L’islam en France

Un fort courant réactionnaire en ce moment plaide pour la constitution d’une sorte de clergé dans l’islam en France, afin qu’il soit porteur d’un discours unifié, et structuré un peu à la façon dont l’est le catholicisme. En musulmane, je suis absolument opposée à cette idée, à ce désir de mainmise et de centralisation. Certes il existe actuellement une mainmise de certains pays ou de certains courants de l’islam sur certains imams, mais ce n’est pas une raison pour la remplacer par une autre mainmise. Ce qu’il faut, c’est s’employer à éliminer toute mainmise. Et pour cela, laisser se déployer la pensée islamique à la fois originelle et actuelle, vivante. C’est aux croyants de choisir leurs imams, ils ont la liberté de les choisir ou de les démettre, de les remplacer. Tout est souple en islam – contrairement à ce qu’on croit trop souvent. Souplesse, diversité dans la vérité et liberté, voilà où est l’avenir. Le reste tombera. Là où ont été élevés des obstacles entre l’homme et la Lumière, les faire tomber. Surtout ne pas couper les hommes de leur rapport direct à la Lumière. C’est la seule voie viable.

*

Le mouvement de la vie

moulinnotredame1180hortusdeliciarum

Hortus deliciarum, « Jardin des délices » de la fin du XIIème siècle. Légende en latin : « Deux forces, l’une prend avec elle, l’autre reverse » (Le verbe latin pour « prendre avec elle » nous a donné les mots assumer et assomption). Par l’esprit et l’action l’homme fait tourner la roue de la vie, « les plus puissants finissent par tomber » et la vie, telle l’eau, va de l’avant.

b82b7c265b98c9218dbe4be04dd08e80

Une derviche tourneuse de l’ordre fondé au XIIIème siècle par Rûmî  : une paume tendue vers le ciel pour recevoir la grâce, l’autre tournée vers la terre pour l’y reverser.

*

Introduction à la vie non fasciste, de Michel Foucault :

« Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de vie quotidienne :

libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ;

affranchissez-vous des vieilles catégories du négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité.
Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ;

n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire ;

n’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique ;

n’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse des « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis, l’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est désindividualiser par la multiplication et le déplacement les divers agencements. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation » ;

ne tombez pas amoureux du pouvoir. »

*

voir aussi : Héraclite

Et continuons à suivre ce qui se passe en Grèce, où le combat se livre contre la corruption à l’intérieur du pays comme, à l’extérieur, face à l’Europe, contre les abus de la banque et de ses soumis, nos élites.

*

La drachme retrouvée, une utopie ?

la manne,

La manne, aquarelle, pastel gras,gouache, feutre, encre sur carte 17×23 cm

*

Les Grecs ont inventé la monnaie (en Ionie, alors monde grec, chez les premiers penseurs présocratiques – les physiologues) au septième ou sixième siècle avant Jésus-Christ. La drachme qui était, jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par l’euro, la plus ancienne monnaie toujours en cours, a donné son nom au dirham. Elle est mentionnée dans les Évangiles (parabole de la drachme perdue, Luc 15-8), et dans le Coran (vente de Joseph à vil prix par ses frères, 12-20). Le dirham a pu servir de monnaie en Europe entre le Xe et le XIIe siècles. Si des Grecs, ou d’autres, faisaient revivre la drachme comme monnaie venue du peuple et plus vertueuse, ce serait beau, non ?

« Quelle femme ayant dix drachmes ne désirerait, si elle en perdait une, allumer une lampe, balayer la maison et chercher avec soin, jusqu’à ce qu’elle trouve ? Et quand elle a trouvé, elle appelle ensemble ses amies et ses voisins et leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé la drachme qui était perdue’. Ainsi, je vous le dis, vient la grâce face aux anges de Dieu quand un égaré réfléchit et change de voie. » Jésus dans l’évangile de Luc 15, 8-10 (ma traduction).

Ce qui serait vivant, ce serait que toute l’Europe change sa monnaie pour adopter la drachme, monnaie qui fut inchangée pendant des millénaires. Si elle pouvait le faire par désir d’être un espace de joie commune, et  par sens du beau, du temps, de la lumière. (Je parle ici selon l’optatif, comme dans les versets ci-dessus, au mode de l’option, du désir, de la projection).

« Les cadeaux de Dieu ne sont pas toujours faciles », disait à Christian de Chergé son ami Mohammed, qui concevait le jeûne de Ramadan comme un don du ciel. La drachme perdue de la parabole c’est aussi, dans un système de pensée, l’élément qui manque. Ce qui manque au monde n’est pas l’austérité, mais la grâce d’une lampe allumée, d’une maison balayée et d’une pièce retrouvée comme on trouverait une pièce d’habitation oubliée, une nouvelle pièce claire et dépouillée, où habiter en joie.

*

Le Poème de Parménide (fragments 9 à 16, ma traduction) Articuler sa pensée

Je terminerai ainsi ma traduction, du grec ancien, de ce fameux Poème.

 

9

Mais puisque toute chose a été nommée lumière et nuit,

et ce, d’après sa puissance en ceci ou en cela,

tout est à la fois plein de lumière et de nuit sans lumière,

l’une et l’autre égales puisque avec ni l’une ni l’autre il n’est rien.
10

Tu verras l’éther et la nature, et dans l’éther tous

les signes, et le pur et saint flambeau

du soleil à l’action invisible, et d’où ils proviennent ;

tu apprendras les périples de la lune circulaire

et sa nature, tu verras aussi le ciel qui entoure tout,

d’où il est né, et comment la Nécessité qui le conduit l’a obligé

à servir de terme aux astres.
11

Comment la terre, le soleil et la lune,

l’éther commun, la Voie Lactée, l’Olympe

ultime et l’âme ardente des astres, se sont élancés

dans le devenir.
12

Les lieux les plus étroits sont pleins d’un feu sans mélange,

les suivants sont pleins de nuit, puis vient le tour de la flamme.

Au milieu d’eux est la divinité qui tout gouverne.

Car elle préside au terrible enfantement et au coït,

envoyant la femelle se mêler au mâle et réciproquement,

le mâle à la femelle.
13

Oui, le tout premier de tous les dieux qu’elle médita, ce fut Éros.

 

14

Brillante dans la nuit, autour de la terre errante, lumière d’ailleurs.
15

Toujours jetant ses regards vers la lumière du jour.
15a

Dire la terre enracinée dans l’eau.
16

Comme chacun conduit le mélange de ses articulations si mobiles,

ainsi l’esprit se présente en l’homme. Car ce qui pense

en l’homme est de la nature de ses articulations,

pour tous et pour tout ; et l’entier est la pensée.

 

*