Épée

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image Alina Reyes (juin 2012) (« procession des hommes/procession des anges »)

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Je l’ai raconté dans Ma vie douce, toute jeune je rêvai une nuit que, ayant trouvé un petit miroir où je me regardai, j’y vis L’homme à l’épée.

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11 C´est Nous qui, quand l´eau déborda, vous avons chargés sur l´Arche

12 afin d´en faire pour vous un rappel que toute oreille fidèle conserve.

13 Puis, quand d´un seul souffle, on soufflera dans la Trompe,

14 et que la terre et les montagnes seront soulevées puis tassées d´un seul coup ;

15 Ce jour-là alors, l´Evénement se produira,

16 et le ciel se fendra et sera fragile, ce jour-là.

17 Et sur ses côtés [se tiendront] les Anges, tandis que huit, ce jour-là, porteront au-dessus d´eux le Trône de ton Seigneur.

18 Ce jour-là vous serez exposés; et rien de vous ne sera caché.

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Sourate 69, Al-Haqqa, La Vérité, à écouter, lire en arabe, en phonétique et en français ici.

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Le verbe haqqa, d’où vient le mot Haqqa, qui est l’un des noms de Dieu et donne son titre à cette sourate (La Vérité, L’Inéluctable… L’Heure ou Le Jour de vérité), signifie d’abord : venir chez quelqu’un. Où nous voyons que messianisme et vérité sont intimement liés. Ce verbe signifie aussi : frapper quelqu’un au milieu du crâne, ou  sur le creux de la nuque. Et : faire juste, tomber, frapper juste. Et : devoir absolument arriver. Et : savoir avec certitude. Le mot comporte les sens de justesse, et aussi de justice.

Tout étant lié, quand le ciel est fendu et la terre frappée, c’est que la vérité vient frapper à notre tête.

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Banalité du mal, essentialité du bon

à Paris, photo Alina Reyes

 

« Malgré tous les efforts de l’accusation, tout le monde pouvait voir que cet homme n’était pas un “monstre” ; mais il était vraiment difficile de ne pas présumer que ce n’était pas un clown. Et comme une telle présomption aurait été fatale à toute l’entreprise, comme il était aussi assez difficile de la soutenir vu les souffrances qu’Eichmann et ses semblables avaient infligé à des milliers de personnes, ses pires clowneries passèrent quasiment inaperçues et l’on n’en rendit jamais compte. » Clowneries, ou, comme je les appelle dans Voyage, singeries de l’homme qui se ment.

« Il est dans la nature même du totalitarisme, et peut-être de la bureaucratie, de transformer les hommes en fonctionnaires, en “rouages” administratifs, et ainsi de les déshumaniser », écrit aussi Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem. J’ai trouvé ces extraits de son livre, que je n’ai pas lu, sur internet, tout à l’heure en revenant du cinéma où je suis allée voir le film Hanna Arendt, dont j’ai aimé le caractère très incarné, la mise en place assez puissante des questions du mal et de la vérité. Aujourd’hui la thèse de la philosophe sur la banalité du mal est largement reconnue, l’histoire et le recul ont mis en évidence cette vérité qui fit scandale à l’époque. Les totalitarismes déshumanisent les hommes, notamment par la machine bureaucratique, en sorte qu’ils soient amenés à obéir aux ordres sans pouvoir distinguer le mal du bien. C’est ce que Arendt observa chez Eichmann et tous les exécutants de son genre, des hommes ordinaires et non pas des monstres, qui n’ont aucun sentiment de culpabilité, se justifiant par le fait qu’ils obéissent à la loi. Une loi inversée : ce n’est plus « tu ne tueras point », mais « tu tueras ». Or, dit-elle en substance, le rôle de la pensée est de permettre de distinger le bien et le mal ; l’horreur est rendue possible du fait que ses exécutants, déshumanisés, ne pensent pas.

