Coronavirus : la déshumanité en marche (empêtrée)

Toute une classe sociale, et dans celle-ci plus particulièrement une classe d’âge – disons les bourgeois boomers, appelons-les les bourboomers – manifeste des signes d’impatience de reprendre et reconstruire le monde tel qu’il était avant que la pandémie ne l’interrompe. Sans doute leur esprit est-il doublement figé, par leur attachement à leurs privilèges et par leur vieillissement. Mais c’est aussi leur habitude de piétiner « ceux qui ne sont rien » qui s’irrite de les voir mis au premier plan par la crise : travailleurs modestes et majorité de femmes – soignantes, caissières… mais aussi cheffes de gouvernement, qui ont beaucoup, beaucoup mieux géré la crise que nombre de leurs homologues masculins dans le monde, comme le montre un article de Forbes mentionnant Angela Merkel en Allemagne, Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande, Katrín Jakobsdóttir en Islande, Erna Solberg en Norvège, Tsai Ing-wen à Taiwan, Sanna Marin en Finlande, Mette Frederiksen au Danemark.

L’habitude aussi de ces bourboomers de vivre dans le déni leur a fait et continue à leur faire minimiser le danger du virus : Trump, Johnson ou Macron (vieux dans sa tête) en sont des exemples éclatants, comparables à ceux d’intégristes de diverses religions que le coronavirus a tués après qu’ils ont ouvertement méprisé les mesures de sécurité. Au lieu de réagir de façon responsable et efficace, comme les femmes d’État précédemment mentionnées, ils ont attendu d’être acculés aux pires solutions, confinement général sans discernement et répression policière, tout en continuant à se révéler incapables de protéger les populations en fournissant tests, masques, mesures de mise en quarantaine dans des structures dédiées pour les contaminés, moyens pour les hôpitaux et les personnels de santé. Ainsi ces bourboomers se révèlent-ils compères de la mort, selon une logique nihiliste que j’évoquais dans ma thèse de doctorat comme « créateurs d’exclusion » et « grands serviteurs de l’argent », au chapitre du « Grand Renfermement ». En voici des passages :

thèseQue devient un peuple méprisé ? Les fous y deviennent si nombreux qu’ils ne sont plus enfermables, même si le système pénitentiaire s’est extraordinairement développé dans le monde moderne. La folie change de visage selon les époques, elle crée aujourd’hui des tueurs en série, des terroristes, des désespérés politiques. Et du côté des créateurs d’exclusion, la froide mécanique assassine des grands serviteurs de l’argent.

En 1725, l’architecte Germain Boffrand fut chargé de concevoir un puits pour approvisionner Bicêtre en eau. Foucault dit qu’il s’avéra très vite inutile, mais qu’on continua à le construire, trois ans durant, pour faire travailler les prisonniers. Creusé en 1733, le « grand puits » descend à 58 mètres de profondeur et mesure 5 mètres de large. Deux immenses seaux contenant chacun 270 litres étaient remontés par la force de douze chevaux. À partir de 1781, les chevaux sont remplacés par 72 prisonniers, qui se relaient de cinq heures du matin à huit heures du soir. En 1836, les prisonniers sont remplacés par des fous. Et en 1856, les fous cèdent la place à une machine à vapeur.

De quoi s’agit-il en vérité ? D’évider l’homme de l’homme. De la déshumanisation de l’homme par l’homme. « Nous creusons la fosse de Babel », écrivit Franz Kafka le 12 juin 1923. C’est la dernière page de son Journal. Les phrases immédiatement précédentes étaient :

Qu’est-ce que tu construis ? – Je veux creuser un souterrain. Il faut qu’un progrès ait lieu. Mon poste est trop élevé là-haut.

Il mourut avant de connaître le « progrès » de l’horreur qu’il constatait en marche, mais sa sœur Ottla n’est jamais revenue d’Auschwitz, où elle s’était portée volontaire pour accompagner un convoi d’enfants. Tel est le nulle part où entraînent les chemins de l’homme séparé, désincarné, déconscientisé, quand l’homme moderne se rêve transhumain, surhumain, alors qu’il ne se fait que déshumain.

Il y a quelque chose qui ne peut pas se dire, c’est la mort. Qui pourrait témoigner de la mort, sinon un mort ? Or comment un mort pourrait-il témoigner ? Il ne le peut pas. Ce qui ne peut pas se dire, il faut pourtant le dire. Dire qu’on ne peut pas le dire, d’abord. Et disant cela, l’identifier. Et l’identifiant, commencer à pouvoir le dire. Car seuls les morts enterrent les morts. Les vivants les arrachent à la mort. Le dernier ennemi vaincu c’est la mort, vaincue par la parole.

