Djihad

 

Obama est très mal à l’aise avec la question palestinienne. Sa priorité maintenant est de se tourner vers la Chine et vers l’Asie. C’est là-bas désormais que se trouvent les plus grands enjeux pour la sauvegarde d’un avenir aux Etats-Unis. Il se borne à réitérer son soutien à Israël en rappelant que n’importe quel pays qui se ferait bombarder répliquerait. Pour stopper la violence il espère en la médiation de Morsi et d’Erdogan avec qui il a parlé. Sans doute il aimerait bien qu’ils s’occupent de la patate chaude, et au fond ce serait bien qu’ils s’en occupent en effet, plutôt que les Américains et les Français. Il faut aider Gaza sur place, pas seulement en montrant ses muscles mais avec le cœur et l’intelligence. Que les pays de la région qui le peuvent soient auprès d’eux, ne les abandonnent pas à leur désespoir et à la brutalité de Netanyahou. Gaza tout seul ne peut pas négocier correctement avec Israël, il faut les soutenir, il faut vouloir vraiment aller vers la possibilité de paix et de liberté, sans s’attendre non plus à un miracle, avec détermination et patience.

Pour ne pas combattre par idolâtrie de la guerre, il est bon de savoir d’abord quel est le combat exactement, quel est son but et comment le mener pour qu’il atteigne son but. Ainsi faisait le Prophète. Il a ramené son peuple à La Mecque avec intelligence plutôt qu’en obéissant à ses pulsions, avec patience et sans violence. Les Palestiniens se défendent comme ils peuvent. Mais après des décennies d’échec il est clair que ce n’est pas en les encourageant à poursuivre dans une voie sans issue qu’on pourra les aider. Parce que cette voie sans issue, beaucoup de gens ont intérêt à ce qu’ils y restent encore aussi longtemps que possible. Pendant ce temps, les affaires continuent. L’action armée est sans issue pour la Palestine. Même avec beaucoup de courage, ils ne pourront jamais vaincre la puissance armée israélienne, surtout tant qu’Israël a le soutien des États-Unis et de l’Europe. On ne fera que piétiner, avec toujours plus de victimes et de malheur. C’est une situation dangereuse et morbide pour la Palestine et pour Israël aussi. Et c’est parce que des gens le savent que finalement on arrivera à en sortir. Autrement. Comme on est arrivé à sortir de soixante-quinze ans de guerres entre la France et l’Allemagne, et de siècles de guerres au sein de l’Europe, en finissant par s’unir tant bien que mal dans l’Union européenne. Ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique, mais avec beaucoup d’efforts de toute sorte, un très grand djihad.

Spirituel d’abord. Une action qui ne serait pas initiée et soutenue par le combat spirituel ne saurait être féconde. Même quand la guerre par les armes confère une victoire, si celle-ci ne s’accompagne pas d’un combat spirituel elle se change rapidement en désenchantement. On ne se trouve libéré d’un ennemi que pour tomber sous la coupe d’une autre tyrannie, parfois pire. Tout reste à faire alors. Et cet effort qui va s’étaler sur des décennies, il aurait mieux valu le fournir pour vaincre l’ennemi plus intelligemment que par la seule force brute. Comme le dit Muhammad Asad, « Juifs et Arabes se sont retranchés dans une haine aveugle qui les empêche d’avancer. » Il faut sortir de cette fosse avant qu’elle ne nous engloutisse, chercher la lumière, vouloir arriver à l’accomplissement. Le monde a une fausse idée de l’islam ? Prouvons-le lui. Croire en l’islam n’est rien d’autre que croire en la paix, c’est ce qu’il faut démontrer.

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Rendre aux enfants de Gaza et de tout le pays la source

photo Alaa Badarneh

 

Voici, dans ma traduction, Une prière juive pour les enfants de Gaza, par Bradley Burston. Qui écrivit aussi, dans A special place in hell : « Le fait est qu’Israël, plus peut-être que les Palestiniens, a besoin d’un Gandhi », en dénonçant le fait que de part et d’autre, par machisme, l’action non-violente est trop souvent vue comme indigne d’un homme.

S’il fut jamais un temps pour prier, c’est bien ce temps.

