraire n’a jamais été viril et plus il est industriel, moins il l’est) et j’en fais. Viril ne signifie pas « de mec » mais courageux (selon son étymologie). Je regarde mon trajet depuis l’enfance, je le vois foudroyant et filant, aussi clair que l’éclair ou la météorite, ni compromis ni vaincu, toujours ultrasensible, en éveil. La voilà, l’éternité. Dans ce qui ne sombre ni ne meurt.
Présent. Voici mes images de nos trois jours (deux nuits) à Strasbourg, cette semaine. Nous comptions beaucoup visiter le musée Tomi Ungerer mais il était fermé pour travaux. Une occasion d’y retourner. Strasbourg est magnifique et les Strasbourgeois sont particulièrement gentils, courtois en toute simplicité, souriants. La nourriture et le vin sont excellents. Le centre-ville est largement dédié aux piétons et aux vélos. Les musées contiennent des trésors de tous les temps. Au sommet de Notre-Dame nous avons été accueillis par un arc-en-ciel. Avant de repartir nous avons passé du temps en privé au hamman-piscine-spa, d’où nous sommes ressortis frais comme nouveau-nés.
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Un resto sympa pour commencer
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Vue de notre appartement à l’appart-hôtel, que je ne me lassais pas de contempler, avec les lignes graphiques des toits et la véranda, et la nuit les lumières
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Une sculpture sur l’emplacement de la Grande synagogue détruite pendant la guerre, reconstruite ailleurs dans la ville
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J’ai compté jusqu’à cinq étages sous les toits de certains immeubles
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Derrière la maison, la cathédrale la plus visitée de France (Notre-Dame de Paris étant hors jeu), haute de 144 mètres et contenant tant de merveilles qu’on pourrait y consacrer des milliers de pages, comme il y est dit quelque part
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Son horloge astronomique, que nous avons vue s’animer au quart d’heure
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Une fresque récente plutôt réussie, mais le panneau en grec du Christ annonçant « Je suis le chemin, la vérité et la vie » comporte deux fautes. Sans doute l’artiste, Christoff Baron, ne connaît-il pas le grec, mais il est regrettable que personne d’autre ne l’ait vu
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Retour dans la ville, où se trouve notamment la maison de l’un des enfants du pays, décidément riche en dessinateurs, Gustave Doré
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L’Ill passe partout, sans pour autant enfoncer la ville dans l’eau. C’est très beau.
*Un menuisier à l’atelier, fabriquant des jouets de bois
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Arpenter encore les rues, les quartiers
Vers « la petite France », allons au Musée d’art moderne et contemporain
qui possède plusieurs belles œuvres de Victor Brauner – ci-dessus « Logos et les trois matières »et aussi, entre autres de A.R. Penck – ci-dessus « Avant le rebut »
Bon je ne vais pas mettre ici toutes les images de toutes les œuvres que j’ai spécialement aimées, il y en a trop. Encore quelques-unes :Daniel Richter, « L’éternel rêve éveillé des trois fous de la montagne »
Puis à la cathédrale où nous montons par l’escalier en colimaçon jusqu’au sommet
un selfie au sommet, et voilà la réponse du ciel
où se trouve la « maison des gardes »
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Nous avons visité aussi le Musée de l’œuvre Notre-Dame
avec ses merveilles du Moyen Âge, si primitives
et si actuelles parfois
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Et nous sommes allés au Musée archéologique
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Chaque fois que je dors à l’hôtel, j’y fais aussi mon yoga, comme tous les jours à la maison, histoire de garder un corps souple et musclé, en bon état de marche – et nous avons tout le temps marché
Le dernier jour, avant de reprendre le train, je me suis baladée dans le quartier de la gare et j’y ai photographié cette « trocothèque »
et des œuvres de Street Art
Nous sommes entrés pour prendre un verre dans cet hôtel entièrement orné de Street Art
Un peu plus loin dans la rue
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j’ai découvert ce garage orné comme une grotte du paléolithique, j’y suis entrée
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Retour vers Paris. Il reste encore bien des visites à faire dans cette ville, ce sera donc pour une autre fois.
Zineb El Rhazoui, ex de Charlie Hebdo, appelle à « tirer à balles réelles » sur les « racailles » des banlieues (oui, c’était ça, l’esprit Charlie, racisme obsessionnel et flirt masqué avec l’extrême-droite). Deux jours après, le prix Simone Veil de la région Île de France lui est décerné. Qu’a fait la ministre pour mériter une telle offense ? Être juive ?
Une cinquième femme accuse Roman Polanski de l’avoir violée quand elle était adolescente. Les vieux râlent, ils trouvent qu’on ne peut plus « aimer » (le mot qu’ils emploient pour « abuser de ») qui on veut en paix. Polanski se compare à Dreyfus persécuté. Qu’a fait le capitaine pour mériter une comparaison aussi offensante ? Être innocent ?
