Sagesse orientale, le temps à sa place

L’Orient remet le temps à sa place, celui d’humble serviteur de l’éternité. Ceci est notamment sensible dans le judaïsme, le christianisme orthodoxe et l’islam. Pensons à la prière juive du Kol Nidrei, capable d’annuler les vœux passés, et à sa correspondance dans la notion de teshouva, capable d’effacer le passé et ses fautes. Pensons à l’importance de la Résurrection dans le christianisme orthodoxe, capable de balayer la mort à l’œuvre dans le présent. Pensons au incha’Allah musulman, capable d’annuler nos projections dans le futur.

C’est à la source de ces pensées que nous devons puiser. Pour le reste, traditions et façons de penser dépassées, pour tout ce que le temps effacera d’elles, s’il est encore vivace là où les hommes sont à cause de la peur en situation d’arriération politique ou mentale, il dépérira – comme en Europe – dès qu’ils se libéreront. Il ne sert donc à rien d’essayer de sauver les vieilles structures là où elles peuvent encore l’être : encore est éphémère. Il faut au contraire se retourner et marcher dans la voie de l’éternité, sans avoir peur de laisser devant soi comme derrière soi tout ce qui n’est plus valide et qui, à coup sûr, tombera. Sous les coups sûrs du temps, soldat au service de l’éternité. 

Animaux de Noël

Il me vient à l’esprit que si Matthieu a dit, étrangement, que Jésus, pour entrer à Jérusalem, a monté une ânesse et son ânon, c’est peut-être parce que ce dernier était dans le ventre de sa mère. L’ânon est, dit Jésus, avec elle : le mot grec meta peut aussi se traduire par après. Après elle. D’une certaine façon, Noël promet de venir après Pâques, porté par l’animal.

L’homme est libre

L’eucharistie n’est pas une récompense, elle n’est pas non plus le signe du pardon de Dieu, elle est (ou devrait être) le signe que Dieu se donne à tous. Parce que telle est la pure vérité, que nous pouvons constater partout et toujours. Dieu se donne continûment, dans toute sa création, dans toutes ses créatures. L’eucharistie est là, comme l’incarnation par le Christ, pour nous faire prendre conscience de cela. Du don qui nous est fait, entièrement gratuit, et de la responsabilité qu’il nous donne : qu’en faisons-nous ? Voilà pourquoi le Christ donne son corps à tous et à chacun. Et ceux qui le reçoicent, ils doivent savoir que leur responsabilité n’en est que plus grande. Parce que, le recevant, leur conscience est réveillée. Doit être réveillée. Avant le Christ, c’est la Loi qui éveille les consciences, rappelant où est le bien et où est le mal. Avec le Christ, la Loi s’incarne, trouve son accomplissement dans la vie : suivre l’exemple du Christ, c’est accomplir la Loi bien mieux, plus sûrement et plus finement qu’en suivant des préceptes. Le Christ se donne à tous, même à Judas. Mais qui, après avoir reçu le Christ, se comporte comme Judas, doit savoir à quoi s’attendre. Ce n’est pas le Christ qui le punit, c’est lui-même qui entre dans une contradiction fatale. L’eucharistie engage la conscience de l’homme, c’est pourquoi elle est à la fois bonne et redoutable, redoutable comme tout ce qui engage notre salut et qui est en vérité une grâce, et c’est pourquoi elle doit être donnée à tous ceux qui la désirent. C’est ainsi que la justice de Dieu s’accomplit.

Voyons cela d’une autre façon. Un enfant vous est annoncé, un enfant vous vient. Voilà une grâce, voilà une eucharistie. Mais c’est aussi une responsabilité. La façon dont vous accueillez cette nouvelle et cet enfant, voilà ce qui peut faire entrer votre âme dans la béatitude, ou dans la mort. À vous de voir.

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Écriture

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image Alina Reyes (12 août 2012)

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Je l’ai raconté dans Ma vie douce, il y a très longtemps je fis ce rêve où j’étais une bienheureuse baleine blanche. D’un bateau des chasseurs se mettaient à me lancer des harpons, en vue de m’attraper. Alors je plongeais très profondément, aux profondeurs où ils étaient loin de pouvoir accéder, et là, indemne, me disant qu’ils n’avaient rien pu attraper de plus, en me transperçant, que quelques frites de baleine, je riais, riais, riais, dans un sentiment de plénitude lumineuse, dont je sais maintenant qu’il correspond au mot hébreu amen, au mot arabe amin, que l’on prononce après la prière.

Dans la Voie, songes et paroles sont libérés du temps. Ce qui a été écrit ou rêvé dans le passé arrive aussi bien dans le présent et dans l’avenir. Joseph un jour rêva que le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant lui (Genèse 37, 9 et Coran 12, 4). Jaloux, ses frères le précipitèrent alors au fond d’un puits (Genèse 37, 24 et Coran 12, 15). Cependant, des années plus tard, son rêve prophétique allait se réaliser (Genèse 43, 28 et Coran 12, 100).

Le mot employé dans le Coran pour dire les profondeurs invisibles du puits est Ghayb, qui désigne le Monde Invisible. C’est de ce monde, celui du mystère, que Joseph reviendra avec la science de l’interprétation des songes. À la « génération mauvaise » qui lui réclame un signe, Jésus répond qu’il ne lui sera donné d’autre signe que celui de Jonas (Luc 11, 29), qui passa trois jours et trois nuits dans la baleine avant de réapparaître.

« Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé », dit le Seigneur (Zacharie, 12, 10). « En effet, tout cela est arrivé pour que s’accomplisse l’Écriture : Pas un de ses os ne sera brisé. Il y a aussi un autre passage de l’Écriture qui dit : Ils verront celui qu’ils ont transpercé », confirme l’Évangile de Jean (19, 36-37). Je suis la vivante baleine Écriture, matrice inviolable dans le Monde Invisible, dont le Vivant va revenir. « Voici, il vient au milieu des nuées, et tout œil le verra, et même ceux qui l’ont transpercé » (Apocalypse 1, 7).

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