Retraites

Je n'ai pas trouvé le nom de l'auteur de cette photographie d'un merveilleux Mapuche

Je n’ai pas trouvé le nom de l’auteur de cette photographie d’un merveilleux Mapuche

*

Ce 5 décembre sera aussi l’anniversaire de naissance de mon père, mort après s’être usé la santé toute sa vie depuis l’enfance sur des chantiers puis avoir vécu d’une toute petite retraite – mais toujours en faisant du sport et de la musique. Il y a encore beaucoup de personnes qui ont travaillé dur et qui n’ont ou n’auront qu’une minuscule retraite. Ne serait-il pas juste, à ce stade de la vie, d’établir un peu plus d’égalité entre les gens ?

Certains privilégiés, CSP+ comme on dit, notamment à gauche, protestent à l’idée de voir bientôt baisser significativement des retraites qui sont actuellement d’au moins 3 ou 4000 euros. Je trouve pour ma part de telles sommes énormes. Pourquoi une partie de la population aurait-elle le droit de se faire entretenir pendant des décennies par les jeunes actifs à un tel niveau, alors qu’une autre partie doit se contenter de quelques centaines d’euros ? Ils ont cotisé ? Et alors ? Qu’ils demandent plutôt à moins cotiser. Parce que certains ont eu des salaires confortables, ils mériteraient une meilleure vieillesse que ceux qui ont travaillé, souvent aussi dur qu’eux, pour de maigres salaires ?

Je soutiens ceux qui vont faire grève pour des retraites décentes, pas ceux qui vont faire grève pour maintenir leurs privilèges. Personnellement j’aurai sans doute aussi une toute petite retraite, bien que j’aie travaillé toute ma vie (j’ai tous les trimestres nécessaires et j’ai cotisé à une dizaine de caisses différentes), et je préfère ça plutôt que d’être entretenue par les jeunes à hauteur de plusieurs milliers d’euros par mois pendant une trentaine d’années. Nous sommes un pays de plus en plus vieux, et les études montrent que les retraités ont en moyenne un meilleur niveau de vie que les actifs. Ce n’est pas normal. Les jeunes adultes ont besoin de plus de moyens que les vieux pour fonder une famille, s’équiper, sortir, voyager, découvrir la vie et en profiter.

Pour plus de justice, il faut abolir les privilèges, à commencer par ceux des riches, des responsables politiques et des hauts fonctionnaires, qui sont de loin les plus iniques. Commencer par abolir ces énormes privilèges serait un premier excellent signal, à l’inverse de toute la politique actuelle. Mais il faut aussi plus de partage entre les générations, entre les hommes et les femmes, et entre les classes sociales.

Ce n’est certes pas le macronisme qui réalisera un tel objectif. Mais s’il faut se battre, il faut le faire de façon cohérente. La vraie justice, ce serait de diminuer considérablement l’écart entre les différentes retraites, en augmentant les unes et en baissant les autres (et en revalorisant les petits salaires par la même occasion). Le système actuel ne fait qu’entretenir ou aggraver les inégalités, et le projet de réforme n’y changera rien. Ceux qui ont gagné très confortablement leur vie, qui ont pu ainsi acheter des maisons (et n’ont plus de loyer à payer, contrairement à la plupart des pauvres) et faire des économies, continuent à la retraite d’accroître leur patrimoine et leur capital. Cela ne devrait pas être, une fois qu’on a cessé de travailler. La bourgeoisie est égoïste, elle peut avoir de grands idéaux mais elle est incapable de les vivre ne serait-ce qu’un peu. Elle le prouve, son idéal véritable, au final, c’est l’argent. La sagesse est pourtant un bien meilleur remède contre le naufrage de la vieillesse.

*

OK boomers et OK bobos

 

Je les appelais « vieux de la caste » et j’invitais les jeunes à reconnaître et rejeter leur domination, dans un roman prophétique. Douze ans plus tard nous y sommes : eux les appellent boomers et ils ont raison.

Screenshot_2019-12-02 Twitter Publish-min

Il y a aussi – parfois ce sont les mêmes – de jeunes bobos écolos qui ne se rendent pas compte qu’ils agissent comme leurs pères en voulant imposer leur loi à d’autres qui, souvent moins privilégiés qu’eux, aimeraient pouvoir profiter des moments où ils peuvent acheter moins cher ce qu’autrement ils n’ont pas les moyens d’acheter. Les pauvres de toute façon ont une empreinte carbone moindre que les écolos qui voyagent et vivent confortablement. Cette séquence assez obscène où des bourgeois blancs empêchent un prolo issu de l’immigration de circuler librement donne le sentiment que ces militants devraient sérieusement approfondir leur pensée, s’ils ne veulent devenir les prochains vieux de la caste.

« Sais-tu ce que je vois ? Je vois que ce pays ressemble à un vieil homme qui a passé sa vie à jouir et abuser de son pouvoir et qui, déclinant, se masque pour mendier la compassion de la jeunesse, l’absolution de la jeunesse, avec laquelle il se comporte pourtant comme il l’a toujours fait : mentir, utiliser les autres, les flatter pour mieux les renier, les anéantir et leur faire porter le poids de l’enfer qu’il mérite lui-même.

