Petit poème du matin

Le merle chante dans la cour.

La lumière plonge, dore les murs.

Des ouvriers travaillent sur un toit.

Bruit lointain, rythmé, des marteaux tambourinant le zinc.

Vibrations colorées dans mon corps du rêve merveilleux absolument, toujours vivant, de la nuit précédente.

Aujourd’hui je commence à traduire le chant Dix-sept

« Dès que paraît, née du matin, Aurore aux doigts de roses »

Joies

À la maison nous avions jusque là piano, guitares, ukulélé, harmonica… et depuis ce jour nous avons en plus une clarinette, une vieille clarinette que le comédien a récupérée de son grand-père, mon père, et dont il tire de beaux sons pleins, chauds, harmonieux, en improvisant des petites musiques qui font penser à la scène.

Je fais voler ma chouette en bougeant mon épaule et mes muscles, j’imagine que je pourrais faire un spectacle avec ce tatouage, voire avec d’autres, en les faisant parler et danser.

J’avance moins vite dans ma traduction depuis quelque temps – un peu de fatigue -, mais j’avance quand même à grands pas, et j’espère finir avant de partir en trekking avec O cet été – j’aurais mis environ dix mois pour traduire toute l’Odyssée, en vers, et sans me vanter, quelle traduction ! La semaine dernière la fatigue m’a privée de courir, et cette semaine c’est le tatouage : pendant la première semaine de cicatrisation, il faut éviter de transpirer. N’importe, je suis si extrêmement vivante. Cette nuit j’ai fait un beau rêve heureux et lumineux, où je chantais.

Témoignage et premières réflexions sur le tatouage

Selfie pris ce matin au saut du lit. J'avais enlevé le pansement du tatouage quelques heures plus tôt, à une heure du matin. Les couleurs principales seront le turquoise, le jaune, l'orange et le rouge

Selfie pris ce matin au saut du lit. J’avais enlevé le pansement du tatouage quelques heures plus tôt, à une heure du matin. Les couleurs principales seront le turquoise, le jaune, l’orange et le rouge

C’est une sorte de sacrifice à l’envers. Le sacrifice est quelque chose qu’on donne en échange d’autre chose qu’on espère avoir en retour. Mon tatouage, c’est quelque chose que je donne en compensation de quelque chose que j’ai perdu, mon sein (reconstruit après cancer et mastectomie). Et ça marche très très bien. Mentalement. Une grande joie, vraiment, comme d’être de nouveau habitée dans cet endroit de la maison de mon corps qui était venu à manquer de vie. Maintenant, le tatouage lui redonne une autre vie, et redonne une autre vie à tout mon corps et mon esprit.

technique mixte sur papier 10x16 cm

technique mixte sur papier 10×16 cm

Cet été, quand nous serons revenus de trek, O et moi, je ferai faire la couleur. Les couleurs. Elles sont belles, ma tatoueuse est une vraie artiste, et elle a aussi bien compris ce que je voulais, d’après la petite chouette d’Athéna que j’avais dessinée au feutre et que je lui avais envoyée (alors que je suis en train de traduire l’Odyssée). Il faut environ un mois entre le tracé et la couleur, le temps que le tracé cicatrise complètement, puis j’imagine qu’il faudra de nouveau un mois pour que la couleur cicatrise complètement aussi. Durant ce mois, pas de bains de mer ni de piscine, pas de soleil non plus mais ce n’est pas grave et ça vaut vraiment la peine.

tattoo,Hier j’étais si contente quand nous avons terminé cette première séance que je me suis mise à danser du buste, assise sur la table d’opération, sur la musique qui passait à la radio. Manuella a filmé quelques secondes et m’a montré, j’ai dit « oui, elle bouge, elle vit sa vie, cette chouette ». Ce salon de tatouage, « Le gamin à dix doigts », est très beau et très agréable et Manuella Ana excellente et bien accordée à ce que je cherchais, notamment comme coloriste. Importance de bien choisir l’artiste qui va vous tatouer le plus possible en harmonie avec ce que vous désirez. Chaque tatoué·e a ses raisons de désirer son ou ses tatouages, et je suis sûre qu’elles sont toujours profondes, aussi profondes que d’avoir à compenser la perte d’un sein même si elles ne sont pas aussi spectaculaires. Et le fait que de plus en plus de personnes se fassent tatouer indique quelque chose de notre époque – quoique le tatouage soit à peu près aussi vieux et aussi répandu que l’humanité, il n’est pas en vogue partout ni de tout temps de la même façon.

