Pâques, la Compassion du Christ

En joignant le geste de l’eucharistie (rendre grâce à Dieu) à celui de la communion (nourrir les hommes de son être pour leur montrer que Dieu est uni à eux et qu’il les unit en Lui), Jésus lors de la Cène fait signe que sa Passion est en vérité une Compassion. Il ne souffre pas seul pour tous, il souffre avec tous ceux qui souffrent. Et c’est pourquoi il souffre plus que ne peut souffrir un homme, et c’est pourquoi il en meurt, et c’est pourquoi aussi il en ressuscite. Il ressuscite parce qu’il n’a pas souffert seul, il a souffert pour tous, les vivants et les morts. Sa mort n’est pas en lui seul, elle est aussi en tous les morts et en tous les vivants, qu’il ne peut pas abandonner à la mort. Quand il demande de manger, via le pain et le vin, son corps et son sang, en mémoire de lui, cela signifie : nous coressusciterons. En mangeant ce morceau de pain devenu son corps et en buvant ce vin devenu son sang, nous le prenons en nous corps et âme, parce que c’est notre propre corps, notre sang, notre chair, nos os, qui donnent corps à son âme. Et quand nous donnons corps à son âme, elle emporte notre corps dans son éternité. Et le temps des vivants et des morts devient une éternité prise en commun, en communion, une coéternité avec toute l’humanité, transportée en Dieu, l’Éternel.

Une preuve de cela est donnée dès le lendemain, au Golgotha. Jésus n’est pas le seul à être crucifié. Deux autres hommes souffrent aussi sur une croix. Sans doute, contrairement au Christ, chacun des deux souffre-t-il pour lui-même. Mais l’un d’eux va sortir de lui-même pour entrer en compassion avec Jésus, et aussitôt Jésus lui annonce que le jour même, il sera au paradis avec lui. La compassion transporte les mortels dans une autre dimension.

L’Ordre invisible est en marche

Après la publication de mon livre sur Lourdes, la première personne de l’Église que j’ai rencontrée, sur sa demande, fut un laïc chargé d’importantes responsabilités dans les Sanctuaires de la ville pyrénéenne. Et la première chose qu’il m’a racontée fut qu’il avait aidé une prostituée à sortir de son état, et qu’elle était finalement devenue nonne. Ceci pour faire le parallèle avec ma situation. Je lui ai fait remarquer que je n’étais pas une prostituée. Que l’écrivain travaillait dans le sens de la libération des hommes, et non dans celui de leur asservissement.

Puis je fus invitée à participer à un débat dans les Sanctuaires, organisé par le magazine catholique Pèlerin. Le rédacteur en chef du magazine, en me présentant au public, dit : « Avec l’argent de votre premier roman, vous l’avouez, vous avez acheté une grange en montagne, près d’ici ». Comme si j’avais commis là quelque péché.

Je me pliai à des séances de signatures à la librairie des Sanctuaires. Je le faisais avec joie, mais une journaliste d’un grand quotidien national en reportage pour le cent cinquantième anniversaire des Apparitions me demanda ce que faisait là un auteur de mon niveau. Elle ne pensait pas du tout au caractère érotique d’une grande partie de mon œuvre, mais au fait que ma stature impliquait que je me livrais là à un abaissement.

Pendant plus d’une année, je continuai à aller à la rencontre du peuple catholique en me déplaçant un peu partout en France dans des librairies ou autres lieux où je pouvais prendre la parole et échanger avec les gens. Je constatai que beaucoup affrontaient des problèmes personnels et familiaux énormes (touchant notamment leurs enfants), qu’ils me confiaient. Alors que d’autres, ceux qui avaient l’air les plus atteints et les plus rigides, ne me confiaient rien mais me disaient que j’étais une Marie Madeleine. Ce qui selon eux signifiait : une prostituée sauvée par le Christ. (Notons que les Évangiles ne disent jamais que Marie de Magdala était une prostituée, mais c’est quelque chose qui les tient).

