Rabindranath Tagore par Mircea Eliade

L'autre jour au jardin des Plantes, une pause dans mon footing pour photographier cette magnifique lumière

L’autre jour au jardin des Plantes, une pause dans mon footing pour photographier cette magnifique lumière

Ce qui se passe en France est grave. Chacun le voit et le comprend, je n’épiloguerai pas là-dessus aujourd’hui, après avoir posté tant de notes pour dénoncer les violences policières ces dernières années.
Aujourd’hui je redirai juste : ne perdons pas nos forces, notre instinct de liberté. Aujourd’hui et ces temps-ci je suis en très grande forme et pour fêter ça je propose ce témoignage fantastique de Mircea Eliade sur Rabindranath Tagore, poète que j’ai déjà évoqué quelquefois ici (voir le mot-clé à son nom).

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Rabindranath Tagore

Rabindranath Tagore

« En septembre, Dasgupta m’emmena à Shantinikatan pour me faire connaître Rabindranath Tagore. Je vécus là une des périodes les plus décisives de mon séjour. Je me trouvais soudain plongé dans cette authentique « indianité » à laquelle j’avais tant aspiré. Tout m’émerveillait dans cette université où les cours se tenaient le plus souvent dans un jardin, et à l’ombre d’un arbre. Les étudiantes et les femmes qui m’entouraient me semblaient aussi belles que mystérieuses. Dasgupta était l’hôte de Tagore, et quant à moi, je logeais au Guest House. Ma chambre était toute blanche, avec une terrasse. Plusieurs fois par jour, j’y retournais tout exprès pour y noter mes conversations avec le très érudit Vidushekar Shastri, ou une indiscrétion concernant Tagore, dont l’existence tenait de la légende. J’avais réservé un cahier entier pour noter tout ce que j’entendais dire à son sujet, et sur ses dons extraordinaires de séduction. Comme l’avait dit un jour un de ses admirateurs, plus de la moitié des femmes du Bengale était en adoration devant lui.

Je dus attendre trois jours avant de lui être présenté. Dasgupta m’accompagnait, et notre conversation se ressentit de sa présence. Dasgupta avait la plus grande admiration pour le poète, le musicien et le créateur de centres de culture qu’était Tagore, mais il le tenait pour un piètre théoricien. Dès que Tagore abordait avec moi des sujets tels que le « sens de l’existence », ou la « recherche de la vérité », Dasgupta prenait un air absent et tournait ses regards vers la fenêtre. Tagore s’en était rendu compte, et cela le contrariait. Par bonheur, quelques jours plus tard je pus revoir Tagore et déjeuner avec lui sans que Dasgupta se trouvât entre nous. J’eus alors la révélation de ce climat de secte mystique qui entourait le poète, sans doute à son insu. Tout un cérémonial présidait à ses apparitions, que ce fût à table ou sur la terrasse, ou dans le jardin. La présence de Tagore était charismatique. On pouvait reconnaître son génie rien qu’en le regardant vivre, et l’on devinait que son existence était d’une richesse à laquelle peu de ses contemporains auraient pu prétendre. Chacune de ses heures était lourde de sens et portait ses fruits. Son temps était utilisé à plein. Il était à ce point présent qu’auprès de lui les fleurs, les taches de lumière semblaient s’évanouir. Il vivait en état de création continue. Hormis le temps qu’il passait en méditation ou à écrire, il composait de la musique – il était alors l’auteur de plus de trois mille mélodies – il faisait de la peinture, ou bien conversait avec ses amis ou ses visiteurs d’une façon dont on n’a plus l’idée de nos jours. Chacun des moments passé en sa compagnie était une révélation. »

Mircea Eliade, « L’Inde à vingt ans »

Odyssée, Chant III, v. 102-152 (ma traduction)

Une nouvelle œuvre, d'un nouvel artiste dans le quartier, le Chilien de Londres Otto Schade, après que la peinture a été passée sur les anciennes. À Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

Une nouvelle œuvre, d’un nouvel artiste dans le quartier, le Chilien de Londres Otto Schade, après que la peinture a été passée sur les anciennes. À Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

Finie, la tendinite d’Achille. Je suis retournée courir ce matin, et de nouveau je suis allée franchement plus loin, d’un trait, que la fois précédente (je mesure ça au parcours réel, toujours le même, mieux qu’avec l’appli que je ne déclenche pas toujours bien). C’est un bonheur tout spécial de constater que tant est encore possible, par le corps et par l’esprit.