Dans Ce qui reste d’Auschwitz Giorgio Agamben expose, en convoquant plusieurs auteurs, que l’exception permet de mieux connaître la règle, et qu’une situation d’exception, comme celle du camp de concentration, permet de distinguer ce qui est humain et ce qui est inhumain.
(…)
Et voici que la mort, une fois débusquée là où elle est vraiment, dans la déshumanité des destructeurs d’âmes plus que dans celle de leurs victimes, peut tout à fait se dire, même si le monde interdit un tel témoignage, même si le monde est incapable de supporter un tel témoignage et n’a de cesse de vouloir l’effacer, d’une manière ou d’une autre – y compris en effaçant le témoin. Mais ce n’est pas possible.

Poursuivant son chemin, Agamben note que la situation extrême, en fin de compte, ne fait pas que définir la limite entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas. Elle la dépasse. Parce que l’homme qui ne s’y fait pas se met à errer, encore vivant, dans la mort ; et parce que celui qui s’y fait, précisément, s’y habitue, renversant la situation extrême en situation ordinaire. Et il cite Karl Barth :

D’après ce que l’on observe aujourd’hui, écrivait-il en 1948, on peut dire avec certitude que, même au lendemain du Jugement dernier, si c’était possible, chaque bar ou dancing, chaque bal musette, chaque maison d’édition avide d’abonnements et de publicité, chaque groupuscule fanatique, chaque cercle mondain, chaque cénacle pieux rassemblé autour de l’inévitable tasse de thé et chaque synode chercherait à se reconstituer le mieux possible et à reprendre normalement ses activités, sans en être autrement affecté, comme si de rien n’était. 
*

« Comme si de rien n’était ». C’est exactement ce que beaucoup voudraient faire aujourd’hui. Or rien ne sert de faire « comme si »: rien n’est pas, en vérité. « Ceux qui ne sont rien » ne sont pas rien. Et ne valent guère mieux que rien ceux qui veulent perpétuer un ordre du monde inique quoi qu’il en coûte en vies humaines.

Petit poème de la vie d’avant, d’après et de maintenant. Et grand film du jour

Mon vélo est dans la cour
Inutile d’y courir vite, courir vite
Mon vélo ne bouge pas
Mon vélo contre celui de mon homme
et en face de celui d’un de nos fils.
Lourde chaîne, lourds antivols
Ils sont attachés depuis plus d’un mois
et personne pour les monter, les faire voler à travers ville
Joyeusement, comme avant.
Il n’y a plus d’avant
L’avant s’en est allé
Notre-Dame a brûlé
Les manifs ont brûlé
Les cafés ont fermé
Comme les bureaux où on travaillait.
La vie a fermé.
Les gens sont rares sur les trottoirs
On dirait qu’on porte des aimants inversés
On s’écarte en se croisant
On rase cent invisibles murs pour s’éviter
On se tait.
Beaucoup de gens meurent dans la pandémie
et beaucoup travaillent au risque de leur vie.
Je n’ai plus de parents
Pas de regrets.
Mais que mes enfants soient loin ou près
nous sommes enfermés chacun de notre côté.
Cela, ça passera. On se reverra.
Et ils seront toujours ce qu’ils sont pour moi.
Je reverrai les tables où je travaillais.
Je reverrai les rues, les jardins où je marchais.
Je reverrai la vie, mon vélo, en bas, me le dit.
La vie d’avant s’en va, ainsi va la vie.
Et parfois ça pince le cœur, et parfois ça vaut mieux.
La vie après, comme avant, je l’aimerai.
Maintenant j’écris un poème :
la preuve que la vie est toujours belle.

Et voici pour ce jour le fantastique film d’Ariane Mnouchkine sur la vie de Molière.

Ah tu verras, tu verras… On connaît la chanson. Et cinéma du jour

Il nous faudra donc attendre encore un mois pour avoir quelques tests et quelques masques – un masque par personne, un test pour les malades, voilà tout ce qui est annoncé. Rien sur les tests sérologiques, rien sur l’ouverture d’hôtels pour l’isolation des contaminés pas ou peu symptomatiques, etc. Et d’ici là nous sommes livrés au virus sans protection, sans les élémentaires protections que tant de pays, dont de bien moins riches que le nôtre, fournissent à leur population. Depuis 2017 la société française vit un cauchemar qui vraisemblablement ne pourra pas prendre fin tant que Macron sera là, à faire n’importe quoi, à faire tourner en bourrique la population avec ses incohérences, sa perversion narcissique, et avec son inertie ahurissante maintenant face à la pandémie.