S’il fut jamais un lieu abandonné, Gaza est ce lieu.

Seigneur qui es le créateur de tous les enfants, écoute notre prière en ce jour maudit. Dieu que nous appelons Béni, tourne ta face vers eux, les enfants de Gaza, qu’ils connaissent tes bénédictions, et ta protection, qu’ils connaissent lumière et chaleur, où il n’y a maintenant qu’obscurité et brouillard, et un froid qui coupe et serre la peau.

Tout-Puissant qui fait des exceptions, que nous appelons miracles, fais une exception pour les enfants de Gaza. Fais-leur rempart de nous et des leurs. Épargne-les. Guéris-les. Garde-les sains et saufs. Délivre-les de nous, et des leurs.

Restaure leurs enfances volées, leur droit de naissance, qui est un goût du paradis.

Rappelle-nous, ô Seigneur, l’enfant Ismaël, qui est le père de tous les enfants de Gaza. Comment l’enfant Ismël fut sans eau et laissé pour mort dans le désert de Beer-Sheba, si privé de tout espoir que sa propre mère ne put supporter de voir sa vie s’enfuir.

Sois ce Seigneur, le Dieu de notre parent Ismaël, qui entendit ses pleurs et envoya Son ange réconforter sa mère Hagar.

Sois ce Seigneur, qui fut avec Ismaël en ce jour, et tous les jours d’après. Sois ce Seigneur, le Tout-Miséricordieux, qui ouvrit les yeux d’Hagar en ce jour, et lui montra la source d’eau, qu’elle puisse donner à boire à l’enfant Ismaël, et sauver sa vie.

Allah, que nous appelons Élohim, qui donnes la vie, qui connais la valeur et la fragilité de toute vie, envoie à ces enfants tes anges. Sauve-les, les enfants de ce lieu, Gaza la plus belle, et Gaza la damnée.

En ce jour où la trépidation, la rage et le deuil qu’on appelle guerre, saisissent nos cœurs et les rapiècent de cicatrices, nous te prions, Seigneur dont le nom est Paix :

Bénis ces enfants, et garde-les de tout mal.

Tourne ta face vers eux, ô Seigneur. Montre-leur, comme si c’était la première fois, lumière et bonté, et submergeante grâce.

Cherche-les du regard, ô Seigneur. Laisse-les voir ta face.

Et, comme si c’était la première fois, donne-leur la paix.

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Le sang vivant vaut mieux que le sang mort. Le sang vivant est notre cœur et notre intelligence. Il est plus difficile de les rendre assez inventifs pour mener et gagner le combat, mais il ne faut pas voir peur du plus difficile. Il faut chercher des voies qui préservent la vie, autant que possible. D’autres l’ont fait, n’en serions-nous plus capables, hommes du XXIème siècle ?

Je ne crois pas que la Palestine s’en sortira par la guerilla, sinon elle en serait déjà sortie, depuis le temps. Et je ne crois pas non plus que la Palestine ni les autres pays de la région ou du monde aient intérêt à se mettre entre les mains  de n’importe quels combattants armés qui leur promettent la libération et ensuite les asservissent pendant des décennies, comme on l’a vu dans un passé récent et comme on risque de le voir de nouveau sous d’autres formes et étiquettes. S’il n’y a pas de recette miracle pour s’en sortir, le mieux n’est-il pas de renforcer les liens entre toutes les bonnes volontés de tous bords, sur le terrain des différents côtés et dans le reste du monde, afin de faire évoluer les mentalités et donc la situation ? C’est un long travail, mais certains y sont, et il faut le renforcer jusqu’à ce qu’il aboutisse, voilà ce que je crois.

Israël réclame le droit de vivre en paix. Mais nul oppresseur ne peut réclamer ce droit. Tant qu’Israël continuera à coloniser, piller les terres, piller l’eau, emprisonner les Palestiniens derrière des murs, des frontières infranchissables, des check-point interminables, il ne peut pas demander à ce qu’on le laisse vivre en paix. C’est tout simplement impossible. Rien ne s’arrangera tant qu’il n’aura pas changé complètement de politique. Deux États dans un premier temps, puis leur réunion en un seul, un État pour tous les Palestiniens quelle que soit leur origine et leur confession. Un État digne de ce nom. Pour les enfants de tout le pays, notre pays commun, notre patrimoine mondial, notre patrie universelle, nous devons tous œuvrer pour un État unifié, pacifié.

