Foi

en chemin vers Saint-Justin, été 2010, photo Alina Reyes

 

O me dit combien il est impressionné par la droiture de N. (« Noé », comme je l’appelle dans mes livres depuis vingt ans, et qui est maintenant le nouveau propriétaire de la grange, dans la montagne où eut lieu le déluge), droiture de vue et droiture de vie. Et je songe à ce que nous demandons dans la prière islamique : « Guide-nous dans le chemin droit ».

Pourquoi le Christ eut-il à guérir tant de possédés ? Les démons ne sont pas des péchés. Les évangélistes ne disent pas démon à la place de péché. Quand ils veulent parler du péché, ils disent péché. Les démons sont des démons. Le diable est contagieux, il est légion. Certains hommes ouvrent leurs portes aux démons, contents d’en faire leurs alliés, de pouvoir pécher en se reposant sur des puissances célestes, fussent-elles mauvaises. D’autres se battent contre les démons qui s’en prennent à eux. Et les démons redoublent d’ardeur auprès des hommes, pour les séduire ou les détruire, quand ils sentent la présence de ce qui peut les renvoyer au néant, quand le Royaume où ils n’ont pas de place approche. « Ta foi t’a sauvé », dit le Christ. Tout juste a la foi, même s’il ne prononce pas le nom de Dieu. Avoir la foi c’est être libre de l’emprise des démons, même s’ils continuent leur action, avoir la foi c’est être indestructiblement ferme dans le chemin droit, la vérité, la vie, la joie de vivre.

Être sauvé, c’est avoir la foi, ou la retrouver. Ayons foi, et la foi vaincra, d’elle-même, toutes les forces de mort. Dieu aime les hommes.

 

Naissance d’une chair nouvelle

 

Le jeûne rend plus lent, comme le fait de se retirer dans la solitude, dans un lieu isolé. Le temps se déploie, éventail, accordéon. La pesanteur perd de son pouvoir, le corps se détache, jette l’ancre, sort de ses empreintes. Le corps est l’âme. La lumière l’assaille de morsures d’amour. Éperdu, il demande et rend grâce.

Hier dans un instant de fatigue à la bibliothèque où je travaillais, j’ai fermé les yeux et j’ai eu une vision, beaucoup plus solide et concrète que toute vue que nous donnent nos yeux de chair. La marque sur mon pied s’ouvrait, tel un œil vertical, et par cette fente ouverte sur toute la longueur du pied, donnait naissance à une chair nouvelle, lovée sur elle-même en forme d’œuf, qui en s’apprêtant à se déployer m’a réouvert les yeux, mettant fin à la vision mais sans y mettre fin tant elle avait été vivante, charnelle, sensible.

Passage. J’ouvre le passage que le Ciel est en train d’ouvrir. Prions pour ceux qui souffrent.

 

De la chute, mortelle, et de la descente, vitale

 

Le diable, le malin, est l’ange qui est tombé du ciel par orgueil. À l’homme aussi il arrive souvent de tomber de la même façon : refuser de se soumettre à Dieu, se croire plus fort, ou bien assez fort soi-même, c’est ce qu’on appelle le péché, c’est ce qui est la source de tous les péchés du monde. Il faut voir les choses très simplement : nous tombons sur le chemin si nous faisons les malins, si nous nous croyons plus fort que le chemin, si nous voulons ignorer la pente dans un chemin de montagne, si nous voulons ignorer le courant ou la crue dans un chemin d’eau, si nous voulons ignorer la circulation dans un chemin de ville, etc. Toutes ces situations physiques ont leurs correspondances spirituelles. Il y a une autre façon de tomber, c’est quand nous sommes poussés par un méchant ou un meurtrier, ou lorsque nous butons sur un caillou (un « scandale », c’est pourquoi Jésus a averti de ne jamais scandaliser un innocent, c’est-à-dire mettre sur son chemin un caillou pour le faire chuter), ou lorsque nous sommes accablés d’un poids que le monde a mis sur nous, comme la Croix sur le dos du Christ.

