Forces de l’esprit et forces de la nature

technique mixte sur papier 10x16 cm

technique mixte sur papier 10×16 cm

Je lis en ce moment Millenium, je viens de terminer le deuxième tome (après l’avoir vu en série il y a quelques années). Formidable personnage de Lisbeth Salander. Comme je le disais l’autre jour des séries nordiques, cette trilogie romanesque de Stieg Larsson constitue un véritable bienfait pour l’humanité par son expression des rapports sociaux et la force de ses personnages féminins. J’ai rendez-vous avec de jeunes tatoueuses, « nous aussi on est des guerrières » m’a répondu l’une d’elles quand j’ai dit que je voulais me faire tatouer la chouette d’Athéna.

Homère. Dès ce cours, au collège (où nous étions deux en classe de grec), où nous avons traduit l’arrivée d’Ulysse sur la plage de Nausicaa, dès cet émerveillement, ce transport dans un autre monde, il fut écrit que je le traduirais encore. Plus tard Homère vint me visiter en rêve, me donnant sa tête à manger (à ceux qui m’ont déjà lue, pardon de me répéter). Nous sommes très ignorants, humains, sur les forces de l’esprit. Nous les pratiquons, et certain·e·s d’entre nous en sont des champion·ne·s, dans telle ou telle discipline, telle ou telle branche du savoir, telle ou telle science. Mais la plupart du temps nous ne savons rien des forces de l’esprit en elles-mêmes, pas plus que les champion·ne·s physiques, dans tel ou tel sport, n’en savent généralement sur les forces physiques de l’univers.

La spiritualité est une étude des forces de l’esprit, souvent nommées de divers noms de divinités, dieux et Dieu. Cette science humaine est aussi une science « dure », ou a pour vocation de l’être, comme les mathématiques. Les mathématiques en font d’ailleurs partie, à mon sens. Les personnes les plus ignorantes en sciences de l’esprit les combattent avec la même hargne que d’autres ignorants, notamment religieux, combattent les sciences en général. Beaucoup d’intellectuels défaillants, mal formés, au nom des Lumières (et surtout de la perpétuation de la société telle qu’elle est et les favorise) combattent à la fois les sciences « dures » et les sciences de l’esprit, en rejetant sur elles leurs propres tares : l’ignorance, l’incapacité à penser en vérité, l’obscurantisme.

Divers outils permettent d’étudier les forces de l’esprit. La langue en est un, mais ce n’est pas le seul. L’outil-roi pour connaître les forces de l’esprit, c’est la vie. La vie sauvage. Sauvage renvoie, dans l’esprit des humains domestiqués, à mauvais, chaotique, immaîtrisé en soi, déchaînement des passions et des vices, noirceurs. Alors que la sauvagerie est en réalité lumière, beauté, transcendance. L’étude de la vie sauvage, notamment par les sciences, comme par la poésie, sacrée ou profane, sont les voies royales pour dépasser le stade des « Lumières » en cherchant, dans la lumière, La lumière.
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Des bienfaits des séries nordiques, et des méfaits des falsifications françaises (note actualisée)

Après avoir regardé plusieurs séries nordiques à la suite, je suis revenue vers une série américaine assez bien réputée et là, j’ai dû vérifier deux fois la date de production, tant elle me semblait datée. Dans la forme mais surtout dans le fond. Les caractères, les rapports humains, les rapports hommes-femmes, tout cela semble arriéré par rapport à ce qu’on voit dans les séries nordiques. Pourtant, première diffusion en 2014, ce n’est pas une vieille série, elle est même moins ancienne que certaines des séries nordiques que j’ai regardées, et dans lesquelles l’humanité paraît tellement plus évoluée.

De même qu’il y a beaucoup de films plus ou moins vieux que, même bons, je ne peux plus regarder, à cause des codes sociaux pénibles qu’ils véhiculent, en particulier sexisme éclatant et racisme plus ou moins larvé, je renonce, après un épisode, à ma série américaine, et retourne à une autre série nordique, là où je peux respirer. Malgré le mal qui bien sûr s’y déchaîne, puisque je regarde toujours des séries policières. J’aime les énigmes, la quête de la vérité, le combat contre le mal. Je n’aime pas une fiction qui étale son sexisme ou son racisme parce que son auteur les trouve normaux.

