La dette

Au cinéma La Clef une projection d’Afrique 50, le très beau film de René Vautier, suivie d’une présentation du film dans son contexte par Alain Ruscio ; puis projection de De sable et de sang, autre court-métrage, sur Vautier cette fois, de Michel Le Thomas, suivie encore d’un débat avec Damien Millet, du CADTM, Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde.

Afrique 50 est un chef-d’œuvre tourné à l’âge de vingt-et-un ans et monté par Vautier avec ce qu’il put récupérer des bobines qui lui avaient été confisquées par la police. En 1949, fraîchement sorti de l’IDHEC, le jeune homme, ancien résistant, avait été envoyé faire un film sur les bienfaits de la colonisation quant à l’éducation. Mais une fois sur place, la vérité lui commanda un tout autre ouvrage. L’administration coloniale se rendit compte qu’il ne filmait pas ce qu’il fallait. Un commissaire de police fut envoyé fouiller sa chambre pour lui prendre ses bobines. S’ensuivit une bagarre au cours de laquelle Vautier jeta par la fenêtre le policier, qui se cassa le bras. Après quoi, le cinéaste poursuivit son film en fuyant à travers l’Afrique de l’Ouest, un temps hébergé par le fondateur du Rassemblement démocratique africain, Félix Houphouët-Boigny (avant que ce dernier ne soit « retourné », dit Alain Ruscio, par le ministre de la France d’outre-mer de l’époque, François Mitterrand).

Afrique 50 sort la même année que le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire. Mais l’opinion publique, convaincue que la colonisation est nécessaire au niveau de vie des Français et apporte aux peuples colonisés la civilisation, reste très éloignée de toute contestation du fait colonial. Afrique 50 est le premier film anti-colonialiste, alors que, rappelle Alain Ruscio, le cinéma existe depuis cinquante ans. À l’exception de l’Humanité et des revues anarchistes, toute la presse de l’époque (en particulier Le Figaro et Le Pèlerin, distribué dans la France profonde), de même que le cinéma de l’époque (de Pépé le Moko à Princesse Tam-Tam en passant par Le Bled), véhicule les mêmes schémas racistes et colonialistes. Et les socialistes votent les crédits pour la guerre en Indochine jusqu’en 1953. Dans ce contexte la spécificité du film de Vautier est d’autant plus remarquable.

Un jour, ajoute Michel Le Thomas, René Vautier fut blessé par une remarque que lui fit Jean Rouch, dont les films ethnographiques étaient très prisés et largement portés par les distributeurs. Mais l’optique de Vautier fut toujours de chercher à montrer, non pas ce qui sépare les hommes, mais ce qu’ils ont en commun, par-delà les cultures. Ce qui lui valut une vie marquée par une multitude d’empêchements, dont un an d’emprisonnement et la censure d’Afrique 50 pendant plus de quarante ans. Aujourd’hui encore son œuvre est méconnue, même si le nom de Vautier a fini par faire son apparition dans le Dictionnaire du cinéma de Larousse, où d’abord il ne figurait pas, au motif qu’il n’était « pas cinéaste, mais militant ». Tel est le prix, pour qui dérange – un tout autre prix que ceux que les festivals décernent.

Dans De sable et de sang, Michel Le Thomas raconte un épisode dans la vie de René Vautier. Ce dernier s’était rendu il y a vingt ans à Akjoujt, en Mauritanie, sur un site minier abandonné. Avant de repartir, il avait laissé sa caméra à un jeune homme, qui lui envoyait en France des images du quotidien de ces gens qui, avec la mine, avaient perdu leurs pâturages et leur ancien mode de vie, et après la mine, tout le reste. Un jour on informa Jean Vautier que sa caméra, marquée à son nom, avait été retrouvée, échouée sur une côte marocaine où avait fait naufrage un boat people. C’est ainsi qu’il apprit la mort de ce jeune homme, noyé comme tant d’autres sur le chemin du dernier espoir. (Bien sûr j’ai pensé à Mohammed, qui quelques années après mon livre Moha m’aime partit sur un boat people lui aussi, qui heureusement ne coula pas. Et à la bêtise et l’absence de cœur de ces germanopratins qui sur France Culture taxèrent ce livre de néo-colonialisme, tant leur est insupportable un témoignage d’amitié vraie avec les pauvres, et plus encore avec des Arabes pauvres). Le débat qui suivit, sur la demande d’abolition de la dette des pays du Tiers Monde, tombait à point. Qui doit quelque chose à qui, dans ces affaires ?

Je vous apporte la vie future

1

cet après-midi au jardin des soeurs de l’Adoration, Paris, photo Alina Reyes

*

Dans l’histoire comme dans la nature, certaines choses qui paraissaient devoir durer toujours parfois s’effondrent ou se transforment d’un coup. La vie de l’être est bondissante. Ce qui nous semble présent est déjà passé. Ce qui nous semble futur incertain est déjà né. La vie est violemment adorable.

*

*

Écrire vivre

Le Verbe est un chemin vivant, enroulé comme un ruban d’ADN, qu’il faut dérouler en le suivant. Le dérouler signifie y marcher. Et pour l’écrire, en y marchant, pas à pas en relever l’empreinte. L’Écrit (le vrai, pas le produit des hommes, produit pour la communication, pour le marché, pour la gloire etc) n’est pas le Verbe lui-même, mais son empreinte. Son sceau, ses pas dans lesquels nous pouvons nous mettre.