Voici la première partie de la réponse de Nestor à Télémaque (nous en aurons les 50 derniers vers la prochaine fois). Il y a dans ce passage un moment où il dit que Ménélas et Agamemnon ont convoqué l’assemblée « en dépit du bon ordre ». En grec, cela se dit littéralement « non en descendant du cosmos » – le mot cosmos signifiant d’abord ordre, bon ordre – d’où son sens dérivé d’univers, car l’univers est bien ordonné. Quand nous faisons les choses en dépit du cosmos, il ne faut pas s’étonner que la règle du cosmos semble se dérégler pour nous. En fait, c’est nous qui nous sommes mis en dehors de la règle juste, du bon ordre, et qui nous sommes donc rejetés nous-mêmes en dehors de l’ordre de la vie, de la bonne vie.
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Ainsi dit alors le cavalier Nestor de Gérènos :

« Ami, tu me rappelles les souffrances que dans ce peuple
Nous avons endurées avec courage, fils indomptables
Des Achéens, quand nous errions en bateau sur la mer sombre,
En quête de butin, sous le commandement d’Achille,
Ou encore quand dans la grande ville du roi Priam
Nous combattions. Là périrent bien des meilleurs d’entre nous.
Là gît le martial Ajax, et là aussi Achille,
Et là Patrocle, qui savait guider comme les dieux,
Et là mon cher fils, à la fois si fort et irréprochable,
Antiloque, rapide à la course et au combat.
Et nous avons souffert bien d’autres maux encore !
Qui parmi les mortels pourrait les dire tous ?
Si tu restais cinq ou six ans à m’interroger
Sur les maux qu’endurèrent là-bas les divins Achéens,
Tu repartirais avant, lassé, dans ta patrie.
Neuf ans nous ourdîmes contre les Troyens de noirs desseins,
Les cernant de maints pièges. Et le fils de Cronos en finit
À peine. Là personne n’aurait voulu se proclamer
Égal en intelligence au divin Ulysse, bien plus
Expert en ruses diverses – ton père, s’il est vrai
Que tu es né de lui ; mais à te regarder, le respect
Me saisit. Car tu parles comme lui, et tu n’as pas l’air
D’un si jeune homme, tant ton discours est semblable au sien.
Quand nous étions là-bas, jamais le divin Ulysse et moi
Ne parlions différemment au conseil ou à l’agora,
Nous y exprimant d’un seul cœur, par l’esprit et la sagesse,
Afin que pour les Argiens tout se déroule pour le mieux.
Après avoir détruit la ville escarpée de Priam,
Nous avons repris nos bateaux, mais un dieu a dispersé
Les Achéens : Zeus tramait dans son cœur un triste retour
Pour les Argiens, car tous n’étaient pas réfléchis ni justes !
Et beaucoup d’entre eux ont suivi la voie d’un sort désastreux,
Par la funeste colère d’Athéna aux yeux brillants
Et au fort père qui mit la discorde chez les deux Atrides.
Ces derniers convoquèrent à l’agora tous les Achéens,
Sans raison, en dépit du bon ordre, au coucher du soleil.
Les fils des Achéens s’y rendent alourdis par le vin
Et tous deux expliquent pourquoi ils rassemblent le peuple.
De là Ménélas exhorte tous les Achéens
À songer au retour sur le vaste dos de la mer.
Mais Agamemnon n’est pas du tout d’accord : lui veut
Retenir le peuple pour faire de saintes hécatombes
Afin de calmer la terrible colère d’Athéna.
Puéril ! On n’est pas en mesure de convaincre les dieux
Sur l’instant ! L’esprit des éternels ne tourne pas si vite.
Debout, les Atrides échangent des paroles pénibles.
Alors les Achéens aux belles jambières bondissent,
Et dans un prodigieux vacarme clament leur division.
On passa une rude nuit, à s’exciter en pensée
Les uns contre les autres. Zeus préparait notre malheur. »

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le texte grec est ici
dans ma traduction, le premier chant est , le deuxième
à suivre !