Les pays nordiques, qui travaillent dans le souci de la meilleure organisation sociale possible, du respect de chaque personne dans ses droits et ses devoirs au sein de la collectivité comme dans son environnement, de la responsabilité du groupe envers chacun et de chacun envers le groupe et envers la nature, dans le sens d’une société apaisée où chaque personne, à la fois sécurisée et autonome, peut se réaliser au mieux et être heureuse, ces pays montrent la voie pour toute l’humanité. C’est en cela que les bonnes séries nordiques sont précieuses. Elles ne montrent pas un monde parfait, mais elles montrent un monde où le respect d’autrui est possible, où la puissance des femmes est effective autant que celle des hommes, où l’autonomie des enfants est encouragé, où les enfants sont respectés autant que les adultes, en même temps qu’ils sont responsabilisés. Elles nous montrent une humanité plus accomplie, plus libre, et nous font comprendre que les pesanteurs patriarcales de nos vieux pays ne sont pas une fatalité. Nous pouvons nous en sortir.

Quelques minutes de visionnage de la série d’Arte sur l’Iliade et l’Odyssée m’ont suffi à voir que la falsification la gâtait comme le livre de Tesson. Comme son livre, elle est destinée à un public inculte en la matière, et visiblement écrite par un ou des incultes. Pleine d’approximations, d’erreurs, de contresens et de falsifications, elle véhicule une vision nihiliste qui n’a rien à voir avec la profonde humanité d’Homère. Chaque jour, continuant à le traduire, j’en suis bouleversée et extrêmement heureuse. Et je me dis que si seulement ceux-là qui en parlent avaient la capacité de lire vraiment cette œuvre, ils ne ressentiraient pas le besoin de la gâcher, à la façon de désirants dépités par leur propre impuissance. Un mal du vieux monde qui est en train de tuer le vieux monde, tandis que l’humanité vivante continue son chemin.

Les gens croiront savoir alors qu’ils ne sauront rien, comme les scénaristes de ce genre de documentaire, et n’auront nullement été incités à lire. On n’apprend rien d’ignorants, et ce documentaire est fait par des ignorants. Beaucoup d’argent public jeté par les fenêtres, alors qu’il aurait pu être utilisé pour enseigner intelligemment et sérieusement. Un problème trop souvent présent en France, d’où la baisse générale du pays. Grave culpabilité de services publics comme Arte, entre autres. Il devrait y avoir un contrôle sur l’utilisation de l’argent public dans les programmes des chaînes publiques, elles ne devraient pas pouvoir diffuser impunément de la fausse science. L’obscurantisme reste un mal à combattre.

P.S. 8-2-2021 Après écoute de quelques minutes de plus du docu d’Arte sur l’Odyssée, il apparaît que la thèse est de présenter Ulysse comme un athée (!) poursuivi par la colère de Zeus parce qu’il voudrait libérer les hommes des dieux. Évidemment c’est une énorme falsification. C’est exactement le contraire de ce que dit Homère, Zeus défendant Ulysse contre Poséidon, l’ennemi d’Ulysse qu’il faut faire plier afin d’assurer un heureux retour au « divin Ulysse » :

Ainsi répondit Zeus rassembleur de nuages :

« Mon enfant, quelle accusation sort d’entre tes dents ?
Comment oublierais-je jamais le divin Ulysse,
Si intelligent parmi les mortels et si généreux
En sacrifices pour les dieux, habitants immortels
Du vaste ciel ? Mais Poséidon qui enserre la terre
Est toujours irrité de ce qu’il aveugla l’œil
Du simili-dieu Polyphème, le plus fort
De tous les Cyclopes. La nymphe Thoosa,
Fille de Phorkys, l’un des chefs de la stérile mer,
S’étant unie dans les grottes à Poséidon, l’enfanta.
Depuis, Poséidon, l’ébranleur de la terre,
Sans le tuer fait errer Ulysse hors de sa patrie.
Mais allons ! Réfléchissons, nous tous, aux moyens
D’assurer son retour. Poséidon alors
Laissera sa colère. Car il ne pourra, seul,
Lutter contre le vœu de tous les immortels dieux. »

Des virus et des hommes

Dans le bel espace où travaillent les chercheurs du Muséum d'histoire naturelle, ces jours-ci à Paris, photo Alina Reyes

Dans le bel espace où travaillent les chercheurs du Muséum d’histoire naturelle, ces jours-ci à Paris, photo Alina Reyes


Supporter longtemps et vaillamment le mal, tout en le tenant à distance lui laisser longtemps sa chance de s’en aller. Le plus souvent, en effet, il s’en va. Mais certaines personnes sont possédées par un mal tenace, dont elles sont incapables de se défaire, qu’elles sont incapables d’expulser d’elles-mêmes. Alors pour le supporter, elles le projettent en d’autres, à la façon d’un virus qui profite des personnes faibles ou en situation de faiblesse. C’est ainsi que le mal s’étend. Cette sorte de mal ne s’en va jamais de lui-même. Les personnes qu’il a infectées peuvent s’en débarrasser, mais on ne peut être sûr qu’elles s’en sont débarrassées tant qu’elles n’ont pas reconnu les faits. Ou tant que la source du mal continue à être en mesure de les infecter et réinfecter. Alors il faut les laisser à distance et leur laisser le temps, à elles aussi. Sinon ce serait collaborer implicitement avec le virus, qui peut tuer. Les virus qui s’insinuent dans la parole sont plus mortels que ceux qui s’insinuent dans le corps. Un corps infecté peut rester saint. Un esprit infecté, non. Refuser la falsification de la parole, c’est lutter contre le mal, pour les malades.

