Odyssée, Chant I, v.365-366 (ma traduction)

aujourd'hui à Paris 5e, photo Alina Reyes

aujourd’hui à Paris 5e, photo Alina Reyes

La grande hantise de Verlaine pendant la Commune, c’était qu’ils s’attaquent au Panthéon et que le bâtiment s’écroule sur celui où il habitait avec sa femme de seize ans – qu’il allait remplacer par Rimbaud, dix-sept ans. Ironie de l’Histoire, voilà que cent cinquante ans après des idéologues veulent l’y enterrer. Dans mon article évoqué hier (qui a été plagié sans style ni force ni audace, bref, sans rien – mais j’y suis habituée), j’ai omis de mentionner, en plus des violences de Verlaine sur sa très jeune femme, la fois où il a lancé son bébé contre le mur. Apparemment tout le monde, des deux côtés, pour et contre l’entrée au Panthéon, se fiche qu’il ait failli tuer sa femme et son enfant, avant de tirer sur Rimbaud. Les gens de ce milieu sont décidément ignobles. Les mêmes, et leurs copains, qui m’ont blacklistée partout depuis la publication de mon roman Forêt profonde, parce qu’il a froissé un parrain du milieu, et qui tantôt s’écrient qu’  « on-ne-peut-plus-rien-dire » tantôt dénoncent les atteintes à la liberté d’expression, les atteintes aux droits des femmes, la surveillance des citoyens par des pouvoirs abusifs… et se font les collaborateurs zélés d’autant d’abus. Allant jusqu’à débaucher des proches de leur cible pour accomplir leur sale besogne. Une certaine société française, celle qui s’est accaparé la parole, est dans un état de décomposition tellement avancé qu’il reste heureusement la consolation de savoir qu’elle sera prochainement finie.

Aujourd’hui, deux vers seulement de l’Odyssée. Assez forts pour tenir la note entière. Le lit de Pénélope, c’est aussi celui d’Ulysse, et il sera d’une importance décisive à la fin de l’histoire. Sans la déflorer, on peut dire que personne d’autre n’y aura couché, malgré dix ans d’errance et de harcèlement. Pénélope tisse comme Shéérazade raconte, pour vaincre la mort ou la privation de liberté dont elles sont menacées.
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Les prétendants s’assemblent à grand bruit dans les salles sombres.
Tous désirent se coucher dans le lit de Pénélope.

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le texte grec est ici
à suivre !

Odyssée, Chant I, v.230-251 (ma traduction)

Maranta leuconora fascinator, la plante qui s'élève la nuit et s'étend le jour

Maranta leuconora fascinator, la plante qui s’élève la nuit et s’étend le jour


Mes journées sont si pleines, j’ai fini de traduire ce passage cette nuit. Je pourrais expédier la traduction plus rapidement en y apportant moins d’attention et moins de respect, mais dans ce cas pourquoi traduire, apporter une nouvelle traduction ? Il y faudra le temps qu’il y faudra, peu importe. Et quand j’arriverai au bout, si Dieu me prête vie jusque là, sûrement je l’arrangerai encore ; et j’en ferai un commentaire sans doute un peu long, car il y a tant à dire encore sur cette œuvre incroyable. Et si salutaire, en ces temps où les animaux du cirque médiatique tournent dangereusement fous, dévorant, ruinant, brisant la « maison » de la raison.
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Ainsi répond à haute voix le sage Télémaque :

« Étranger, puisque tu m’interroges et veux savoir,
Apprends que cette maison resta riche et irréprochable
Aussi longtemps que l’homme dont nous parlons y demeura.
Mais les dieux, machinant des maux, ont formé d’autres projets
Et fait disparaître Ulysse d’entre les humains.
Je serais moins affligé s’il était mort frappé
Au milieu du peuple de Troie avec ses compagnons
Ou entre les mains de ses amis, après la guerre.
Tous les Grecs lui auraient alors bâti un tombeau
Et c’eût été un grand honneur pour son fils dans l’avenir.
Mais à présent les Harpies l’ont enlevé sans gloire,
Il a péri obscur inconnu, me laissant douleurs
Et lamentations. Je ne gémis pas seulement sur lui,
Je déplore aussi d’autres maux que les dieux m’ont réservés.
Car tous les chefs aux commandes sur les petites îles,
Que ce soit Doulichios, Samè ou la verdoyante Zakynthe,
Et tous ceux qui gouvernent la rocailleuse Ithaque,
Tous veulent épouser ma mère et ruinent ma maison.
Elle, elle ne peut repousser cet odieux hymen,
Ni l’accomplir. Alors ils font se consumer ma maison.
Et ils auront tôt fait de me briser aussi. »

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le texte grec est ici
à suivre !

