Homère et Maïakovski

"Maïakovski", collage sur papier 31x41 cm

« Maïakovski », collage sur papier 31×41 cm

« Il y a dans la mer fortement agitée,
En face de l’Égypte, une île appelée Phare »

Homère, Odyssée, chant IV, v.354-355 (ma traduction)

Un jour, inch’Allah, j’apprendrai assez de russe pour pouvoir traduire le grand Maïakovski. En attendant le grand Homère (dont je suis en train de traduire toute l’Odyssée) fait très bien l’affaire. J’aime les poètes qui se coltinent l’univers, et j’aime me coltiner l’univers des poètes.

La grande syntaxe de l’être, avec Ptolémée

"Ways" Technique mixte sur papier 31x41 cm

« Ways »
Technique mixte sur papier 31×41 cm

« Je sais que moi je suis mortel, éphémère ; mais quand,
Des astres, je cherche le cours incessant, spiralant,
Mes pieds ne touchent plus terre mais c’est de l’ambroisie,
Nourri par Zeus lui-même, qu’alors je me rassasie. »

Ptolémée, Anthologie Palatine, IX.577 (ma traduction)

« Qu’on n’objecte pas à ces hypothèses, qu’elles sont trop difficiles à saisir, à cause de la complication des moyens que nous employons. Car quelle comparaison pourrait-on faire des choses célestes aux terrestres, et par quels exemples pourrait-on représenter des choses si différentes ? Et quel rapport peut-il y avoir entre la constance invariable et éternelle, et les changements continuels ? Ou quoi de plus différent des choses qui ne peuvent aucunement être altérées ni par elles-mêmes, ni par rien d’extérieur à elles, que celles qui sont sujettes à des variations qui proviennent de toutes sortes de causes ? Il faut, autant qu’on le peut, adopter les hypothèses les plus simples aux mouvements célestes ; mais si elles ne suffisent pas, il faut en choisir d’autres qui les expliquent mieux. Car si après avoir établi des suppositions, on en déduit aisément tous les phénomènes comme autant de conséquences, quelle raison aura-t-on de s’étonner d’une si grande complication dans les mouvements des corps célestes ? »

Ptolémée, Almageste (ou la Grande syntaxe), XII, 2, trad. Halma, 1813

L’auteur selon Peter Brook

"Théâtre" Technique mixte sur bois 45x30 cm Ces vers de Paul Valéry sont gravés au fronton du théâtre de Chaillot à Paris

« Théâtre »
Technique mixte sur bois 45×30 cm
Ces vers de Paul Valéry sont gravés au fronton du théâtre de Chaillot à Paris