Hypercapitaliste, esclavagiste, antisémite, islamophobe, homophobe, sexiste, raciste… Voltaire emblématique des combats d’aujourd’hui, comme le prétend une série sur lui qui s’annonce ? Non, mais de la guerre que fait la vieille classe dominante à la liberté, à l’égalité et à la fraternité. Et ce faisant, bien sûr, à la vérité.

Photo d’une écrivaine médiatique au visage changé en masque de caoutchouc par la chirurgie esthétique. À soixante-dix ans, toujours pas libérée du désir d’illusionner : c’est ça, la misère de la classe dominante – pas même fichue de se dominer elle-même. N’existant que dans le faux, et propageant le faux comme un virus.

Closer condamné à payer 8 000 euros de dommages et intérêts à Brigitte Macron pour avoir révélé son hospitalisation, en juillet 2019, à l’hôpital américain de Neuilly, pour une opération de chirurgie esthétique. Du moment qu’on se tait, tout passe ? Une culture de la honte et de l’hypocrisie bien religieuse et rancie, à l’œuvre pour les faits graves comme pour des faits aussi dérisoires.

À dix jours du procès en destitution de Donald Trump, les avocats de ce dernier annoncent renoncer à le défendre. Tout finit par arriver ! Les gens peuvent stationner longtemps dans une impasse mais au bout d’un moment quelques-uns entrouvrent les yeux et s’en dégagent.

Il est plus de 18 heures, il fait noir et froid, il pleut ; en pleine ville le merle chante quand même.

Physique de la poésie

Yoga et autres gymnastiques au quotidien continuent à me muscler, à me rendre plus souple et plus agile. Je me sens en joie dans mon corps, et dès qu’il fera un peu moins gris et humide je recommencerai à marcher davantage, à courir, à faire du vélo, et quand l’épidémie prendra fin peut-être de la danse, ou aller à la piscine, etc. L’été dernier O et moi avons fait 100 km à pied en Lozère avec chacun un énorme sac sur le dos, en bivouac et en complet bonheur de liberté. En traduisant l’Odyssée je suis transportée de joie aussi – et je me demande pourquoi tant de traducteurs ont affadi la poésie inouïe de ce texte. Et je me dis qu’ils n’ont pas dû la sentir. Les intellectuels sont rarement des gens qui cultivent le bonheur du corps, qui connaissent leur corps, qui savent ressentir la vie et le monde avec leur corps. Or la poésie puissante (je précise puissante car la plupart de la poésie aujourd’hui ne l’est pas, puissante) est de la même nature que la nature, que la vie, elle vient de la même source, et c’est par sa propre nature et par sa propre puissance vitale qu’on la ressent, qu’on la reçoit, qu’on en est revigoré et rincé comme d’une séance de sport. Je dirai donc que la plupart du temps, je préfère de beaucoup les sportifs et autres danseurs de tous sexes aux poètes.

Et en ce moment, je regarde et regarde encore de magnifiques prestations récentes des gymnastes – j’ai déjà évoqué ici Simone Biles, la voici encore, avec aussi, autres plendides corps vivants, Gracie Kramer, Margzetta Frazier, Kyla Ross, MyKayla Skinner, Katelyn Ohashi. Moi aussi, quand j’écris, parfois, je me sens ainsi : virtuose. Dans l’art de quitter le sol en beauté et de retomber sur ses pieds avec grâce et sourire, et même joie féroce.


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à bientôt pour la suite du journal intime d’une jeune femme libre (cf note précédente)

Fin de mes livres chez Zulma. La trumperie littéraire

J'ai photographié encore cette fresque de Seth, face au château de la Reine Blanche dans le 13e arrondissement, car je ne m'en lasse pas

J’ai photographié encore cette fresque de Seth, face au château de la Reine Blanche dans le 13e arrondissement, car je ne m’en lasse pas

Trouvé au fond de ma boîte à lettres, parmi un tas de prospectus publicitaires que je ne ramasse que de temps en temps, un avis de lettre recommandée datant de près de quinze jours. Je suis donc allée la chercher à la poste, juste à temps avant qu’elle ne reparte à l’expéditeur. Il s’agissait d’un courrier de Laure Leroy, directrice des éditions Zulma, m’informant qu’en raison de « la situation économique » (sans plus de précision), elle cessait la commercialisation des six livres que j’ai publiés chez eux. Et me proposant de lui en racheter des exemplaires. Grande élégance. Je lui ai répondu par mail, avec copie à la personne qui était en charge des droits – le mail me revient, cette personne ne travaille plus chez Zulma, la réponse automatique donne une adresse anonyme à laquelle s’adresser, il semble que son poste soit supprimé. Peut-être que ça va vraiment mal pour la boîte.

