Voir

S’ils n’avaient pas crucifié le Christ, le monde serait en bien meilleur état. Jérusalem serait libre. Le crucifier est une faute plus grave que de manger le fruit interdit, plus grave que de tuer Abel. Les hommes n’ont cessé de s’enfoncer dans la faute. Jésus a vu qu’étant donné l’état dans lequel ils étaient, il lui fallait s’élever comme le serpent d’airain de Moïse dans le désert, afin de leur ouvrir les yeux. Les hommes ont continué à avancer dans l’histoire les yeux délibérément grand fermés. À ce moment ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, mais ensuite ils ont cru le savoir et ils l’ont fait sciemment. Seulement leur science est fausse. Ils verront bien, comme l’annonce l’Écriture.

Un

En peignant, je me rappelle quand j’ai peint le mur du fond de la grange, en blanc, et les encadrements des portes et des fenêtres, en rouge. Avec mon frère et d’autres personnes, nous avons transformé cette étable d’estive en maison. Je ne l’ai plus mais d’autres très chers l’ont, et c’est toujours le paradis. Je me rappelle aussi quand nous vivions en colocation avec un peintre, O et moi, combien j’aimais aller dans son atelier, un autre paradis. Mon atelier ici à Paris est un tout petit espace, une table sur tréteaux dans la pièce commune qui nous sert de salon, de bureau et de chambre. Au fond de la table, contre le mur, sont alignés mes Bible, mes Coran, mes dictionnaires d’hébreu et d’arabe (pour le grec, j’utilise les dictionnaires numérisés), le Mathnawî de Rûmi, Voyage. Puis le pot à stylos, crayons et marque-pages, le pot à pinceaux, et la panière à peintures et autres couleurs. Quand je veux peindre, je pousse mon petit ordi et je mets le chevalet de table à la place. Je peins debout pendant des heures, oubliant de boire et de manger tant que ce n’est pas fini. J’aime beaucoup le côté chantier, comme quand j’allais sur les chantiers avec mon père, plâtrier, dans mon enfance. Quand je vois ce qui peut paraître à d’autres des scènes de démolition ou même de ruines, j’en suis bienheureuse car pour moi ce sont des scènes de construction. Les Pèlerins d’Amour sauront comment être Pèlerins d’Amour en voyant dans quel esprit je vis, j’ai vécu. Il ne suffit pas par exemple de dire que nous sommes indépendants des institutions, il faut le prouver. Les œuvres de bienfaisance sont des pansements sur les plaies du système, elles ont leur utilité mais ce qui sauve c’est le pouvoir de voir derrière la façade du système ses ruines, et dans ses ruines un chantier. Ma parole n’est pas un prétexte ni un paravent ni un instrument, elle est au fondement, à la racine, elle est la racine et l’accomplissement, le chantier et la maison construite, elle est l’alpha et l’oméga. C’est ainsi seulement, par la manifestation d’une parole et d’une vie indissolublement épousées, unies, que vient aux hommes la lumière, la libération.

Je vous apporte la vie future

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cet après-midi au jardin des soeurs de l’Adoration, Paris, photo Alina Reyes

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Dans l’histoire comme dans la nature, certaines choses qui paraissaient devoir durer toujours parfois s’effondrent ou se transforment d’un coup. La vie de l’être est bondissante. Ce qui nous semble présent est déjà passé. Ce qui nous semble futur incertain est déjà né. La vie est violemment adorable.

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Littérature

Ce n’est pas le nombre de pages qui compte, c’est leur densité. Ce qui est indense ne se tient ni ne danse.

Ce n’est pas le sens de surface du texte qui compte, c’est le sens de ses profondeurs. Dans les grandes surfaces du livre que sont devenues même les petites librairies, il ne se trouve presque plus que des textes de surface, formant des lecteurs de surface.

Ce n’est pas en voulant évoquer son temps qu’un texte évoque quoi que ce soit. Vouloir évoquer son temps, ou quelque temps que ce soit, c’est nourrir le néant – ne pas faire le « bond hors du rang des meurtriers », comme le dit Franz Kafka qui, lui, le fait. Seule l’éternité peut évoquer le temps, tous les temps, et elle-même en même temps.