Je ne prétends évidemment pas entrer en discussion avec la pensée d’Hannah Arendt, que je n’ai pas encore lue. Seulement donner quelques éléments de méditation à partir de ces grands axes de sa pensée exposés dans le film. Montrer, comme elle l’a fait, comment des systèmes totalitaires en viennent à produire et faire produire le plus grand mal constitue un dévoilement capital de la vérité, et nous sommes avisés si nous continuons à débusquer les formes de totalitarisme qui se cachent derrière des systèmes politiques plus… politiquement corrects. Mais ceci fait, reste à se poser la question : pourquoi cela fonctionne-t-il ? Pourquoi l’homme se laisse-t-il déshumaniser ? Pourquoi obéit-il quand on lui demande de faire quelque chose de mal ? Je ne me situe pas ici depuis le terrain de l’organisation politique, mais depuis le cœur de l’homme.

Il me semble que la déshumanisation n’intervient pas sans son accord. Le totalitarisme a besoin pour fonctionner d’un réseau auquel l’individu abdique son libre arbitre. Le réseau le séduit en pensant pour lui et en le déresponsabilisant des actes qu’il lui fait accomplir. Cela suffit-il à le déshumaniser ? En partie seulement. Car si puissant soit-il, le réseau ne peut arracher du cœur de l’homme ce qui y est inscrit de toute éternité : la connaissance du bien et du mal. (Rappelons que dans la Bible, c’est Dieu qui donne à l’homme cette connaissance, en lui désignant le bon et le mauvais, le bénéfique et le mortel, l’interdit – le serpent ensuite ne fait que singer Dieu en prétendant offrir la connaissance du bien et du mal, cette connaissance qu’Ève et Adam ont déjà, et que la parole du serpent inverse, comme le fait le discours totalitariste). Il se peut que cette connaissance du bien et du mal soit tellement enfouie dans le cœur de l’homme qu’il l’ait comme oubliée. Mais elle y est, et au moment de faire le mal qui lui est suggéré ou ordonné, l’homme sait qu’il s’agit du mal. S’il l’accepte, c’est qu’il ne veut pas le savoir.

Si l’homme ne savait pas qu’il va faire quelque chose de mal, la propagande ne serait pas obligée de lui représenter que c’est « pour la bonne cause ». L’homme qui accepte d’entrer dans la voie du mal, même s’il a l’impression que c’est celle du moindre mal, ou d’un mal insignifiant, entre dans la voie de sa déshumanisation. Il peut y avoir alors en lui un combat pour le repentir et la réintégration de sa pleine humanité, de sa liberté perdue. Et le combat peut être gagné. Cela se produit sans cesse. Mais autre chose peut se produire et se produit aussi, c’est que l’homme n’ait pas la force de gagner le combat. Ou qu’il n’en ait pas le désir. Alors s’installe une épaisse cuirasse autour de son cœur, où se trouve la connaissance innée du bien et du mal, qu’il lui faut absolument enterrer. Une fois enterrée la source de son humanité, l’homme est spirituellement mort, déshumanisé. L’homme s’est déshumanisé pour ce frisson qu’il s’est donné de transgresser. La banalité du mal vient du désir secret de transgression, comme frisson qui fait sortir de la banalité de l’être. Très bien cachée ou non, il y a une jouissance du mal, la jouissance de satisfaire le ressentiment de l’homme envers ce qu’il est. Et cette satisfaction est décuplée si elle peut s’exercer à l’encontre de ce que l’on soupçonne d’être moins banal que soi-même, d’une façon ou d’une autre.

Si bien que nous pouvons retourner la vision de la banalité du mal. Au plus profond, ce n’est pas le système politique qui crée la banalité du mal, c’est le sentiment de la banalité de soi qui crée le système politique qui va permettre de prendre la voie de la banalité du mal, la justifier, la fournir comme un infaillible fournisseur de drogue. Et si l’absence de pensée, involontaire ou délibérée, facilite la sujétion au mal, il est encore plus remarquable que bien souvent c’est l’élaboration d’une pensée qui lui sert de porte et de marchepied (pensons au cas d’Heidegger, dont la pensée du Volk et de « l’être pour la mort » continue dans le temps, de façon ouverte ou non, son œuvre morbide comme justificatif philosophique de maints nationalismes, de l’impérialisme à l’occidentale au sionisme et à l’islamisme politique). Les systèmes totalitaires sont les instruments de vengeance que se créent les hommes contre ce qui est libre et vivant, et dont ils se sentent incapables, ou dont ils ne se sentent pas à la hauteur. C’est pourquoi il faut inlassablement enseigner aux hommes combien, du seul fait d’être, ils échappent en vérité à la banalité, combien ils ont été conçus uniques, grands et beaux dans leur humilité, et combien leur salut et leur bonheur se trouvent dans le refus du mal et le choix de la bonne voie, toujours de nouveau possible.