L’humanité sans doute a un besoin spécial de s’écrire, en ce moment. J’aurais pu incorporer cette question du tatouage dans ma thèse, qui s’interrogeait sur le fait d’écrire. C’est une question complexe à penser, pour l’instant j’essaie du moins de l’observer, à l’œuvre dans ma propre expérience.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Présente !

Lumière sur la Seine, cet après-midi en rentrant à pied de chez les tatoueuses et tatoueurs, photo Alina Reyes

Lumière sur la Seine, cet après-midi en rentrant à pied de chez les tatoueuses et tatoueurs, photo Alina Reyes

Au fond c’est assez amusant qu’on se demande communément, depuis longtemps, pourquoi Homère qualifie le porcher de divin, sans se le demander, en fait. Je veux dire, sans le demander à Homère, qui le dit pourtant très clairement. Les pistes de compréhension de l’Odyssée données par Homère sont grosses comme des pistes d’atterrissage de gros avions, mais il semble que tous les passagers aient leur bandeau de sommeil sur les yeux et ne voient que ce qui rumine dans leur caverne de tête. Il est pas mal question de pilotes dans l’Odyssée, des pilotes de « vaisseaux traverseurs de mers », de mers « aux larges voies », aussi larges que les voies du ciel du texte. Pilote en grec ancien se dit cybernète, comme aujourd’hui dans l’espace dérivé du même nom. Mesdames, messieurs et autres, j’ai l’honneur d’être votre cybernète et je vous ferai faire, dans l’esprit d’Homère, un vrai grand beau voyage.

Ça y est, j’ai une magnifique chouette d’Athéna encrée sur le sein, qui n’attend plus que sa mise en couleur, un peu plus tard, par ma talentueuse tatoueuse ; j’en reparle (et sans doute montre) bientôt.

Ni genre ni maître

Saloua Raouda Choucair, Fractional Module, 1947-1951, 49,5 x 59 cm, Courtesy Saloua Raouda Choucair Foundation

Saloua Raouda Choucair, Fractional Module, 1947-1951, 49,5 x 59 cm, Courtesy Saloua Raouda Choucair Foundation

Comme la question des genres littéraires ou artistiques, la question transgenre accorde aux genres une importance très exagérée. Comme la société le fait. La société assigne à chaque genre une identité, une place, des injonctions. Vouloir s’en débarrasser est tout à fait salutaire, à condition de ne pas tomber dans d’autres assignations. Des assignations d’un genre à celles d’un autre. Comment faire autrement, si on se définit par son genre ? Les genres sont en très grande partie des constructions fantasmatiques, qui ne se maintiennent que par croyance. Biologiquement, nous sommes de tel ou tel sexe – le reste est littérature, voire sexisme (sur quoi repose le sexisme, sinon sur la croyance aux genres ?)

L’anthropologie, ou même le simple voyage, suffit à révéler que les genres sont avant tout culturels, et que leur prétendue « nature » varie en fonction des cultures. Les femmes Masaï ont la tête rasée, sont vêtues sobrement, triment dur, construisent les maisons, tandis que leurs hommes, coiffés avec art, très coquets, couverts de bijoux, se contentent de mener le bétail à la pâture, tâche que sous d’autres cieux on confie ou confia aux enfants, aux petites filles. Par ailleurs les hommes Masaï sont aussi, à l’occasion, des guerriers. Ce n’est pas le monde à l’envers, c’est juste une autre culture, juste un exemple parmi tant de cultures différentes, dans l’espace et dans le temps. Des guerrières, il y en eut et il y en a dans nombre de cultures. « Je brûle de combattre », dit une nouvelle fois Athéna à Ulysse, où j’en suis dans ma traduction, quand elle l’exhorte encore à préparer la liquidation de tous les prétendants.

Dans l’Odyssée, les femmes qu’on vante, reines ou servantes, sont presque toujours savantes, savantes en « brillants travaux », c’est-à-dire en travaux d’art. C’était il y a près de trois mille ans, alors qu’au siècle dernier des artistes new-yorkais mâles s’irritaient de la présence d’une artiste femelle sur une photo de groupe de quatorze de ces messieurs, comme le raconte Hedda Sterne dans cet article sur la nouvelle exposition «Elles font l’abstraction », au Centre Pompidou, que je compte bien aller voir. Nul besoin d’être d’un genre ou d’un autre, ni pour travailler, ni pour guerroyer, ni pour faire œuvre d’art.

Ulysse est l’homme qui travaille avec les dieux. Voilà ce qui le définit le mieux. « Les dieux », notamment représentés par Athéna, je montrerai ce que cela signifie, et pourquoi cette figure, Ulysse, venant après celle de Prométhée, est la plus importante dans l’histoire de l’humanité. Ce genre d’humanité dont je suis (en partie).