La primaire de la droite et « le courage de la vérité »

eLa bocca della Verita, au jardin du Luxembourg, photo Alina Reyes

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Les bonnes nouvelles n’abondent pas au point qu’il soit permis de négliger de s’en réjouir. Je me réjouis donc de l’élimination, enfin, de Sarkozy aux casseroles si nombreuses et si sales qu’elles emplissaient l’air de cacophonie et d’odeur de cadavre. Comme quoi il ne faut pas désespérer tout à fait des Français. Du temps où j’avais un compte twitter, il y a quelques mois, j’avais annoncé que Juppé se fatiguait pour rien, et maintenant je dis que Fillon a eu tort de prendre pour slogan « le courage de la vérité ». Car c’est usurper cette parole, qui ne peut pas être un slogan. Aux divers aspirants au trône, comme à leurs divers soutiens cousus d’or et d’honneurs qui critiquent le peuple mécontent, je donnerais à méditer ces paroles prononcées par Michel Foucault lors de son dernier cours au Collège de France :

« Isocrate, au début du Discours sur la paix (paragraphe 13), évoque les orateurs que les Athéniens écoutent avec complaisance. Et quels sont ces gens qui se lèvent, qui prennent la parole, donnent leur opinion et sont écoutés ? Eh bien ces gens sont des ivrognes, ce sont des gens qui n’ont pas leur esprit (tous noun ouk ekhontas : ceux qui ne sont pas sensés), ce sont également ceux qui se partagent entre eux la fortune publique et les deniers de l’État. (…) discours vrai et discours faux, opinions utiles et opinions néfastes ou nuisibles, tout cela se juxtapose, s’entremêle… » Paroles d’un chapitre sur la démocratie à l’épreuve de la vérité dans ce cours intitulé « Le courage de la vérité ».  Les ivrognes dont parle Isocrate ne sont-ils pas ceux qui s’enivrent d’eux-mêmes, du pouvoir et des honneurs, et se rendent ainsi inaptes à gouverner ?

« Il n’y en aura que deux, Juppé et Sarkozy (…) Fillon n’a aucune chance » Qui a dit cela ? Ceux qui pratiquent le faux-semblant sont faux prophètes.

« Alètheia [la Vérité] est un don de voyance », écrit Marcel Détienne dans Les Maîtres de Vérité dans la Grèce archaïqueLa vérité s’accompagne de la justice, rappelle-t-il aussi.

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Invictus


 

Ce poème fameux fut le préféré de Nelson Mandela. Le voici dans ma traduction.

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Par la nuit qui me couvre,

noir puits de pôle à pôle,

je remercie les dieux quels qu’ils soient

pour mon âme imprenable.

 

Dans la situation cruciale

je ne grimace ni ne crie.

Sous les coups de matraque

ma tête en sang demeure droite.

 

Par-delà ce lieu de colère et de larmes

ne se profile que l’horreur de l’ombre

mais la menace des années

me trouve et me trouvera sans peur.

 

Qu’importent l’étroitesse de la porte,

la charge du rouleau en punitions :

je suis le maître de mon destin,

je suis le capitaine de mon âme.

 

William Ernest Henley, Invictus

 

Grégoire de Naziance, Proust et l’islam

Qui suit docilement la Voie est renforcé par elle et en elle, même par les actions extérieures qui voudraient l’en détourner. L’autre jour j’ai assisté à l’exposé d’un étudiant sur la théologie négative. Il y fut dit un peu n’importe quoi, et pas mal de bêtises et d’incohérences, de la part du professeur comme de celle de l’étudiant, mais nous étions dans un séminaire de littérature, pas de théologie, et de plus, comme le dit Grégoire de Naziance dans son Discours 27, chapitre 3 (ma traduction, du grec) :

« Ce n’est pas tout le monde, vous savez, qui peut philosopher à propos de Dieu, ce n’est pas tout le monde ! Ce n’est pas une affaire à bon marché, ni pour ceux qui se traînent à terre. J’ajouterai même : ce n’est ni partout, ni pour tous, ni sur tout qu’on peut en discuter, mais à tel moment, pour telles personnes, et jusqu’à un certain point. Non, tous ne peuvent pas en discuter, mais seulement ceux qui en ont fait l’épreuve, qui sont passés par la contemplation, et avant tout ont purifié et leur âme et leur corps, ou prennent soin de les purifier. Car toucher la pureté sans être pur, c’est précisément aussi dangereux que de regarder un rayon de soleil avec de mauvais yeux. »

C’est la raison pour laquelle je me suis abstenue d’intervenir, sauf pour évoquer très brièvement l’islam et Rûmî. Et plus tard, à la fin, un étudiant du fond de la salle a pris lui aussi très brièvement la parole, pour dire en écho à ma brève intervention la profession de foi à laquelle bien sûr je pensais : lā ilāha illa-llāh, “il n’est de dieu que Dieu”, qui fit éclater magnifiquement la vérité, provoquant un moment de stupéfaction, comme si tous venaient de se brûler les yeux. (Moment qui témoignait aussi de la gêne que provoque le fait de parler positivement de l’islam – car la prétendue théologie “négative”, ou apophatique, lorsqu’elle est développée jusqu’à son accomplissement, révèle la pure positivité – un peu comme si quelqu’un arrivait nu dans une assemblée, à l’université par exemple : être sans vêtements n’est pas négatif, c’est pleinement être).