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Amour

 

Debout avant quatre heures pour le repas d’avant l’aube – un bol de flocons d’avoine aux raisins secs, un demi-litre de thé vert au gingembre, froid, préparé la veille, une cuillerée de miel – puis les prières – l’islamique, la chrétienne -, méditation, un peu de lecture, contemplation du jour qui se lève à la fenêtre – les cris des martinets -, douche rafraîchissante, ma robe de coton blanc, un peu de piano, tout doucement pour ne réveiller personne – premier déchiffrage, main droite puis main gauche du premier Prélude du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach – il y a longtemps que je n’ai pas joué, bonheur. Toutes les fenêtres sont ouvertes pour quelques minutes encore, petits bruits de temps en temps dans la cour, très légers, comme si tout le monde s’inclinait devant la grande chaleur qui s’annonce – les martinets eux-mêmes sont plus discrets. Le monde retient son souffle. Une attente d’amour. Splendeur de la vie.

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Exode et Ramadan

 

« Qui suis-je ? », demande à Dieu Moïse. « Je suis avec toi », lui répond Dieu, déplaçant le je (Exode 3, 11-12). Dieu est « Je suis », Moïse est celui avec qui Dieu est. Voici l’Alliance, valable pour tous les prophètes qui traversent le temps par mon corps et mon sang, tous les prophètes jusqu’à, très vivement, Mohammed. Tel est l’être de tout croyant.

Ramadan est le temps de l’exode du je humain. Le temps où l’homme est privé de nourriture et de boisson durant toute la traversée du jour, le temps où il est privé de lui-même à travers cette privation, dans laquelle il peut entendre cette réponse de Dieu : « Je suis avec toi ».

Merci Seigneur pour Ta présence. Préserve-nous de nous goinfrer de nous-mêmes, le soir venu. À la fin de la nuit la manne tombera et à chaque jour elle suffira, comme Tu suffis.

 

Foi

en chemin vers Saint-Justin, été 2010, photo Alina Reyes

 

O me dit combien il est impressionné par la droiture de N. (« Noé », comme je l’appelle dans mes livres depuis vingt ans, et qui est maintenant le nouveau propriétaire de la grange, dans la montagne où eut lieu le déluge), droiture de vue et droiture de vie. Et je songe à ce que nous demandons dans la prière islamique : « Guide-nous dans le chemin droit ».

Pourquoi le Christ eut-il à guérir tant de possédés ? Les démons ne sont pas des péchés. Les évangélistes ne disent pas démon à la place de péché. Quand ils veulent parler du péché, ils disent péché. Les démons sont des démons. Le diable est contagieux, il est légion. Certains hommes ouvrent leurs portes aux démons, contents d’en faire leurs alliés, de pouvoir pécher en se reposant sur des puissances célestes, fussent-elles mauvaises. D’autres se battent contre les démons qui s’en prennent à eux. Et les démons redoublent d’ardeur auprès des hommes, pour les séduire ou les détruire, quand ils sentent la présence de ce qui peut les renvoyer au néant, quand le Royaume où ils n’ont pas de place approche. « Ta foi t’a sauvé », dit le Christ. Tout juste a la foi, même s’il ne prononce pas le nom de Dieu. Avoir la foi c’est être libre de l’emprise des démons, même s’ils continuent leur action, avoir la foi c’est être indestructiblement ferme dans le chemin droit, la vérité, la vie, la joie de vivre.

Être sauvé, c’est avoir la foi, ou la retrouver. Ayons foi, et la foi vaincra, d’elle-même, toutes les forces de mort. Dieu aime les hommes.