Plus tard, une journaliste du magazine Famille chrétienne vint me voir à Barèges, où j’étais en ermitage dans ma grange. Je l’invitai à déjeuner et j’essayai de lui expliquer ma démarche et ma pensée, bien qu’elle fût beaucoup sur la défensive, avec une certaine rigidité que j’avais déjà rencontrée chez une autre journaliste d’un autre magazine chrétien, La Vie, qui m’avait interviewée au début. Comme cela avait été le cas avec cette dernière, je m’attendais bien à un article mitigé, méfiant. Mais je n’avais pas imaginé qu’elle irait jusqu’à falsifier mes propos, me faisant dire de moi-même que j’étais une pécheresse. Bien évidemment j’ai toujours pris soin de récuser ce terme. Non que je prétende ne pas être comme le commun des mortels. Mais je refusais absolument d’être cette icône de la prostituée repentante qu’ils voulaient faire de moi. Je le refusais par respect de ma propre dignité, qu’ils bafouaient sans gêne, mais aussi et surtout pour eux, pour leur faire prendre conscience de la mauvaiseté de leurs schémas et de leur aveuglement.

Toute l’histoire du rapport de l’Église à mon égard est fondée sur cette obsession de la pécheresse qui habite leur tête malade. Je suis une femme libre qui ne s’est jamais fait entretenir par personne, qui a toujours refusé les rapports d’intérêts avec les gens, et notamment avec les hommes, qui sais vivre avec ou sans argent, qui n’est inféodée ni à des institutions ni à des systèmes de pensée. J’ai mis au monde et élevé quatre enfants, tous épanouis. Voyant la misère de beaucoup de ces catholiques qui se confiaient à moi, j’ai voulu les aider à en sortir, car c’est tout simplement ma fonction d’écrivain – et ma liberté, je la dois aussi aux écrivains purs que j’ai lus. Mais beaucoup dans l’Église n’avaient en tête que leur obsession de la pécheresse, qu’ils prétendaient rééduquer – alors que bien sûr ils ne trahissaient ainsi que leur propre asservissement.

C’est en grande partie pourquoi je ne pus jamais les faire sortir du système de rapports souterrains et pour le moins malhonnête, et même abusif, qu’ils avaient établi, fût-il établi à la vue de beaucoup. Jusqu’au bout il leur a fallu surveiller indûment, biaiser, mentir, m’envoyer des émissaires sans dire qu’ils étaient des émissaires, des porteurs de message sans me dire qu’ils ne me parlaient pas en leur nom propre, m’approcher par la trahison, ne jamais assumer en haut lieu ce qui était fait. Ils se seraient fait prendre la vie, ils auraient laissé couler l’Église plutôt que d’accepter un rapport honnête et franc, un rapport d’homme à homme, d’égal à égal. Tout cela bien sûr en contradiction absolue avec le message du Christ.

J’ai tout sacrifié pendant des années pour les sortir de là. J’ai perdu mes moyens de subsistance – la capacité à publier dans l’édition et dans la presse – et ils comptaient aussi là-dessus pour me plier à leur façon de faire. J’ai dû vendre mon seul bien, ma grange en montagne. Et maintenant le petit revenu que j’en ai tiré est épuisé, et je reprends ma vie sans eux. Honnête et franche. Car on ne fait rien pour le salut du monde par des moyens malhonnêtes. Et un seul homme qui tout simplement vit honnêtement fait plus que toute une église vivant d’un discours séduisant mais malhonnête. Je suis l’un de ces Pèlerins prophétisés dans Voyage parce que comme d’autres je l’ai toujours été, et nous continuons, Ordre pour l’instant invisible, à œuvrer. 

Cruauté, indignité du Saint-Siège et responsabilité des fidèles

Les quatre cents prêtres que Benoît XVI a défroqués pour abus sexuels sur enfants lors de la dernière année de son pontificat, ont-ils assumé leurs actes devant la justice, ou simplement été relâchés dans la nature, où ils n’ont plus qu’à réitérer leurs crimes ?

Le pape François multiplie encore les belles paroles, certes plus faciles à multiplier que le pain, qui est concret. Le Saint-Siège fait savoir que nul plus que le pape François n’a d’amour pour les enfants et la famille. Mais qu’est-ce donc qui est plus fort que son amour des enfants et de la famille, et qui l’empêche de répondre aux associations qui demandent que l’Église ouvre ses archives pour que les trois cent mille femmes à qui elle a volé ou contribué à voler leur bébé, en Espagne, puissent retrouver leurs enfants qui les cherchent et qu’elles cherchent ? Qu’est-ce donc qui le fait non-agir avec une telle cruauté ? La peur du scandale, encore ? La peur de voir surgir des demandes de justice, voire d’indemnisations, comme dans le cas des abus sexuels qui leur ont coûté « tant d’argent » comme il l’a dit l’autre jour ?