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Aux U(r)nes citoyens !

 

Quelques Unes de ces toutes dernières semaines (sauf celle du Fig Mag, qui est du 21 septembre 91, reprise sur plusieurs sites internet pour illustrer leur dernier sondage très défavorable à l’islam). Sur celle d’aujourd’hui, avec femme à grand voile poussant la porte de la CAF, ils tirent dans le dos. Titrent sur le coût, en pensant à ce que ça va leur rapporter. C’est la saison de la chasse. La plus sale qui soit.

Tandis que la République s’apprête à célébrer des mariages homosexuels, l’hystérie continue. On se croirait à la Salpêtrière à la fin du XIXème siècle, avec dans le rôle des folles les prétendus médecins, pur produits de l’Occident, des savants « éclairés », se repaissant de l’ « étrangeté », inquiétante bien sûr, des femmes… Après ça la suite logique c’est le délire de mort, qui se propage des élites aux peuples. Démocratiquement, s’il vous plait : après les Unes, aux urnes, citoyens !

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Sourate Ta-Ha (2). Moïse sauvé du feu

photo Alina Reyes

 

Nâr, feu, désigne aussi dans le Coran l’enfer. « Et dis: « La vérité émane de votre Seigneur ». Quiconque le veut, qu´il croit, et quiconque le veut qu´il mécroie ». Nous avons préparé pour les injustes un Feu dont les flammes les cernent », est-il écrit au verset 29 de Al-Kahf. Le mot, de même qu’en hébreu, est tout proche de nûr, lumière.

Si nûr est entièrement positif – il est un nom du Coran, et Dieu lui-même est Lumière sur lumière (sourate 24, v.35), nâr a une double connotation. Ici où le premier récit de la sourate concerne l’épisode de la Bible dit du buisson ardent, il apparaît d’abord positif. Le récit biblique parlait d’un feu qui brûlait sans consumer le buisson. Le récit coranique dit seulement : un feu. Moïse voit un feu au loin. Il dit à sa famille de rester sur place, tandis que lui part à sa rencontre, dans l’espoir d’en ramener un tison, et peut-être une aide pour le guider. Ce feu s’apparente donc à un espoir de lumière, comme d’une torche pour pouvoir avancer plus sûrement dans la nuit.

Cependant le fait que Moïse demande à sa famille de rester sur place tandis qu’il s’en va au-devant de cette vision de loin, indique, en même temps que l’espoir, le risque que ce feu représente. Le risque, sans doute, qu’encourent les injustes de se voir cernés par ses flammes, comme écrit dans la sourate 18. Or, qui peut savoir, au moment de se présenter devant Dieu, s’il sera jugé juste ou injuste ? C’est tout l’enjeu du Coran : éclairer les hommes dans leur nuit, les prévenir contre le risque de l’enfer. « Nous n’avons point fait descendre le Coran sur toi pour que tu sois malheureux », est-il dit au deuxième verset de Ta-Ha.

Si nous rapportons le récit à des états mentaux, quel pouvait bien être celui de Moïse en voyant de loin ce feu ? Un verbe apparenté à nâr signife « être excité au point de se jeter sur quelqu’un ». Le caractère infernal du feu consiste à ête dominé par ses pulsions. Quelques versets plus tard, Dieu retraçant la vie de Moïse jusqu’ici, lui fera notamment rappel du fait qu’un jour il tua un homme (sous le coup de la colère, pour défendre un Hébreu opprimé, ainsi que le raconte la Bible). Nous pourrions interpréter la démarche de Moïse comme celle d’un homme qui, sentant monter en lui le feu morbide, s’en éloigne dans l’espoir de trouver guidance dans le feu purifié de Dieu. Et en effet, arrivé devant le feu, Moïse entend Dieu lui dire d’ôter ses sandales, car il se trouve dans un val sacré. La part d’énergie mal orientée qui se trouvait en lui, Dieu va la retourner en lui donnant mission de lutter contre le mal – incarné dans le texte par leur ennemi commun, Pharaon.