 

Antigone (4) Sauveteurs vs associateurs

à Lampedusa, photo AFP/Mauro Seminara

 

La hantise de la confusion des générations entraîne-t-elle celle de la confusion des genres ? L’Antigone de Sophocle est en tout cas d’une modernité parfaite – alors que celle d’Anouilh, avec ses relents pétainistes, est déjà dégoûtante, comme tout ce qui est impur, corrompu à la base, et va vers la décomposition. Nous vivons un temps marqué par la hantise de la disparition des « vrais pères », des « vraies mères », de la « vraie famille », comme dans l’histoire d’Œdipe et d’Antigone, hantise qui se double de celle de la disparition de la différence sexuelle, et du soupçon que les femmes voudraient prendre la place des hommes – comme Créon, incarnation du pouvoir patriarcal, soupçonne Antigone de vouloir « commander ». Incapable qu’il est de comprendre une autre logique que la sienne, en l’occurrence, comme le lui a dit Antigone, celle de l’amour. Cette logique de témoin de la vérité qui, si elle n’atteint pas chez Antigone son plein déploiement salvateur comme dans le Christ, n’en reste pas moins scandale et folie pour les menteurs, ceux qui associent le mensonge à la vérité. (Et contrairement à ce que croient les musulmans, les associateurs, ce ne sont pas forcément les autres : comme les autres ils sont innombrables, parmi ceux qui se croient de purs monothéistes, ceux qui comme Anouilh se compromettent avec le mensonge).

 

« Le courage de la vérité », par Michel Foucault (7). Face-à-face et confiance

le taureau Espoir, l'été 2010, photo Alina Reyes

 

Nous terminons notre lecture du dernier cours du philosophe, prononcé au Collège de France entre février et mars 1984, quelques semaines avant sa mort, et publié par Gallimard/Seuil dans la collection Hautes Études.

« L’art de l’existence et le discours vrai, la relation entre l’existence belle et la vraie vie, la vie dans la vérité, la vie pour la vérité, c’est un peu cela que je voulais essayer de ressaisir. L’émergence de la vraie vie dans le principe et la forme du dire-vrai (dire vrai aux autres, à soi-même, sur soi-même et dire vrai sur les autres), vraie vie et jeu du dire-vrai, c’est cela qui est le thème, le problème que j’aurais voulu étudier. » (pp 150-151)

Après avoir donné encore une leçon sur Socrate, Foucault consacre les leçons suivantes aux philosophes cyniques. Nous passerons sur cette longue partie de l’ouvrage, pour conclure notre lecture avec sa toute dernière leçon, qui évoque la parrêsia dans le pré-christianisme et le christianisme.

« La parrêsia se situe maintenant sur l’axe vertical d’un rapport à Dieu où, d’une part, l’âme est transparente et s’ouvre à Dieu, et où, d’autre part, elle s’élève jusqu’à Lui. » (p.297) Par exemple dans le livre de Job, « pour traduire le texte hébreu « alors tu feras du Tout-Puissant tes délices » (mot à mot), la version des Septante utilise le verbe parrêsiazesthai. Autrement dit, ce rapport immédiat, ce rapport de contact, de délice, de jouissance que l’âme peut éprouver quand elle est en contact avec Dieu, cette félicité, cette jouissance, ce plaisir sont traduits dans la version des Septante par « parrêsiazesthai ». La parrêsia n’est donc plus du tout, vous le voyez, le dire-vrai courageux et risqué de celui qui a cette hardiesse à l’égard de ceux qui se trompent. Elle est ce mouvement, cette ouverture de cœur par lesquels le cœur et l’âme, s’élevant jusqu’à Dieu, peuvent arriver à saisir Dieu, à en profiter en quelque sorte et éprouver le principe de Sa félicité. » (p. 298)

« Philon écrit : Celui qui est capable de prier ek katharou tou suneidotos (à partir de la pureté de sa conscience) est capable de parrêsia. La parrêsia demeure bien, en un sens, un dire-vrai, mais ce n’est plus un « dire » : c’est l’ouverture de l’âme qui se manifeste dans sa vérité à Dieu et porte cette vérité jusqu’à Lui. » (p. 298)