Je n’en sais rien, car je n’ai plus de contact avec eux depuis des années, il y a longtemps que Laure Leroy ne voulait plus de moi. Si j’avais un conseil à donner aux éditeurs, ce serait de réfléchir avant de choisir entre soit garder un·e auteur·e important·e que le milieu rejette pour crime de lèse-parrain, soit rejeter aussi cet·te auteur·e et s’assurer par là le soutien, par exemple, du Monde des livres. Certes il est bon pour un éditeur de pouvoir compter sur une partie importante de la critique pour promouvoir les livres qu’il publie, mais à choisir, et sur le long terme, le mieux c’est quand même de garder les auteur·e·s qui comptent.

À propos de critique dans Le Monde, j’en ai vu une l’autre jour qui comparait la « poésie » de certain petit livre récemment paru à la poésie de Victor Hugo. Intéressée, je suis allée voir en ligne les premières pages du livre en question, que je ne nommerai pas, par charité pour son auteur. Aucun de mes élèves au lycée n’écrivait de si mauvaise « poésie ». Pourquoi cette flagornerie du Monde ? De toute évidence, même le critique le plus nul ne peut que se rendre compte de ce ridicule. Mais c’est que l’auteur entre dans la case musulman-utile et dans les bons réseaux. Trump est parti, Dieu merci, mais la trumperie est toujours de ce monde, avec son mensonge permanent, grossier, criminel – car il y a bien ici crime contre l’esprit.

Pour en revenir à mes titres chez Zulma, j’ai demandé dans ce mail ce qu’il en était des trois qu’ils ont cédés il y a longtemps à d’autres éditeurs pour des collections de poche. J’imagine que ceux-là (Poupée, anale nationale, Une Nuit avec Marilyn et La Dameuse) resteront en circulation. Nous verrons. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait que je récupère les droits des six livres. Des trois ou des six sortis de la circulation je ferai sûrement quelque chose, j’ai l’habitude de la récup ;-)

Homère et Maïakovski

"Maïakovski", collage sur papier 31x41 cm

« Maïakovski », collage sur papier 31×41 cm

« Il y a dans la mer fortement agitée,
En face de l’Égypte, une île appelée Phare »

Homère, Odyssée, chant IV, v.354-355 (ma traduction)

Un jour, inch’Allah, j’apprendrai assez de russe pour pouvoir traduire le grand Maïakovski. En attendant le grand Homère (dont je suis en train de traduire toute l’Odyssée) fait très bien l’affaire. J’aime les poètes qui se coltinent l’univers, et j’aime me coltiner l’univers des poètes.

La grande syntaxe de l’être, avec Ptolémée

"Ways" Technique mixte sur papier 31x41 cm

« Ways »
Technique mixte sur papier 31×41 cm

« Je sais que moi je suis mortel, éphémère ; mais quand,
Des astres, je cherche le cours incessant, spiralant,
Mes pieds ne touchent plus terre mais c’est de l’ambroisie,
Nourri par Zeus lui-même, qu’alors je me rassasie. »

Ptolémée, Anthologie Palatine, IX.577 (ma traduction)

« Qu’on n’objecte pas à ces hypothèses, qu’elles sont trop difficiles à saisir, à cause de la complication des moyens que nous employons. Car quelle comparaison pourrait-on faire des choses célestes aux terrestres, et par quels exemples pourrait-on représenter des choses si différentes ? Et quel rapport peut-il y avoir entre la constance invariable et éternelle, et les changements continuels ? Ou quoi de plus différent des choses qui ne peuvent aucunement être altérées ni par elles-mêmes, ni par rien d’extérieur à elles, que celles qui sont sujettes à des variations qui proviennent de toutes sortes de causes ? Il faut, autant qu’on le peut, adopter les hypothèses les plus simples aux mouvements célestes ; mais si elles ne suffisent pas, il faut en choisir d’autres qui les expliquent mieux. Car si après avoir établi des suppositions, on en déduit aisément tous les phénomènes comme autant de conséquences, quelle raison aura-t-on de s’étonner d’une si grande complication dans les mouvements des corps célestes ? »

Ptolémée, Almageste (ou la Grande syntaxe), XII, 2, trad. Halma, 1813