L’Odyssée, Chant III, v. 1-62 (dans ma traduction)

au square René Le Gall à Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

au square René Le Gall à Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

Aujourd’hui j’ai couru 1500 mètres d’affilée, certes pas bien vite mais je me sens pousser des ailes ! Quand je me suis mise à courir, à la fin de cet été, alors que je n’avais pas couru depuis le lycée, depuis plus de trois décennies donc, je devais tenir tout juste 200 ou 300 mètres sans m’interrompre pour marcher avant de recourir. J’ai dû courir en moyenne une fois par semaine, donc une dizaine de fois depuis août, et je sens que je peux continuer à progresser beaucoup – il faut juste que je veille à ne pas aggraver la tendinite d’Achille qui me fait un peu mal après l’effort depuis que je cours plus longtemps – baume du Tigre et quelques jours de repos, puis ça repart.

Mais revenons à Télémaque, parti pour son premier voyage, en compagnie d’Athéna qui a pris l’apparence d’un compagnon d’Ulysse, Mentor. Nous voici au début du Chant III, ils arrivent chez Nestor, fils de Nélée, où se tient une grande cérémonie en l’honneur du dieu Poséidon. Je vous laisse découvrir la scène, et le merveilleux dernier vers sur lequel je me suis arrêtée.
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Le soleil s’élance, quittant une splendide mer d’huile,
Dans le toit d’airain du ciel, pour éclairer les immortels
Et les humains mortels sur les terres fécondes.
Ils arrivent à Pylos, la citadelle bien bâtie
De Nélée. Sur la plage les gens offrent un sacrifice
De taureaux tout noirs à l’ébranleur de terre aux cheveux noirs,
Poséidon. Il y a neuf rangs de bancs, cinq cents hommes
Par rang, et devant chaque rang neuf taureaux.
Ils viennent de manger les entrailles et font brûler les cuisses
Pour le dieu, quand les Ithaciens abordent au rivage.
Ils carguent les voiles de la nef bien proportionnée,
Jettent l’ancre et débarquent. Télémaque descend, suivant
Athéna aux yeux brillants de chouette, qui parle en premier :

« Télémaque, tu ne dois pas être timide, pas du tout :
Car tu as navigué sur la mer pour te renseigner
Sur ton père, savoir quelle terre le cache, quel sort
Le poursuit. Allons droit chez Nestor, le dompteur de chevaux !
Voyons quelle pensée il renferme dans sa poitrine.
Supplie-le de te parler avec sincérité.
Il ne mentira pas, car il est très réfléchi. »

Ainsi lui répond à haute voix le prudent Télémaque :

« Mentor, comment irai-je ? Et comment l’aborderai-je ?
Je n’ai pas l’expérience des sages discours
Et un jeune homme n’ose pas questionner un ancien. »

Ainsi lui réplique Athéna aux yeux brillants de chouette :

« Télémaque, d’une part tu y songeras dans ton cœur,
Et d’autre part, un dieu t’inspirera, car tu n’es pas né
Ni n’as été élevé, je pense, en dépit des dieux. »

Ayant ainsi parlé, Pallas Athéna va de l’avant
Promptement. Et Télémaque suit la trace du dieu.
Ils arrivent au lieu où les Pyliens sont assemblés.
Là sont Nestor et ses fils, et autour d’eux les compagnons
Préparent le repas, grillant des viandes, en perçant d’autres.
Dès qu’ils voient les étrangers, ils vont tous ensemble vers eux,
Les attirent de la main, les exhortent à prendre place.
Pisistrate, fils de Nestor, s’approche le premier,
Les prend tous deux par la main et les fait asseoir au festin
Sur des toisons moelleuses posées sur les sables marins,
Auprès de son frère Thrasymède et de son père.
Puis il leur donne des portions d’abats et leur verse
Du vin dans une coupe d’or. La levant, il salue
Ainsi Pallas Athéna, fille de Zeus porteur d’égide :

« Ô étranger, prie maintenant le roi Poséidon :
Car pour lui est le festin auquel vous venez vous asseoir.
Après avoir fait les libations et prié dans les règles,
Donne à ton ami la coupe de vin doux comme le miel,
Qu’il en verse à son tour, car lui aussi, je pense, prie
Les immortels : tous les hommes ont désir et besoin des dieux.
Mais comme il est plus jeune, à peu près de mon âge,
C’est d’abord à toi que je donne cette coupe. »