Le fantastique film de Todd Phillips, Joker, impeccablement interprété, a été assassiné méchamment et bêtement par la vieille bande du Masque et la plume sur France Inter. Ce n’est pas seulement qu’ils et elle n’y ont rien compris. C’est que ces critiques appointés par le monde ont reçu cette œuvre comme une baffe dans leur bonne figure. En quoi ? Un détail du film suffit à le résumer : le fait que le personnage du maire de Gotham City déclare qu’il y a deux sortes de personnes, celles qui ont réussi, et les clowns. Retrouver dans un thriller, une fiction décrivant un monde cinglé, un écho à la parole cinglée de Macron – « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien » – parole prononcée dans la réalité, démultiplie l’effet révélateur du film. Qui est le Joker ? Lui-même, vivant, quand il danse, quand son charisme éclabousse le morne monde ; et figure de la mort quand il tend un miroir à ce monde infect en se grimant, en acteur incarnant « en même temps » quelque chose et son contraire, quand il montre que ce monde n’est qu’illusion, quand il en fait éclater la mauvaiseté, le mensonge et la mort. Cours, Arthur, cours ! Ris, ris le dernier ! Ce ne sont pas des cerfs qui entourent les temples, mais des bandes de petits singes agités. Ils sont morts et toi, la divinité, tu es vivant, plein de grâce.
Cette note est inspirée de la philosophie indienne (cf notamment Shiva). Ce n’est qu’un début, continuons le yoga.
C’est une bonne suite à ma précédente note sur les « prix » « littéraires » acquis au prix de vulgaires mensonges : au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, Alain Séchas a installé une série de 51 dessins et cette « Araignée » stupide. L’installation, féroce critique sociale, a pour sous-titre « Les Riches, le retour ».
En attendant mes autres images de notre séjour dans la magnifique Strasbourg
Il y avait longtemps que je n’étais retournée au musée Zadkine, lieu enchanteur par lui-même, atelier et jardin du sculpteur. Cette exposition m’y a appelée, avec son intitulé (inspiré de Zadkine) et ses artistes annoncés. Et je n’ai pas été déçue : un moment de grâce dans ce petit espace légèrement retiré, auquel je vous convie par ces quelques images d’œuvres (il y en a d’autres) à contempler sur place si vous pouvez y aller, ou du moins ici.
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Dans la première pièce, la forêt des silhouettes de Zadkine
Léonard de Vinci, L’Adoration des mages (inachevé)
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Picasso disait qu’il lui avait fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. À mon sens, malgré son génie, il n’y est pas arrivé. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas su trouver assez d’innocence en lui pour pouvoir poser les questions que peuvent poser les enfants. Léonard de Vinci, lui, a eu de cette innocence à foison. Et il a peint comme un enfant. Non pas avec des traits ou des couleurs rappelant les peintures d’enfant, mais en peignant le genre de questions étranges et déroutantes que posent beaucoup d’enfants, ou en posant sans mots le genre d’affirmations étranges que font certains très jeunes enfants, comme s’ils possédaient une connaissance oubliée des adultes.
« Il y a dans la nature une vaste circulation de l’eau à partir de l’océan comparable à la diffusion du sang à partir du cœur, etc. Jusque dans la croissance des métaux, la nature se comporte comme un vivant gigantesque », a-t-il écrit, entre autres affirmations (Anatomie B, fo 28). Ce genre d’affirmations n’est pas le seul fait d’une recherche scientifique, quoique la recherche scientifique soit aussi une impulsion née de l’esprit d’enfance, de sa fraîcheur et de son ouverture. Il faut y songer devant ses peintures de Jésus enfant, plutôt qu’adulte.
Le chemin de l’eau est celui de l’enfance de la vie. Dans les copies de son tableau perdu Léda et le cygne, les enfants sortent d’un œuf au bord de l’eau. C’est un chemin d’eau qui s’en va entre les pierres levées dont nous avons parlé pour la Vierge aux rochers. C’est un lac d’altitude qui s’étend à l’arrière-plan de la Joconde. Nous l’avons remarqué, cette eau dans ses œuvres est une image du temps qui coule ; ou chute (comme la descendance à partir de sa Sainte Anne) ; ou tourbillonne, comme les boucles de cheveux de son Saint Jean, qu’il compare lui-même aux mouvements de l’eau ; ou remonte comme le sang dans la sève, avec l’arbre prenant racine dans la tête du Christ dans la Sainte Anne et dans L’Adoration des mages – où la Vierge, elle, se prolonge en palmier, comme dans le Coran – hasard ? Dans la Joconde, avec ce lac très haut dans les montagnes, elle atteint la paix parfaite, aboutissement de toute quête spirituelle. La Joconde et son sourire témoignent de cet accomplissement ou de cette plénitude chargée de promesse ; et son joug est aussi léger que les couches imperceptibles de peinture dans la technique unique de Léonard, qui, traduisant son âme, donne tant de vie à son œuvre.
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Cette note fait suite à mes précédentes notes sur les œuvres citées, cf mot-clé Léonard de Vinci