Est-ce donc tout cela, toutes ces choses méprisables, qui sont plus fortes que son amour des enfants et de la famille ? Il avait eu de belles paroles aussi, il y a quelques mois, sur le fait que saint Pierre n’avait pas de banque. Tant de belles paroles et d’apparences pour faire en sorte que selon la formule du Guépard que paraît-il il affectionne, « tout change pour que rien ne change ». Que les apparences changent afin qu’en fait rien ne change. Il fustige la banque mais l’IOR, la très corrompue banque du Vatican, est toujours en place. Et apparemment il est plus important de protéger ses fonds que de faire son devoir envers les mères et les enfants qu’on a scandaleusement séparés.

Dimanche certains chrétiens participeront à la Marche pour la vie. J’attends que d’autres organisent une marche de solidarité avec toutes les victimes de ces drames sans nom dont leur église s’est rendue coupable et qu’elle refuse de réparer. Car il s’agit bien de la vie, de vies qui ont été détruites, niées. De vies d’êtres qui sont encore vivants, et sur lesquels Dieu exige que nous ne fermions pas les yeux.

Pauvres enfants

Dans un livre d’entretien avec Philip Roth, Le livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera disait que la métaphysique de la vie privée d’une personne dévoilait celle de sa vie politique (je l’ai déjà cité quelque part mais je n’ai plus le livre, je cite de mémoire).

J’ai repensé à cette phrase en lisant que la compagne officielle de F. Hollande aujourd’hui n’avait pas donné signe de vie, pas même à son fils de seize ans qui jusque là pouvait venir la voir tous les jours, à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

J’y pense aussi en relisant que l’Église refuse de répondre à l’ONU sur les crimes pédophiles chez les Légionnaires du Christ, ainsi que dans l’affaire du vol de trois cent mille bébés en Espagne sous la dictature franquiste et jusqu’en 1990 – affaire dans laquelle elle reste muette face aux demandes des associations qui souhaitent qu’elle ouvre ses archives pour permettre les retrouvailles des enfants et des mères qui se cherchent. « Avons-nous honte ? », sermonne le pape. « Et aujourd’hui, que faites-vous ? », pouvons-nous lui demander. Peut-être les fidèles qui veulent une église respectueuse devraient-ils faire la grève de la messe. Et même le clergé. Et bien sûr les femmes, toutes celles qui servent de bonniches à ces messieurs dans l’institution et qui n’ont droit ni à la parole ni au vote.

Pauvres enfants.

« … que rien ne change »

Aux autorités polonaises qui souhaitaient enquêter sur un archevêque polonais accusé d’actes pédophiles alors qu’il était en poste en République Dominicaine, et que le pape François a fait revenir à Rome en septembre dernier, « le Vatican a affirmé qu’il n’extradait pas ses citoyens et que Jozef Wesolowski jouissait de l’immunité diplomatique. » (Associated Press)

Ni l’église espagnole ni le pape François ne daignent donner la moindre réponse aux demandes des associations qui tentent d’aider les victimes du vol de bébés (peut-être 300 000 bébés) pendant les années franquistes et jusqu’en 1990, avec la complicité active de l’Église. « Le Vatican a ignoré les demandes répétées d’aide aux victimes de l’Espagne, et ce qui est pire, le refus continu de la part de l’Eglise catholique, y compris face aux demandes des autorités judiciaires, de remettre des informations biologiques de mères et d’enfants qui désirent se retrouver », écrit leur avocat Enrique Vila Torres. Il dénonce « l’opposition claire manifeste, constante et déterminée des institutions ecclésiastiques espagnoles » de fournir des informations. Enrique Vila Torres affirme avoir écrit à cinq reprises entre décembre 2012 et novembre 2013 à la conférence épiscopale espagnole, l’archevêque de Valence, le secrétaire de l’État du Vatican, et directement au nouveau pape François. « Malheureusement, le silence absolu et l’indifférence ont été l’unique réponse ».(Article entier sur Fait Religieux.com).