Sur ces mots, il lui met en mains la coupe de vin doux.
La sagesse et la justesse de cet homme réjouissent
Athéna, à qui il donne en premier la coupe d’or.
Aussitôt avec force elle prie le roi Poséidon :

« Écoute, Poséidon qui tiens et entoures la terre,
Ne refuse pas à ceux qui te prient l’accomplissement
De leurs vœux. Mais tout d’abord glorifie Nestor et ses fils !
Puis sois favorable à tous les autres habitants de Pylos,
En récompense de cette magnifique hécatombe.
Enfin, donne à Télémaque et moi le retour et le but
Qui nous fait voyager sur notre vive et noire nef. »

Ainsi dit-elle sa prière, qu’elle exauce elle-même.

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le texte grec est ici
le premier chant entier dans ma traduction est
le deuxième
à suivre !

Silhouette : mon journal en images

journal en images 1-min
Samedi, en rentrant de courir où, à mon tout petit niveau de débutante, je progresse bien et avec joie.
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journal en images 2-min

Dimanche, j’ai réalisé ces deux collages : « Woman Bridge » et « Trumpet of Time ». J’ai aussi téléchargé une appli pour voir mes progrès à la course. L’appli compte aussi les autres sports, et indique les calories dépensées : 700 entre le yoga et la marche (promenade) ce dimanche.

journal en images 3-min
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journal en images 4-min

Aujourd’hui lundi nous sommes allés à vélo, O et moi, à l’île aux Cygnes, vingt kilomètres aller-retour par les bords de Seine. Profitons du temps quand il est beau et tant qu’on n’est pas confiné. Entre le yoga, la marche et le vélo aujourd’hui, 900 calories dépensées et surtout, un corps et un esprit bien aérés.

journal en images 5-min

à Paris ces jours-ci, photos Alina Reyes

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Odyssée, Chant II, v. 6-24 (ma traduction)

Oh le grand atelier avec un poêle au milieu ! Oh la peintre qui bondit et danse en peignant ! J’ai choisi de présenter aujourd’hui cette vidéo sur Marie Javouhey parce qu’elle exalte le geste et c’est dans l’exaltation du geste et de la rapidité que nous sommes depuis hier, depuis les cinq premiers vers du deuxième chant de l’Odyssée, et dans ceux qui suivent immédiatement. Moi aussi, comme quiconque peint sans doute, j’aime le geste de peindre, qui n’est pas seulement geste de la main mais aussi geste des pieds et de tout le corps qui sans cesse se déplace, au moins légèrement, au plus vigoureusement, devant la peinture en cours. J’aime le geste aussi dans l’écriture, même s’il est plus discret – mais tiens, je me souviens de cette vidéo où je bondis de joie aussi dans le geste général d’écrire. Voici donc Télémaque dans la grâce, jeunesse qui s’avance tandis que la vieillesse recule.
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Promptement il ordonne aux hérauts à la voix claire
De convoquer dans l’agora les Achéens chevelus.
À l’appel des hérauts, ils s’y rendent prestement.
Une fois qu’ils sont tous rassemblés, quand c’est chose faite,
Il va dans l’agora, sa lance d’airain à la main,
Non pas seul, mais avec deux chiens rapides à sa suite.
Et Athéna répand sur lui sa grâce divine.
Les foules le contemplent, émerveillées, tandis qu’il s’avance.
Les vieux se reculent, il s’assoit sur le siège de son père.
Le premier d’entre eux à parler est le héros Égyptios,
Courbé par la vieillesse et chargé d’expérience.
Son cher fils, le combattant Antiphos, est parti jadis
Sur des nefs creuses en même temps que le divin Ulysse
Pour Troie aux nombreux chevaux ; c’est lui que le cruel Cyclope
Tua dans sa grotte profonde, et qu’il mangea en dernier.
Il lui reste trois autres fils, dont Euronymos,
L’un des prétendants, et deux qui s’occupent de ses domaines.
Mais n’oubliant pas Antiphos, il se lamente et s’afflige.
Tout en pleurant il prend la parole et dit à l’assemblée :

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le texte grec est ici
le premier chant entier est
à suivre !