Verlaine, Rimbaud, le Panthéon… et Mathilde Mauté, alors ?

Mathilde Mauté (wikimedia)

Mathilde Mauté (wikimedia)

On se chamaille à coups de pétitions à Saint-Germain des Prés à propos d’une éventuelle entrée de Verlaine et Rimbaud, en tant que couple, au Panthéon. Mais personne n’a songé, autant que je sache, à demander ce qu’il advient de Mathilde Mauté, la femme de Verlaine, dans cette affaire. Effacée ! S’il fallait panthéoniser Verlaine en couple, pourquoi avec Rimbaud, amant d’un temps qui aurait de toute évidence eu horreur d’être immortalisé de façon si académique, et qui plus est pour un motif si idéologique, avec un ex dont il ne voulait plus entendre parler ? Pourquoi pas plutôt avec sa femme, mère de son enfant ? Ah mais, ce n’était qu’une femme, bien sûr. L’initiateur de la pétition se plaît à rappeler des paroles peu amènes de Rimbaud sur sa dernière compagne, mais se garde bien de rappeler les tombereaux d’horreur qu’il a déversés sur Verlaine. Et comme ça ne lui suffit pas, il affirme, sans aucune preuve, que Rimbaud après Verlaine a eu une relation homosexuelle avec Germain Nouveau – s’il l’avait lu, il saurait que ce dernier n’a cessé de chanter les femmes, qu’il aimait pleinement. Leur camaraderie au temps de l’écriture des Illuminations fut une aventure littéraire et rien ne prouve qu’elle se serait doublée d’une aventure amoureuse ou sexuelle.

Sacrée Mathilde, si dénigrée et si oubliée par la postérité établie par le vieux patriarcat de tous sexes et de toutes sexualités. Elle non plus, sans doute, n’aimerait pas être enterrée avec Verlaine. Ce n’est pas tant l’homosexualité qui semble qualifier Verlaine que ce qu’on appelle aujourd’hui la pédophilie. Il est tombé amoureux fou de Mathilde quand elle avait 15 ans, l’a épousée quand elle avait 16 ans, et puis ensuite il l’a remplacée dans son cœur par un autre adolescent, Rimbaud (qui lui arrivait vraisemblablement déjà traumatisé, d’après ses propres écrits, par des abus sexuels subis pendant sa scolarité dans une institution religieuse). Verlaine s’est mis à battre Mathilde huit jours avant qu’elle n’accouche, et a recommencé jusqu’à leur séparation. Pour, dans ses saoulographies, battre Mathilde, menacer de la tuer, essayer de l’étrangler, ou tirer au pistolet sur Rimbaud, il ne semble pas avoir eu peur, mais pour le reste, c’était un poltron maladif, effrayé par le contexte de guerre franco-allemande puis par les troubles liés à la Commune – il préfère se terrer chez lui tandis que Mathilde, téméraire, traverse Paris seule au milieu des tirs (une balle atterrit à ses pieds), passe les barricades, pour aller chercher la mère de Verlaine, sur le sort de laquelle ce dernier pleure mais qu’il n’a pas le courage de rejoindre lui-même.

À sa sortie de prison, Verlaine eut une liaison avec un tout jeune homme, Lucien Létinois. Drôle d’époque que la nôtre, qui tout en prenant conscience des abus des Matzneff et autres amateurs de chair très fraîche, tout en prenant conscience des abus commis aussi sur les femmes et révélés par le mouvement MeToo, réclame de faire entrer au Panthéon un Verlaine qui fut certes un bon poète mais certainement pas un grand homme.
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à suivre, la suite de ma traduction de l’Odyssée !

Odyssée, Chant I, v.213-220 (ma traduction)

"Wood Spirit", acrylique sur bois 40x89 cm, peinture que j'ai terminée aujourd'hui

« Wood Spirit », acrylique sur bois 40×89 cm, peinture que j’ai terminée aujourd’hui