Mais en aucun cas tomber n’équivaut à descendre. Descendre n’est ni un péché ni une conséquence du péché, comme l’est tomber. Descendre est un geste d’amour. Dieu descend vers l’homme par amour. L’homme descend vers autrui et vers lui-même par amour de Dieu – même s’il l’ignore. Et si j’ai bien écrit que c’est tout au bout de la nuit que se trouve la lumière, il ne s’agissait en aucun cas d’une nuit du péché, ni d’une nuit de la perte de foi, ni d’une nuit du malheur, que nous en soyons responsables ou innocents. Mais de la nuit que constitue la descente. La descente n’est pas une chute. C’est dans la nuit al-Qadr et dans la nuit de Noël que descend la révélation de ce qui était caché, que vient la lumière de la vérité. Et quand l’homme par amour descend au fond de la nuit de l’homme, c’est dans la descente que se fait la mise à nu qui permet le passage dans la lumière.

« Lis ! » C’est le premier mot adressé par Dieu à son Prophète Mohammed. Mais lire sans descendre dans la profondeur du texte, sans descendre dans la profondeur de l’être en même temps, n’est pas lire mais mal comprendre et se tromper. La lecture est une ascèse, ou elle n’est pas. Lire engage tout l’être. Sinon, croyant lire et ne lisant pas, lisant superficiellement, l’être se perd par son erreur, répand l’erreur et la sème comme autant de scandales sur le chemin des innocents. De faux penseurs, voire de faux « mystiques » (à la façon de Georges Bataille) ont pu s’imaginer que le péché était une façon de trouver la vérité, la lumière et la grâce. Ils ont peut-être cru les trouver, alors qu’il ne leur venait que ces exclamations qu’on fait devant un feu d’artifice. « Pourquoi ? » demandait tout à l’heure Mgr Fouad Twal dans sa déchirante homélie de supplication pour le Moyen Orient, la Palestine, Jérusalem. Parce que les hommes, sur toute la terre, ne sont pas assez attentifs à distinguer entre le bien et le mal, et à rejeter le mal. Et ceci tout d’abord dans l’esprit. Car donner des gages à l’esprit du mal, ou se compromettre avec lui, c’est entraver le combat que l’Esprit Saint mène avec ses anges sur la terre comme au ciel. Tournons-nous vers le Miséricordieux, au ciel et en nous, accomplissons nuit après nuit, jour après jour, cette descente miséricordieuse qui est aussi ascension pour la Vie.

 

Allons

cet après-midi à Paris, photos Alina Reyes

 

La démocratie est malade en France, et ne pourra être guérie tant que nous n’aurons pas changé de régime. La Cinquième République est dépassée, tout comme l’ordre jacobin, contraignant, pyramidal, dans les faits et dans l’esprit, copié sur l’ordre catholique. Ce vieux monde est mourant, pervers et aveugle comme tout ce qui vieillit mal.

Il ne suffit pas de vouloir ne pas être « mondain ». Encore faut-il être apte à ne pas l’être. Peu sont touchés par cette grâce. Il faut donc donner aux hommes la possibilité de recevoir une éducation spirituelle. Seules l’ascèse, la proximité réelle, profonde, avec le Bien souverain, peuvent retirer de l’emprise du monde les hommes qui appellent le règne de Dieu. Cette dimension de la vie religieuse et spirituelle, absolument essentielle, est aujourd’hui presque complètement ignorée d’un très grand nombre de croyants, y compris dans beaucoup de clergés.

Ibn Arabî est de ces maîtres universels qui aident les hommes à sortir du monde, du vieux monde auxquels ils sont si accoutumés qu’ils ne voient rien au-delà de ses limites. Nous finirons dans quelques heures de lire Le Sceau des saints, puis si Dieu le veut nous continuerons nos exercices avec Michel Foucault, et avec bien d’autres encore. La porte est étroite, mais elle est ouverte, très.