L’expérience du temps et la fin des temps

Work in progress, je continue à repeindre le grand panneau que j'avais trouvé dans la rue

Work in progress, je continue à repeindre le grand panneau que j’avais trouvé dans la rue

Pour la première fois, hier, j’ai vu un dinosaure en rêve. Je rêve fréquemment de toutes sortes d’animaux sauvages, mais cette fois il semble que je remonte le temps. J’ai vu aussi en rêve, cette nuit, des pousses de plantes bien vertes sortir d’entre les touches de mon clavier d’ordinateur, leurs racines sous les touches – la première pousse sous la touche « ctrl » de droite. Remontée plus en arrière encore dans le temps ou projection en avant ? Il est sans doute un point où les deux se rejoignent.

Vivre : faire l’expérience du temps. Souvent nous la fuyons, et nous fuyons notre propre vie. Nous avons peur de l’ennui, ou du miroir que nous tend le temps. Pourtant l’expérience du temps est riche et c’est en ne la fuyant pas que nous nous préparons, sans doute, à l’Heure. L’Heure où le temps pour nous sera comme une montagne changée en papillons, où un instant, ce que nous appelons le dernier instant, comme au début du monde sera plein d’une éternité.

Quand nous avons un accident, nous pouvons expérimenter le ralentissement du temps, comme au cinéma. Quelques secondes s’étirent, ce qui se passe est décomposé en séquences longues. Quand nous rêvons la nuit, nous expérimentons la possibilité de vivre mentalement de longues séquences qui peuvent ne durer selon l’horloge qu’un court instant. C’est dans l’amour et aussi dans la solitude que nous pouvons apprendre à embrasser le temps sans crainte et sans désir de le contraindre. Il n’est pas déraisonnable de penser que notre dernier instant sera conditionné selon ce que nous aurons fait de notre mental dans notre vie. Qu’il pourra être, ou non, en fonction de cela, une éternité bienheureuse.

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Le monde d’après

Vénus masquée, une nouvelle œuvre de Street Art sur le mur d'une librairie à Paris 5e

Vénus masquée, une nouvelle œuvre de Street Art sur le mur d’une librairie à Paris 5e

J’ai vu dans un demi-sommeil, avant de m’endormir cette nuit, des groupes de grandes allumettes, dressées dans la lumière, à bout blanc (et non rouge). La signification de la vision venait en même temps que la vision : il s’agissait des peuples du monde, pacifiés. Je vois ce matin que certains déplorent que le monde d’après ne soit pas réalisé. Ont-ils si peu de temps à vivre, pour être si pressés ? À vin nouveau, il faut outres nouvelles, comme dit Jésus. Attendons un peu, les vieilles règnent encore. J’ai mille et trois ans devant moi. Avant de m’endormir j’ai ensuite évolué dans un univers de peinture vivant. Dans la nuit, j’ai rêvé que je faisais du yoga. Au réveil le matin, j’en ai fait, comme toujours.

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Et la nouvelle signalisation à la Grande Mosquée :
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Hier à Paris 5e, photos Alina Reyes
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« Aurore », prélude en do mineur, toute fraîche composition d’un jeune pianiste proche

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29 juin 2020 : voir aussi « Le monde d’après, suite« 

L’à soutenir légèreté de l’être

ce matin à ma fenêtre, photo Alina Reyes

ce matin à ma fenêtre, photo Alina Reyes

Réveillée ce matin par un vif regain de mon désir d’ouvrir une école. Une autre école. Si la terre et le ciel me prêtent vie, et force suffisamment d’en trouver les moyens. Déjà ce journal en ligne en est une sorte et s’il ne devait rester que celle-ci, ce serait bien aussi.

Souvent je pense à mes élèves de Seconde et de Première, que j’ai dû laisser. Puissé-je leur avoir laissé quelque chose. Ce qui est à fonder doit être fondé à partir de sources, d’humilité, hors cadres ou du moins sans attachement aux cadres.

Enseigner par l’être. Ce que nous sommes est le premier enseignement que nous donnons. Les connaissances ne peuvent être transmises que par l’être. Par l’être d’un langage, qu’il s’exprime par des signes, par des essences ou par des existences.

Confinement. Les enfants du deuxième étage sont en train de tourner joyeusement dans la cour, l’une sur son petit vélo, son cadet sur sa mini-trottinette, en comptant les tours. Je me rappelle quand nous étions enfants, mes frères et moi, et que nous nous tenions sur le bord de la route, à lire les plaques d’immatriculation des voitures qui passaient. Pourquoi ?

Ce temps de confinement me rappelle Nuit Debout, où l’on ne sortait pas du mois de mars. Et les Actes tous les sept jours repris des Gilets jaunes. Il se passe quelque chose avec le temps, ces derniers temps. Comme dans les convulsions de la mort, ou celles des accouchements.

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Le temps de vivre

Mes cartes de différentes bibliothèques, dans lesquelles je lis et écris

Mes cartes de différentes bibliothèques, dans lesquelles je lis et j’écris

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J’écris de grands livres déraisonnables, mais grands.