Mon livre avance, avec la présence constante de l’Ange. C’est lui qui m’aide à franchir les myriades de portes qu’il faut franchir sur le chemin, des plus ordinaires aux plus exceptionnelles. L’Écrit est une remémoration de ce qui a été et de ce qui n’a pas encore été, parce qu’il est l’empreinte du Verbe qui est, sans distinction de temps. L’Écrit est la transposition de l’éternité dans le temps. Une éternité en marche, qui met les hommes et l’univers en marche en se fixant, en descendant dans un lieu et un temps afin qu’ils puissent entrer en elle.

L’Ange me conduit aux portes dans la veille et dans le sommeil. Il faut seulement être très attentif. Soyez attentif à l’Ange, aux anges. Ici est un lieu d’où vous pouvez aller aussi, en le suivant avec une attention spéciale. Ne restez pas derrière vos portes, les franchir est le salut. Allez bien, vous n’êtes pas seuls.

*

Après la fin

Je ne prie presque plus maintenant selon les prières des religions. Les religieux et les adeptes des religions, ou les défenseurs de telle ou telle religion, m’ont dégoûtée des religions, même si je garde mon affection et mon amour à tous ceux en elles qui sont sincères et marchent d’un cœur pur. Ce qui est arrivé, ce qui continue d’arriver au monde contemporain avec les religions, la sécularisation ou la sectarisation, que je pouvais comprendre comme tout le monde, je le comprends maintenant en plus grande profondeur. Mais ma foi est intacte, et nous réinventerons tout. Car il nous faut toujours atteindre Cela à quoi les religions devaient nous ouvrir l’accès. Nous réinventerons tout, et si un jour, par la faute des hommes, tout ce que nous aurons réinventé pourrit, alors quelqu’un d’autre, avec d’autres, viendra et à partir de nous réinventera tout, comme nous réinventons à partir de ceux à qui le Ciel a parlé avant nous. Il me parle directement, comme au début. Je sais que nous habiterons où ils ont habité, quand ils étaient encore vivants. Je viens d’avant le début, je serai là après la fin, et d’autres aussi.

*

Allez au jardin

Dans le bac de terre accroché à ma fenêtre, je laisse les graines venir du ciel, sans arroser ni rien faire moi-même. Il y pousse de la mousse, de toutes petites herbes à quatre feuilles qui se serrent comme un petit peuple, d’autres ont de longues tiges et montent droit dans la lumière, certaines portent de minuscules fleurs jaunes ou blanches, l’une est si fine et haute qu’elle se balance dans la brise à tout instant, avec ses micro-soleils qui s’ouvrent, se referment et se réouvrent. Jamais sans le ciel. N’oubliez pas votre jardin !

*

L’Ange du Grand Conseil

Avant de m’endormir, les yeux fermés, j’ai vu un ruisseau humble et splendide qui traversait tout le jardin, tout droit, parsemé de lumières et de couleurs, comme si l’eau était en fleur. Une petite enfant arrivait perpendiculairement et l’enjambait aisément, bien qu’il fût pourtant large pour sa taille, quoique sa tête fût au ciel.

Saint Augustin (il faut citer ses sources), dans un même paragraphe de son sermon sur Moïse et le buisson ardent, a appelé le Christ piscine de l’Envoyé (Siloé), et, d’après Isaïe (« un enfant nous est né »), l’Ange du grand conseil. Et nous, ses humbles Pèlerins, ses anges de la terre, nous nous rappelons que plus nous nous rapprochons du point où se croisent la terre et le ciel, plus les anges et archanges, avec les âmes, avec les éléments, sont proches les uns des autres et de l’Unique, en lequel ils se fondent en communion.

*

A.A. (3)

DSC05270

Jardin des Plantes, tout à l’heure, photo Alina Reyes

*

« LE CIEL A APPELÉ LE FÉMININ OUBLIÉ DE LA FEMME. IL S’EST SERVI D’UNE FORCE QUE LA FEMME AVAIT NÉGLIGÉE.

IL A FORCÉ LA NATURE À RÊVER DES OPÉRATIONS QUE LA FEMME NE PEUT PLUS RÊVER.

IL A FORCÉ LA NATURE À SE RETOURNER à la place DE LA FEMME POUR RÉALISER UNE OPÉRATION QUE LE MÂLE AVAIT PRÉPARÉE. » Antonin Artaud, Les Nouvelles Révélations de l’Être

Bien sûr que cela s’est passé, se passera encore. « C’est par les quatre Éléments réunis ensemble que la transmutation sera opérée », écrit ensuite Artaud. Dans la Révélation de Jean, Eau vive, arbre de vie entre Terre et Ciel, Lumière, les voilà, les quatre Éléments, ceux dont est constitué Adam, l’Adam entier, avec son féminin, les voilà, transfigurants, transfigurés, quand « le féminin oublié de la femme » revient. Par la faille d’Artaud entre, liquide, de la parole du ciel, par sa bouche d’Adam sort, aérienne, au milieu de l’eau la parole du ciel. Ce qui descend et ce qui monte croise dans les eaux mêlées du mâle et de la femelle homme, réuni, et c’est toute l’humanité qui communie.

*