Toutes les allées et venues de la sourate sont des occasions de retournement, de conversion : ainsi qu’il en est de la main de Moïse blanchie comme par la lèpre mais indemne, de son bâton changé en serpent mais redevenant bâton, revenant à son état primitif. Occasions de remise et reprise de l’être dans le droit et bon chemin, celui où dans chacune de nos prières, répétant Al-Fatiha, nous demandons inlassablement à Dieu de nous conduire. Pour notre béatitude (ainsi que j’ai interprété les lettres Ta-Ha), ainsi qu’en renouvelle constamment la promesse le Coran, parallèlement à ses avertissements contre le mal. En quelque sorte, il s’agit de convertir la tentation du mauvais feu en mise en chemin à la bonne lumière. « Que celui qui n´y croit pas et qui suit sa propre passion ne t´en détourne pas. Sinon tu périras », est-il dit au verset 16, faisant suite à l’annonce de l’Heure, qui va arriver. « Je la cache presque », dit Dieu, tout à la fois donnant un sentiment d’imminence, comme d’un rideau sur le point de s’ouvrir, et préservant la liberté de l’homme, sa responsabilité quant au fait de bien ou mal se diriger. C’est ainsi que nous verrons Pharaon, dédaignant les signes de Dieu produits par l’intermédiaire de Moïse, sombrer avec son armée. (Et la position de Moïse par rapport à Pharaon, avec toutes ses difficultés, est aussi celle du Prophète par rapport aux forces traditionnelles qui s’opposent au message qu’il lui faut leur délivrer).

Moïse s’est approché de ce feu vu de loin, il a écouté le message qui pouvait en être délivré, c’est pourquoi il est sauvé et peut sauver son peuple. Si le Coran ne cesse d’avertir les hommes contre l’enfer qui les menace, c’est qu’il leur faut, pour en être délivrés, accepter de regarder la vérité en face, toute la vérité. La réalité lumineuse, et la réalité sombre. S’entêter comme Pharaon à ne pas vouloir reconnaître le mal, ou dévier du bien comme plus loin dans la sourate le Samaritain et son idolâtrie pour un veau d’or (v.85 et suivants) , ou comme plus loin encore écouter comme Adam la parole faussée d’un serpent, c’est s’aveugler sur ce à quoi on se destine. Pourquoi m’as-tu refait aveugle ? demande à Dieu Adam (v. 125) après qu’il a obéi au satan, sa mauvaise pulsion, et mangé de l’arbre interdit. C’est que, précisément, il a négligé la parole d’avertissement, il n’a pas voulu voir le mal où il était.

Or ne pas vouloir voir le mal, refuser de le porter à la lumière, c’est se priver de la possibilité d’en être libéré. Dieu est le miséricordieux, il soulage de sa culpabilité celui qui admet la vérité, et par cet acte qui est repentance, permet que tout à la fois le mal et la culpabilité qu’il engendre soient détruits. Aux aveugles que nous sommes, le Coran expose sans cesse et vigoureusement le mal dans sa monstruosité, qui est aussi l’énormité de la culpabilité qui nous plombe et à son tour engendre de nouveau le mal, si nous n’en sortons pas pour aller vers la lumière qui purifie.

La lumière de Dieu, nous dit la sourate An-Nûr, « est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient d´un arbre béni: un olivier ni oriental ni occidental dont l´huile semble éclairer sans même que le feu la touche. » Nous voici revenus au buisson ardent. À l’arbre béni, contre l’arbre maudit dont mangèrent Adam et Ève. Nous voici revenus au centre de la question. Je vois au loin le feu-lumière de la Kaaba, vêtu de son voile sombre. Je vois les pèlerins faire le chemin vers elle, le chemin du pardon, vers cette étrange maison vide. Je revois en regard les compagnons du Messie faire le chemin vers le tombeau vide, un matin à l’aube, le rocher creux qui n’abrite plus la mort mais fait signe de résurrection. Je me rappelle que le Prophète a dit que c’est vers là-bas, Jérusalem, qu’à la fin des temps nous tournerons notre regard, notre prière. Où le Jardin des oliviers, qu’en ce moment on déracine, reprendra vie et donnera l’huile d’où brillera, dévoilée, la lumière éternelle.

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