Ce pays vampirise sa jeunesse, ne la caresse que pour la maltraiter, lui interdire l’avenir. Vous êtes dans son même sac d’ogre, jeunes cadres, jeunes chômeurs, jeunes intellectuels et jeunes voyous. Vous payez aux vieux de la caste des décennies de retraite souvent plus confortables que vos salaires et tout ce qu’il y avait à prendre dans ce pays, ils l’ont pris.

L’art, la littérature, ils les ont pris et saccagés.

Les idéaux, la foi et l’innocence, idem.

L’amour, l’amour érotique, l’amour des enfants, l’amitié sans calcul, idem.

La nature, la beauté.

La politique.

Le travail.

Les médias.

Ils se sont servis, et alliés dans le crime à un point que nulle société avant n’avait atteint.

Et ceux qui aujourd’hui parviennent à sortir la tête de l’eau en leur riant au nez, de leur barque pourrie les vieux ogres ne leur tendent la main que pour pouvoir, une fois récupérés, les faire bouillir et les bouffer aussi. N’ayant d’autre ambition que de se nourrir et de vivre encore, encore un peu plus longtemps et même au-delà : continuer à ne pas laisser la place, une fois morts.

Pourtant, pourtant, c’est vous qui êtes jeunes, et puissants si vous les rejetez. Et ils seront bel et bien vaincus. »

extrait de mon roman Forêt profonde (2007)

*

Charlie Hebdo, l’esprit des planqués

 

En pantoufles à leur table, ils se moquent de ceux qui risquent leur vie et la perdent.

Ils se sont moqués des musulmans tués par les islamistes avec, notamment, leur dessin « le Coran n’arrête pas les balles » (avant d’apprendre malheureusement que leur journal non plus).

Ils se sont moqués d’un tout-petit enfant, Aylan, mort noyé avec des réfugiés.

Ils se moquent maintenant des treize soldats morts au Mali.

La lâcheté du bourgeois endurci de nulle part, sinon du cœur, révulse. Elle prépare et encourage toute une partie de la population à vivre sans honneur.

À vivre sans honneur, on met en péril la vie de tous, on pollue la société, on détruit tout esprit de fraternité, on se comporte en parasites de ceux qui agissent pour le bien et la sauvegarde de tous : on est une plaie dans un pays en paix, une ignominie dans un pays en guerre.

*

Black Friday & Bikini

 

Après avoir écumé en vain les boutiques, j’ai fini par commander un maillot de bains en ligne. Quasi impossible de trouver à Paris en hiver un choix raisonnable de maillots deux-pièces pour la plage. « C’est plus la saison », on me répond. Serai-je donc la seule, parmi des millions de Parisiennes, à voyager où il fait chaud ? C’est ainsi chaque fois que je commande des produits en ligne. Je commence par les chercher dans les magasins, et quand ils ne s’y trouvent pas, je les trouve aisément sur Internet, et avec beaucoup plus de choix. Ceux qui sont contre tout ce qui est moderne et pratique sont fatigants, à la longue. Je récupère beaucoup, je consomme peu, mais enfin il faut bien vivre. C’est en vivant qu’on sauve la vie.

Je resterais bien nue sur la plage, c’est ce que je préfère et de très loin, mais sur les îles encore catholiques où j’ai l’intention d’aller ça ne se fait pas du tout donc je respecte les coutumes du pays. Je ferai mon yoga en bikini sur le sable face à l’océan, inch’Allah.

*

En dernier lieu mon travail, ma justice

 

J’étais en avance sur #MeToo en publiant en 2007 mon roman Forêt profonde. Le monde des hommes n’aime pas que quelqu’un, et a fortiori quelqu’une d’entre eux, soit en avance. Le milieu littéraire s’est retourné contre moi – journalistes, éditeurs etc. -, les femmes autant que les hommes. Il faudra sans doute encore du temps pour combler l’avance, et alors ce roman pourra éclairer sur les phénomènes d’emprise, de manipulation, de violence.

C’est que je mouille ma chemise pour écrire, je ne me contente pas comme nombre de mes petit·e·s collègues de raconter ce qu’on m’a raconté, ce qui est arrivé aux autres, ce dont on parle. J’y vais, j’y plonge, j’expérimente, je prends connaissance de la question par tout mon corps et âme, pour mettre en forme et délivrer ce que j’ai ainsi appris, non pas en surface, mais profondément. Déjà, en 1999, mon roman Lilith contait la vengeance d’une femme puissante sur les hommes abuseurs, sur le patriarcat, sur les figures médiatiques et trompeuses. Et mon tout premier roman, Le boucher, en 1988, disait comment se relever de la mort.

Ce que les générations contemporaines ne peuvent voir, ne peuvent lire, les générations à venir le verront, le liront. Je suis heureuse du travail, des livres chauds comme pains sortis du four, que j’ai servis, que je sers et servirai.

*