Soyons humble, pourtant. Je viens de regarder un beau documentaire d’Arte sur « L’Écosse d’Harry Potter » (qui me rappelle mes séjours dans la fantastique Édimbourg). Et ce que j’en retiens, c’est que l’Écosse réelle est infiniment plus belle que celle des livres de J-K Rowling. Son talent n’est pas ici en question. Le fait est simplement que le réel vivant est sans commune mesure avec la fiction. La fiction a si bien pris le dessus dans le monde des hommes que le réel y est maintenant transporté dans le monde de la fiction : la com dirige le monde, ou tente de le diriger, et les hommes sont comme dans la caverne de Platon.

Dans mon travail, je ne cherche pas la fiction mais le réel vivant de la langue. Mon travail sur la fiction est volontairement faible. Je vais ainsi à contre-courant de toute la production littéraire contemporaine – suis-je très en retard, ou en avance ? J’ai confiance.

 

Léonard de Vinci : pierres levées de la Vierge aux rochers et autres pensées

 

« Enter Time ». Shakespeare, The Winter’s Tale, IV, 1

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À l’avant du tableau, la « scène du néant », comme l’écrit Shakespeare (sonnet 15) un siècle après que Léonard l’a peinte.1 Au bord de laquelle se tient l’enfant Jésus, et toute la scène. Léonard de Vinci a étudié obstinément l’eau, ses mouvements, ses tourbillons. Voici un autre tableau, après ceux que nous avons vus hier et avant-hier, qui donne à saint Jean une importance ici clairement et étrangement appuyée par le doigt de l’ange qui le désigne, lui le Baptiste, plutôt que le Christ – contre toute orthodoxie. Pourquoi ? J’y ai songé une bonne partie de la nuit. Pourquoi ce geste si insistant de l’ange, avec cette main démesurée pour renforcer l’indication ? Autant que je sache, depuis cinq cents ans, c’est une question, capitale, à laquelle nul n’a répondu. Mais ma « contemplation » m’a fait « faire temple » avec Léonard, pénétrer dans son temple, sa pensée, et le paysage s’est éclairci au fil de mon chemin.

On a souvent noté la sauvagerie inhabituelle en son temps des paysages des derniers tableaux de Léonard, la Joconde bien sûr et aussi la Sainte Anne (paysage dont il ne reste rien dans le Saint Jean). La Vierge aux rochers, peinte quelques années avant ces deux derniers, présente un plein cadre d’univers minéral. Léonard a écrit une belle page sur l’attraction de l’abîme, de la grotte. On distingue un pont à l’arrière-plan de la Joconde : seul témoin d’une humanité ou symbole métaphysique ? Le fait est que le peintre dans ces œuvres lie l’humanité et même la divinité à une nature immémoriale et immaculée. Dans ces espaces évoquant l’abîme du temps, sur ces scènes du néant, il peint l’humain dans son caractère éphémère et pourtant perpétué grâce à la génération et aux générations (explicitement figurées dans la Sainte Anne avec sa descendance) qui, par la grâce du Christ, arbre vert, remontent de la mort, de la « terre », au « ciel » (et nous avons vu le rapport de la Joconde et du Saint Jean avec cette Sainte Anne).

Revenons à notre question : pourquoi saint Jean ? Pourquoi est-ce lui qui nous est désigné par l’ange ? J’ai d’abord songé qu’il pouvait représenter le pont, la transition, celui qui prépare et ouvre le chemin. Il s’agenouille devant le Christ qui va emprunter ce chemin ouvert par lui, en faire l’épreuve, sauver ainsi l’humanité du gouffre au bord de laquelle elle se tient. Le Christ en retour le bénit, lui qui a ouvert cette voie qu’il va emprunter. Mais soudain le sens en moi a fait un bond en avant. « Enter Time ». La didascalie de Shakespeare s’est présentée à mon esprit. Saint Jean, le Baptiste, n’est-il pas la figure du Temps, qui coule et transforme toute chose, comme l’eau dans la vision d’Héraclite et de Léonard ? N’est-ce pas le Temps qui coule en cascade dans la Sainte Anne, dans le même mouvement que celui du Saint Jean ? Et n’est-ce pas, au bout de la remontée, comme l’eau remonte au ciel en nuées, ce que Rimbaud appellera « l’Éternité retrouvée » ?

Au fond de la Vierge aux rochers, se dresse sur la droite, au même endroit que le doigt dans le Saint Jean et que l’arbre dans la Sainte Anne, un grand monolithe pointé vers le ciel. À gauche, dans une autre trouée, s’amorce un chemin étrangement bordé de pierres levées, semblables à celles que des hommes dressèrent en des temps préhistoriques et que le peintre, certainement, ne connaissait pas. Mais l’Esprit, allié au Temps, le traverse et en fait un instant, éternellement présent.

1 Shakespeare dans le sonnet 15 parlait de « la vaste scène du néant ». Antonin Artaud, lui, affirme que « la scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on le remplisse, et qu’on lui fasse parler son langage concret. » N’est-ce pas ce que firent les hommes dans l’espace des grottes ? N’est-ce pas cette « poésie dans l’espace » dont parle Artaud et qu’il veut retrouver lorsqu’il dit chercher « un théâtre qui (…) raconte l’extraordinaire, mette en scène des conflits naturels, des forces naturelles et subtiles, et qui se présente comme une force exceptionnelle de dérivation » (extrait de ma thèse)

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à suivre