Dans ces passages de L’Espace vide (livre important dont j’ai déjà donné d’autres extraits), Peter Brook parle de l’auteur de théâtre (et je me sens concernée, me considérant moi-même comme une auteure de théâtre même si mes textes n’ont pas l’apparence de textes de théâtre – en particulier mes textes de non-fiction, comme mes livres Voyage ou Une chasse spirituelle, pour l’instant hors circuit, dont la scène est l’espace mental de qui lit).
*
« En théorie, peu d’hommes ont autant de liberté qu’un auteur de théâtre. Il peut évoquer l’univers entier sur la scène. Mais (…) il est malheureusement rare que l’auteur de théâtre se donne la peine de relier le détail qu’il a choisi à une structure plus large.
(…)
Qu’un auteur explore la profondeur et les ombres de sa propre existence ou qu’il explore le monde extérieur, dans les deux cas, il croit son univers complet. Si Shakespeare n’avait pas existé, il serait tout à fait compréhensible que nous établissions une théorie selon laquelle les deux genres d’auteurs ne peuvent en aucun cas cohabiter. Il y a quatre cents ans, il était donc possible à un dramaturge de présenter dans une même situation conflictuelle des événements du monde extérieur et les sentiments intérieurs d’hommes complexes, isolés en tant qu’individus, l’immense tension de leurs craintes et de leurs aspirations. Le drame élisabéthain, c’était la révélation, c’était la confrontation, c’était la contradiction, et cela conduisait à l’analyse, à l’engagement, à la reconnaissance et, en fin de compte, à l’éveil de la compréhension.
(…)
Pourtant, un nouveau théâtre élisabéthain, fait de poésie et de rhétorique, serait une monstruosité.
(…)
L’auteur contemporain est encore prisonnier de l’anecdote, de la cohérence et du style. Il est également conditionné par les valeurs qui subsistent du XIXe siècle, à tel point qu’il trouve inconvenant le mot d’ « ambition ». Et pourtant, il en a infiniment besoin. Si seulement il était ambitieux ! Si seulement il voulait décrocher la lune !
(…)
Bien que l’auteur nourrisse son œuvre de sa propre existence et de la vie qui l’entoure – le théâtre n’est pas une tour d’ivoire -, le choix qu’il fait et les valeurs qu’il exalte n’ont de force qu’en fonction de leur théâtralité. (…) Même l’auteur qui ne s’intéresse pas au théâtre en tant que tel mais seulement à ce que lui, l’auteur, essaie de dire, se trouve forcé de commencer par le commencement : s’attaquer à la nature même de l’expression théâtrale. Il n’y a pas moyen d’y échapper, à moins que l’auteur n’accepte d’enfourcher un véhicule d’occasion, hors d’état depuis longtemps, et vraisemblablement incapable de le mener où il veut aller. Le problème essentiel de l’auteur et le problème essentiel du metteur en scène vont de pair. (…) Si l’on veut que la pièce soit entendue, alors il faut savoir la faire chanter. »

Peter Brook, L’Espace vide, Points Seuil (Londres 1968, éd du Seuil 1977 pour la traduction française, par Christine Estienne et Franck Fayolle)
Autres extraits du livre ici

Journal du jour

"Piano", technique mixte sur papier A4

« Piano », technique mixte sur papier A4


"Human Being", technique mixte sur papier A4

« Human Being », technique mixte sur papier A4

J’avais demandé pour Noël un CD du Sacre du Printemps, j’ai eu un coffret collector de 38 enregistrements de l’œuvre par autant de chefs et d’orchestres différents sur plus de soixante ans. Bel exercice d’écoute pour quelqu’un qui comme moi pratique la traduction. Magnifique à écouter tout en peignant, ce que je fais depuis Noël donc, et qui n’est peut-être pas sans influence sur mon inspiration. Le coffret est sorti en 2012 pour le centième anniversaire du Sacre (1913) et il est devenu une rareté : O a fait plus de quarante kilomètres à vélo dans le froid et la pluie pour aller le chercher là où il l’avait repéré en ligne. Voilà un cadeau !

M’étant un peu blessée au yoga (petite chute sur le coccyx) puis en courant et en marchant (syndrome du piriforme), j’ai fait des exercices à la maison pour guérir tout ça et j’ai évité de sortir pendant quelques jours. C’était aujourd’hui ma première promenade de l’année, je l’ai faite avec O, nous sommes allés voir les canards au jardin des Plantes, c’était de circonstance, par ce froid du même nom. J’adore les canards. Et tous les oiseaux. Et tous les animaux. Toutes les plantes, toutes les pierres, tout.