Foucault donne ensuite des exemples de textes vétéro-testamentaires où la parrêsia désigne « le face-à-face du Tout-Puissant et de Sa créature, leur dissymétrie mais aussi leur relation. C’est le mouvement par lequel l’homme se porte vers Dieu, mais c’est inversement le mouvement par lequel Dieu manifeste Son être comme puissance et sagesse, comme force et vérité. C’est à l’intérieur de ce rapport ontologique de face-à-face, de vis-à-vis de l’homme et de Dieu, que la parrêsia tend, jusqu’à un certain point, à se déplacer. Ce n’est plus le courage de l’homme solitaire en face des hommes qui se trompent, c’est la béatitude, c’est la félicité de l’homme porté jusqu’à Dieu. Et Dieu répond, à ce mouvement de l’homme vers Lui, par l’expression, la manifestation de Sa bonté ou de Sa puissance. » (p. 299)

Dans le Nouveau Testament, par exemple dans la Première Épître de Jean (5, 14), « Nous avons cette assurance (parrêsia), que si nous demandons quelque chose selon Sa volonté, Il nous écoute. La parrêsiai se situe donc dans le contexte suivant. D’une part, le chrétien, comme tel, qui croit au nom du Fils de Dieu, sait qu’il a la vie éternelle. Deuxièmement, il s’adresse à Dieu, pour lui demander quoi ? Rien d’autre que ce que Dieu veut. (…) Principe d’obéissance. C’est dans cette circularité, de la croyance en Dieu et de la certitude d’avoir la vie éternelle d’une part, et d’une demande qui s’adresse à Dieu et n’est autre chose que la volonté même de Dieu d’autre part, que s’ancre la parrêsia. (…) C’est cette attitude parrèsiastique qui rend possible la confiance eschatologique pour le jour du Jugement, ce jour qu’on peut attendre, qu’il faut attendre en toute confiance meta parrêsias) à cause de l’amour de Dieu. » (pp 300-301)

« Mais la parrêsia, dans ces textes néo-testamentaires, est aussi la marque de l’attitude courageuse de celui qui prêche l’Évangile. À ce moment-là, la parrêsia est la vertu apostolique par excellence. (…) la prédication orale, la prédication verbale, le fait de prendre la parole, de disputer (…) au risque même de sa vie, est caractérisé comme étant la parrêsia. La vertu apostolique de parrêsia  est donc assez proche de ce qu’était la vertu grecque. » (p. 301)

« Le martyr, c’est le parrèsiaste par excellence. Et, dans cette mesure, vous voyez que le mot parrêsia se réfère à ce courage que l’on a en face des persécuteurs, courage que l’on exerce pour soi-même, mais que l’on exerce aussi pour les autres et pour ceux que l’on veut persuader, convaincre ou renforcer dans leur foi. » (p. 302) Mais « Ce qui fait justement la différence – c’est saint Jérôme, je crois, qui le dit – entre le courage, par exemple, d’un Socrate ou d’un Diogène et celui d’un martyr, c’est que le premier n’est que le courage d’un homme s’adressant aux autres hommes, alors que celui des martyrs chrétiens est un courage qui prend appui sur cet autre aspect, cette autre dimension de la même parrêsia qui est la confiance en Dieu. Confiance dans le salut, dans la bonté de Dieu, confiance aussi en l’écoute de Dieu. » (p. 303)

Mais bientôt se développe aussi dans le christianisme une conception négative de la parrêsia. « Ce pôle anti-parrèsiastique, ascétique, sans confiance, ce pôle de la méfiance à l’égard de soi-même et de la crainte à l’égard de Dieu, n’est pas moins important que le rôle parrèsiastique. Je dirais même qu’il a été historiquement et institutionnellement beaucoup plus important, puisque c’est autour de lui, finalement, que se sont développées toutes les institutions pastorales du christianisme. Et la longue et difficile persistance de la mystique, de l’expérience mystique dans le christianisme, n’est rien d’autre que la survie, me semble-t-il, du pôle parrèsiastique de la confiance en Dieu qui a subsisté, subsisté non sans peine, dans les marges, contre la grande entreprise du soupçon parrèsiastique que l’homme est appelé à manifester et à pratiquer à l’égard de lui-même, à l’égard des autres, par obéissance à Dieu, et dans la crainte et le tremblement de ce même Dieu. » (p.308)

Les derniers mots du dernier cours de Michel Foucault suivent de près ce constat. Ces derniers mots sont : « Mais enfin, il est trop tard. Alors, merci. » (p. 309) Il est trop tard aussi pour tout ce que la grande entreprise du soupçon a détruit. Mais la confiance de Dieu, rien ne peut la détruire.