couv_cnrIl a hier soir fait allusion, sans le dire, aux « jours heureux », le programme du CNR, qu’il détruit systématiquement (cette façon d’introduire toujours dans ses discours des plagiats, signant la fabrication, la volonté de manipulation). Comment pourrait-on lui accorder crédit quand il semble songer à y revenir, alors qu’il n’évoque jamais la part des riches, de la finance ? Au printemps 2017, lors de l’élection présidentielle, ce blog ayant été en panne quelques jours, j’en avais fondé un autre que j’avais intitulé Magazine des jours heureux, par référence aussi au Conseil National de la Résistance et pour avertir du désastre auquel on pouvait s’attendre avec Macron.

Et début décembre 2018, ici, je présentais ainsi le documentaire que je repropose en cinéma du jour, Les jours heureux :  « L’histoire du Conseil National de la Résistance et de l’élaboration de son programme pour une société meilleure reste à méditer, en ces temps d’éloge présidentiel à Pétain, d’achèvement de la destruction de la République – la chose publique – et de mouvements de résistance et de révoltes qui se succèdent depuis le début du XXIe siècle sous des formes diverses, dans un long et souvent douloureux accouchement, qui finira logiquement par une nouvelle mise au monde. »

Pandémie, confinement et cinéma du jour

un commentaire dans "Le Monde" ce matin

un commentaire dans « Le Monde » ce matin

Emmanuel Macron veut nous faire ce soir un discours Keep calm and carry on. Nous n’avons pas besoin de discours, nous avons besoin de MASQUES, de TESTS, d’isolement des contaminés ailleurs que dans leur famille, d’utilisation des cliniques privées pour accueillir ceux des malades qu’on laisse actuellement mourir sans secours dans leur Ehpad ou chez eux faute de place à l’hôpital ; nous avons besoin, grâce à une prise en charge efficace de la pandémie, de pouvoir sortir le plus vite et le plus intelligemment possible du confinement général.

Pour faire suite à mes précédentes notes, voici un passage d’une conférence que j’ai donnée en 2001 à l’Université de tous les savoirs (publiée en volume collectif aux éditions Odile Jacob) :

Depuis le néolithique, il y a douze mille ans, époque à laquelle les hommes ont commencé à organiser leur société de façon rationnelle, avec l’invention de l’agriculture, la domestication des animaux et une spécialisation accrue des tâches, notre aventure s’est sans doute mise à ressembler, dans beaucoup de groupes humains, davantage à une iliade qu’à une odyssée – encore que dans certaines cultures, comme celle des aborigènes d’Australie, l’épopée collective qui a perduré jusqu’au XXe siècle, guidée par les fameux chemins du rêve décrits notamment par Bruce Chatwin, rappelle singulièrement le voyage enchanté d’Ulysse, empreint de références cultuelles très anciennes (l’image des aborigènes est aujourd’hui particulièrement vendeuse : elle a largement été exploité lors des J.O. de Sydney).

Avec la révolution industrielle, dès le XVIIIe siècle le phénomène d’ « iliadisation » du monde s’est considérablement accentué et accéléré. On pourrait dire que l’Odyssée, c’est la Préhistoire, alors que l’Iliade, c’est l’Histoire en marche, avec sa succession de guerres et de conquêtes en tous genres – notamment dans la notion de progrès. Sommes-nous en train de passer dans la Post-histoire ? (…)

Aujourd’hui nous sommes entrés dans l’ère de l’information et de la communication, un phénomène qui, on le sait, est destiné à se développer et à poursuivre son extension jusqu’à achèvement de l’élaboration du réputé « village planétaire ».

Village ? Pas si sûr. Car si l’information doit permettre de relier tout individu à un autre, comme dans un village, le nombre extraordinaire de connexions possibles fait d’ores et déjà éclater ce soi-disant village en une multitude d’entités changeantes et variées. Le rêve du village, déjà en soi régressif, se trouvera vite largement dépassé. L’information nous ramènera bien plus loin en arrière qu’au village, elle nous renverra dans la jungle.

Dépassé par la technologie, rendu impuissant physiquement, l’être humain se déplacera dans l’espace virtuel avec une humilité, un émerveillement et des terreurs sans doute assez semblables à ceux de l’homme du paléolithique dans son environnement naturel.

*
Et voici le film (fiction) du jour, Chamane, une merveille de déconfinement signée Bartabas :

Résurrection de la nature, de la préhistoire : cinéma du jour

On a beau savoir aujourd'hui que Neandertal avait des capacités cognitives comparables aux nôtres, les fantasmes s'y accrochent toujours...