Comme je ne pouvais pas rester assise trop longtemps avec ma petite blessure, j’ai moins traduit ces jours derniers, mais ça va mieux et je m’y suis remise. Je m’amuse et je me désole tout à la fois de constater le sexisme de la plupart des traducteurs qui m’ont précédée. Quand Homère dit que Pénélope est sage, intelligente, eux traduisent « chaste » (même si l’adjectif grec n’a pas du tout ce sens ; du reste quand Homère l’applique à un homme, ils ne traduisent jamais par chaste mais bien par son sens réel). Quand Homère dit qu’Hélène « à la longue robe » va se coucher auprès de Ménélas la nuit venue, eux traduisent « aux longs voiles », la fantasmant sans doute comme une espèce de Salomé se livrant à une danse suggestive devant Hérode. Quand Hélène évoque son impudence passée, avec le mot grec qui signifie à la lettre « regard de chien », ils lui font dire « ma face de chienne », ce qui est comme si on faisait dire à un philosophe cynique qui parlerait de son cynisme « chien que je suis » parce que cynique, à la lettre, signifie « de chien ». Quand Homère dit qu’Hélène est semblable à Artémis aux flèches d’or, ils traduisent « à la quenouille d’or » – là aussi en dépit du fait que ce n’est pas du tout le sens du mot grec – d’ailleurs que ferait Artémis, déesse de la chasse, d’une quenouille ? Bref, contrairement à Homère, ils ramènent sans cesse les femmes du texte à la condition domestique et inférieure qu’ils ont intériorisée. Ne serait-ce que pour ça, ma traduction ne devrait pas être inutile.

"Human History", technique mixte sur papier 24x32 cm

« Human History », technique mixte sur papier 24×32 cm

La mort aboie, l’humanité passe

J’ai fêté le passage à l’année 2020 avec beaucoup de monde dans un vieux cimetière à Édimbourg. On ne parlait pas encore de pandémie mais ce lieu était en quelque sorte prémonitoire. Thomas de Quincey, qui y repose, songerait peut-être que le coronavirus a réveillé les humains de l’opium de l’existence moderne dans laquelle ils sont plongés et qui leur donne un sentiment de toute-puissance, presque d’immortalité. Non nous ne sommes pas tout-puissants, oui des forces nous dépassent, toutes microscopiques qu’elles puissent être. Oui l’humain a pourtant sa grandeur, notamment grâce à la science qui permet de réagir et de sauver souvent. Et non il n’aime pas être réveillé, et perdant un opium il en cherche un autre, qu’on l’appelle complotisme ou tout autre délire occultiste lui permettant de fuir le réel.

Cette fois nous avons célébré le passage à 2021 en amoureux, O et moi, à la maison, avec du champagne et en regardant le très excellent film Parasite, de Bong Joon Ho, que nous n’avions pas encore vu, parabole sur l’état du monde actuel. D’autres dangers nous guettent, l’art nous en prévient mais nous ne sommes pas obligés d’y sombrer. Et l’art, la littérature, comme la science, peuvent nous fournir aussi des contrepoisons et des vaccins.

Voici les dernières petites peintures que j’ai réalisées ces derniers jours, entre le 29 décembre et le 1er janvier.

"Dragon", technique mixte sur papier A4

« Dragon », technique mixte sur papier A4


"Underground River", technique mixte sur papier A4

« Underground River », technique mixte sur papier A4


"Bouquet final", technique mixte sur bois 48x33 cm. J'ai repeint la peinture ci-dessous, que quelqu'un avait jetée dehors et que j'ai récupérée

« Bouquet final », technique mixte sur bois 48×33 cm. J’ai repeint la peinture ci-dessous, que quelqu’un avait jetée dehors et que j’ai récupérée


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"Painting", technique mixte sur papier A4

« Painting », technique mixte sur papier A4


"Pomona, Goddess Of The Fruit, In The Snow", technique mixte sur papier A4. D'après la sculpture de Pomone par Maillol au jardin des Tuileries. Maillol a représenté la déesse avec un fruit dans chaque main. Moi j'ai intégré les fruits dans sa tête et son corps, et fait de ses mains des sortes de fruits, notamment par la couleur : même hors saison, elle fructifie

« Pomona, Goddess Of The Fruit, In The Snow », technique mixte sur papier A4. D’après la sculpture de Pomone par Maillol au jardin des Tuileries. Maillol a représenté la déesse avec un fruit dans chaque main. Moi j’ai intégré les fruits dans sa tête et son corps, et fait de ses mains des sortes de fruits, notamment par la couleur : même hors saison, elle fructifie