La brève et percutante réponse de Télémaque à Athéna, qui lui a demandé s’il était bien le fils d’Ulysse, me rappelle un passage d’un roman de Hermann Hesse. Jusqu’à l’invention des tests ADN, ce devait être un motif d’inquiétude pour les hommes que de ne pouvoir être sûrs de leur paternité, d’où sans doute la tentation d’enfermer les femmes et la société patriarcale. Il y a dans Siddharta l’histoire d’un sage ermite à qui une jeune femme apporte un jour un petit enfant ou bébé en prétendant qu’il en est le père et en exigeant qu’il l’élève. L’ermite ne connaît pas cette femme, n’a jamais couché avec elle, mais il accepte l’enfant sans rien dire et l’élève, puisque le destin le lui envoie. Quand l’enfant est adolescent, la femme revient et réclame son fils, en disant haut et fort que l’ermite n’a aucun droit sur lui puisqu’il n’est pas son père. Et l’ermite laisse partir le jeune homme sans protester.
Y voir une leçon de fatalisme serait réducteur. Ce que j’y vois, moi, c’est qu’un être humain, même tout petit enfant, n’appartient à personne, ni à sa mère ni à son père biologiques ou adoptifs ; mais qu’il appartient à tout être humain de prendre soin, dans la mesure du possible, de tout enfant, voire de tout être humain qui en a besoin. C’est ce que fait Athéna auprès d’Ulysse et de Télémaque, en tout respect de ce qu’ils sont. La réponse de Télémaque ne dit-elle pas aussi que la seule chose sûre, c’est d’être soi-même ? En ce siècle où de nouveaux problèmes de filiation apparaissent (PMA, GPA, parents transgenres…), l’éthique ne doit-elle pas réaffirmer prioritairement qu’aucun être humain ne peut en posséder un autre, adulte ou enfant ?
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Ainsi lui dit à haute voix le prudent Télémaque :

« Je te répondrai en toute franchise, étranger.
Ma mère m’a bien dit que j’étais fils d’Ulysse, mais moi
Je n’en sais rien. Car nul ne peut savoir qui est son père.
Comme je préférerais être le fils d’un homme
Heureux, que la vieillesse atteint au milieu de ses biens !
Mais c’est du plus infortuné des mortels que je suis né,
Me dit-on : voilà la réponse à ta question. »

le texte grec est ici
à suivre !

Odyssée, Chant I, v.102-122 (ma traduction)

mon vieux dictionnaire de grec, devant ma repeinture en cours

mon vieux dictionnaire de grec, devant ma repeinture en cours

Dans moins de douze mille vers, j’aurai fini de traduire l’Odyssée. Voilà un travail à la mesure et à la démesure de mon désir. Si j’en traduis une quinzaine par jour, j’ai environ trois ans de joie devant moi. Mais c’est moins le temps, pas si long, qui compte, que la profondeur de l’aventure. Déjà je me rends compte de choses inouïes dans le texte. J’en ferai certainement un commentaire, pour accompagner la traduction quand elle sera terminée. Pour l’instant, continuons à avancer. Ou à bondir, comme Athéna ici descendant des cieux. Ce qui est génial avec le yoga c’est qu’il peut accompagner toute pensée, toute prière, toute aventure de l’esprit et du corps. En tout cas il accompagne à merveille l’Antiquité grecque. (Évidemment il y a aussi des yogis faussaires, comme Sadhguru ou, dans un autre genre et le temps de cet automne, Carrère (je revois et vois pas mal de films américains à la maison en ce moment : ce qui saute aux yeux, c’est la violence de la société américaine; de temps en temps je m’efforce de voir un film français, et là ce qui saute aux yeux c’est la dépression de la société française – d’où ressort un nihilisme au moins aussi morbide) ; il s’agit de bien exercer sa raison pour ne pas se laisser berner. Athéna, déesse de la raison et pilier de l’Odyssée, aide très bien à y voir clair). Toutes ces parenthèses ouvertes et enchâssées refermées, allons au texte.
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Ouvrant les jambes elle s’élance des sommets de l’Olympe,
Se dresse dans le peuple d’Ithaque, sur le seuil d’Ulysse,
À l’entrée du couloir. Dans sa paume sa lance d’airain.
Sous les traits d’un étranger, Mentès, chef des Taphiens,
Elle trouve les prétendants arrogants, jouant aux dés
Le long des portes, attendant, esprits rassasiés,
Immobiles sur les peaux des bœufs qu’ils ont tués.
Auprès d’eux, des hérauts et des serviteurs empressés,
Les uns à mêler dans des cratères le vin et l’eau,
D’autres à laver avec des éponges pleines de trous
Les tables, à les placer et à couper des tas de viandes.
Le tout premier à voir Athéna fut Télémaque,
Beau comme un dieu. Il était là, parmi les prétendants,
Le cœur triste, songeant à son cher et valeureux père :
S’il revenait ! Il disperserait les prétendants
Hors de sa maison, rétablirait son honneur, serait
Maître de ses biens. Y pensant parmi les prétendants,
Il la voit. Alors il va droit dans le couloir, indigné
Dans son cœur qu’un étranger soit longtemps laissé à la porte.
Il s’approche, lui prend la main droite, reçoit la lance
D’airain et lui dit à haute voix ces paroles ailées :

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le texte grec est ici
à suivre !