On a beau savoir aujourd’hui que Neandertal avait des capacités cognitives comparables aux nôtres, les fantasmes s’y accrochent toujours…

C’est un film de série B de 1953, un film à petit budget au charme étrange, aussi évocateur qu’une œuvre d’art brut. Voici, sous-titré en français, The Neanderthal Man, sorte de Dr Sapiens et Mr Neandertal (dans la vision horrifique d’alors), avec un savant qui se dit atteint d’un virus, une gentille muette transformée en femelle lubrique, un chasseur chassé, un laboratoire secret et des animaux dangereux.

Quelque chose en lui du coronavirus, il me semble…

Détail « piquant » : des chercheurs de l’université de Cambridge utilisent, pour suivre la propagation du coronavirus dans le monde, les méthodes jusque là utilisées pour suivre les migrations des hommes dans les temps préhistoriques.

Le film a été écrit et produit par Aubrey Wisberg et Jack Pollexfen.

Réflexions sur l’école et cinéma du jour

photo prise au Jardin des Plantes avant le confinement

photo prise au Jardin des Plantes avant le confinement

Une médecin de l’académie de Versailles, où je suis normalement affectée, me téléphonant hier pour une expertise médicale, m’a dit que les cours ne reprendraient pas d’ici la rentrée de septembre. La veille du confinement général, l’hôpital m’avait téléphoné pour annuler mes rendez-vous de suivi et m’avait dit que le confinement durerait sûrement 45 jours (et j’ignore, comme tant d’autres personnes qui y sont suivies, quand les consultations pourront reprendre à l’hôpital). Le traumatisme sanitaire, social, psychologique, économique de cette période laisse cependant quelques requins rêveurs, selon la déjà vieille stratégie du choc.

L’école, notamment, ce gros morceau, est déjà dans leur viseur. « On ne va pas privatiser les structures mais l’éducation. Le pilotage va passer au marché (…) C’est probablement l’offre qui va faire la loi. Les gens sont devenus des consommateurs », salive déjà un certain Alain Bouvier sur le site Le café pédagogique. « Et si la classe, évident lieu de socialisation, était aussi un obstacle aux apprentissages individuels ? », ajoute-t-il, voulant profiter de l’expérience d’école à distance mise en place pendant le confinement. Si la classe disparaît, « Cela suppose que les parents soient informés par chaque enseignant des raisons qui étayent ses choix pédagogiques ». Bref, ce monsieur rêve d’une école détruite et d’enseignants à la botte d’intérêts privés et des velléités des parents. On demande bien à la population ce qu’elle pense de telle molécule pour soigner un virus inconnu, pourquoi pas exiger aussi des professeurs, comme des médecins, qu’ils abdiquent leur expertise ?

Comme on sait, l’école en ligne aujourd’hui est un désastre pour beaucoup d’élèves, qui ne la suivent plus du tout, soit parce qu’ils n’ont pas le matériel nécessaire, soit parce que leurs conditions de vie les décourage de le faire. Poursuivre l’enseignement dans cet esprit serait permettre à une partie favorisée de la population d’accéder aux savoirs, et à une autre partie, celle des pauvres et des néopaupérisés d’après crise, de rester quasiment illettrée. La tiers-mondisation du pays à laquelle nous assistons face à la pandémie, devant laquelle nous nous révélons être parmi les pays les plus démunis (au Maroc par exemple, le port du masque est obligatoire, le pays en produit et en vend à tout petit prix dans les supermarchés et autres commerces), s’achèverait en tiers-mondisation culturelle. Le petit chef de la start-up nation et ses camarades trouvent sans doute judicieux de se diriger vers une école dématérialisée, déshumanisée.

Quand j’ai enseigné, il m’est arrivé d’utiliser de brèves séquences de cours en ligne pendant mes cours, mais c’était évidemment de façon guidée et pour faire noter aux élèves quelques points de savoir qui nous servaient ensuite de base d’approfondissement et de réflexion. Il est faux de croire que tout cela pourrait se faire uniquement en ligne. Rien ne peut remplacer, dans l’enseignement comme dans l’amour, un rapport réel entre les partenaires. Professeurs et élèves sont partenaires dans le complexe et difficile rapport d’enseignement, et je mets bien élèves au pluriel, car ce n’est pas seulement entre un enseignant et un élève que l’enseignement se fait, mais aussi entre un enseignant et une classe.

La classe est un trésor. Au cours des cours, elle forme corps. Je n’oublie pas ce moment où, à la fin d’un atelier, les élèves me dirent : « maintenant, on est soudés ». La classe est un ensemble d’intelligences variées, qui viennent au secours les unes des autres. L’intelligence n’est pas seulement le fait des premiers de la classe, de ceux dont l’intelligence correspond à ce que l’école attend. Des élèves moyens ou mauvais (qui se croient malheureusement souvent idiots parce qu’on le leur a mis dans la tête) possèdent leur propre forme d’intelligence, puissante et admirable aussi. C’est cette circulation des intelligences (qui faisait mes classes souvent plus bruyantes que je ne l’aurais voulu, mais je préférais cela à des classes mortes) qui permet l’ouverture et le développement de toutes ces jeunes et fantastiques intelligences, si elles sont guidées dans ce sens.

Alors certes l’école actuelle a de grandes défaillances, dues à la politique menée en France, à la formation débilitante des enseignants et, souvent (du moins dans ma discipline, le français), des élèves. J’en ai déjà pas mal parlé ici, au cours de mon expérience. Mais il serait criminel de répéter sur elle le crime commis en ce moment sur tant de personnes âgées qu’on laisse mourir sans soins, faute de moyens. Ce qu’il faut ce n’est pas la tuer, c’est la soigner et la relever. Il en va de tout l’avenir du pays.

Et je vous laisse méditer le film que je vous propose aujourd’hui, La Chute de la maison Usher de Jean Epstein, d’après la nouvelle d’Edgar Poe que vous pouvez aussi lire gracieusement dans ma traduction ici.
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Réflexions et cinéma du jour

21298277Confinée, l’église invente une nouvelle transsubstantiation, ou plutôt une transsubstantiation à l’envers, ou plutôt encore une transsubstantiation sans substance, une non-transsubstantiation. Pour les fidèles plus de pain faisant office de corps du Christ ; mais voici les photos des fidèles sur les bancs, ou les fidèles derrière l’écran, faisant office de corps humains. Stade final d’un anéantissement ? dystopie ? Si Benoît XVI était toujours là et en bonne forme intellectuelle (j’ignore s’il l’est ou non), il aurait pu émettre une pensée là-dessus, peut-être. Je ne sais s’il y a dans l’église d’autres personnes capables de le faire.

Les trois-quarts des personnes atteintes du Covid et en réanimation sont des hommes. Et les trois-quarts d’entre eux sont en surpoids ou obèses. Près de 40 % des Américains sont obèses, 32 % en surpoids. Obésité et surpoids gagnent du terrain et deviennent la norme, notamment dans les classes populaires. Avec tous les problèmes de santé, directs ou indirects, que cela implique. On fait bien de lutter contre la grossophobie mais on ferait bien de ne pas normaliser cet état de fait handicapant à plus d’un titre. Le corps humain, comme la nature, est maltraité par notre société.

À Béziers, un jeune sans domicile fixe a été tué par la police municipale parce qu’il ne respectait pas le couvre-feu. En Haute-Savoie et ailleurs en ce moment, les propriétaires de résidences secondaires chics ne risquent pas ce genre de problème avec la police quand ils viennent y passer leurs vacances, ne respectant pas le confinement. En fait on les laisse couler de doux jours contre la loi. Le vieux monde.

On fait souvent référence au général De Gaulle pour juger de tel ou tel acte de telle ou telle personnalité politique. « Imagine-t-on le général De Gaulle faisant tel ou tel acte indigne ? » Souvent, en voyant Macron s’affairer à sa com (dernier exemple en date, hier à Marseille) au lieu de poser des actes politiques réels, je me dis tout simplement : imagine-t-on Angela Merkel s’agiter ainsi pour occuper les caméras, déformer discours et vérité afin de masquer une inefficacité ? Non, et le coronavirus produit en Allemagne beaucoup moins de cadavres qu’en France. Nul doute cependant que lundi prochain Macron va essayer de se poser en remède politique miracle.

En lisant l’injure de Sylvain Tesson aux Gilets jaunes, dont je parlais hier, j’ai pensé à l’excellent film de Roger Corman, The Intruder, que l’on peut voir jusqu’au 16 mai en replay et en français sur Arte. Tesson m’a rappelé, comme tant d’autres, le personnage du film, petit Blanc inconsistant qui veut se faire mousser et avoir du pouvoir en jetant l’anathème sur les Noirs. En pleine pandémie, voilà donc le genre de réflexe de classe qui turlupine les privilégiés : ce bouleversement ne va-t-il pas les démasquer, les faire tomber de leur trône ? Voilà qui leur fait encore plus peur que la maladie. Et voilà une porte qui s’entrouvre pour l’humanité.

Le film en version originale :