Al-Haqq, la Vérité est l’un des noms de Dieu en islam : il n’y a de vérité que la Vérité. S’y tenir c’est avancer, en tous domaines. Et pour en revenir à la littérature, ce passage du Temps retrouvé de Proust :

“… car je sentais que le déclenchement de la vie spirituelle était assez fort en moi maintenant pour pouvoir continuer aussi bien dans le salon, au milieu des invités, que seul dans la bibliothèque ; il me semblait qu’à ce point de vue, même au milieu de cette assistance si nombreuse, je saurais réserver ma solitude. Car pour la même raison que de grands événements n’influent pas du dehors sur nos puissances d’esprit, et qu’un écrivain médiocre vivant dans une époque épique restera un tout aussi médiocre écrivain, ce qui était dangereux dans le monde c’était les dispositions mondaines qu’on y apporte. Mais par lui-même il n’était pas plus capable de vous rendre médiocre qu’une guerre héroïque de rendre sublime un mauvais poète.”

Un peu plus tôt dans le livre Proust avait parlé du “sens artistique” comme de “la soumission à la réalité intérieure”. On ne saurait mieux définir la façon d’être du musulman, si l’on songe notamment au verset où Dieu dit de l’homme : Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire. (Coran 50, 16) Suivre la Voie, ce n’est rien d’autre qu’obéir à la Vérité qui est en nous. Encore faut-il ne pas, à force de pratique du mensonge sous diverses formes, l’avoir laissée partir en de meilleures demeures.

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Aller à la source, aux noces de la poésie et de la science

1dessin-écriture de « Toby »

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« le fil du discours » Gilbert DURAND, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire : introduction à l’archétypologie générale, Paris, PUF, 1963, p.54

Pour commencer une œuvre, et pour l’accomplir, je dois être d’une certaine façon en état d’enfance. Je n’aime pas partir de « là où on en était ». J’aime partir du début, et même d’avant le début connu. Aller à la source. La source qui est en moi, comme en chacun, comme en tout.

Héraclite le dit, phusis, la nature au sens de ce qui croît, la nature en sa sève, en sa source d’où proviennent fleuve et terres irriguées, en sa source comme océan promis et joie immédiate pour la soif, aime à se cacher. C’est dans le temps qu’elle se cache. Les épaisseurs du temps qui s’accumulent sur notre être, voiles qu’il faut déchirer par soi et de soi pour retrouver la pure paix, la pure lumière, la pure interrogation originelle.

Je suis extrêmement heureuse de commencer une thèse de doctorat, avec le soutien scientifique d’un éminent professeur, qui est poète et traducteur. Ainsi fidèle au projet que j’avais au moment de publier mon premier livre, et que j’abandonnai à ce moment, happée par une autre vie. Et engagée dans une autre aventure littéraire, différente de celle qui consisterait à écrire directement un essai en ce qu’elle m’oblige. Car retourner à la source ne signifie pas ignorer ceux qui vous ont précédé dans l’aventure. Par un travail universitaire, donc scientifique, je m’oblige au contraire à retourner vers eux avec une grande rigueur dans l’exigence de vérité. Je le crois, la poésie et la science peuvent se marier, doivent se marier, toujours de nouveau.

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Le combat entre l’obésité et la beauté

Voyageant il y a vingt-cinq ans dans le sud des États-Unis, O et moi fumes frappés par le contraste entre la beauté des Noirs et l’obésité ou la difformité de tant de Blancs. J’y songe en voyant une image du bel Obama et de l’obèse pape François côte à côte. Malheureusement aujourd’hui l’obésité s’est étendue à tous, du riche dignitaire comme le roi du Maroc aux pauvres de toutes origines qui n’ont que la nourriture en consolation.

L’obésité est le symptôme d’un manque de vérité. Le manque de vérité, de vie, creuse le néant en l’homme, qui n’a de cesse de le combler par toutes sortes d’artifices, dont la bouffe. L’obésité des corps humains renvoie à l’obésité des sociétés industrielles, dites de consommation. Elle n’est pas seulement un problème de santé publique du fait de sa morbidité, elle est avant tout le symptôme d’un problème de santé spirituelle publique. Les religions sont obèses ; sans parler des extrémismes l’obésité de l’architecture et de l’organisation tue régulièrement des pèlerins par centaines à La Mecque, et du côté du Vatican l’obésité de la com (faite à prix d’or par un professionnel américain) piétine constamment la vérité au mépris des personnes, voire de peuples entiers, comme en ce moment avec la canonisation d’un bourreau génocidaire d’Amérindiens dont l’histoire est réécrite dans un total esprit de révisionnisme et même de négationnisme.

Les religions, mais aussi les arts et la littérature sont obèses, industrialisés. Installations ou sculptures géantes et immenses toiles comblent par leur caractère voyant leur manque de vision. Et dans l’édition, la fabrication de produits « littéraires » basés sur les attentes du grand public (et fréquemment sur la tricherie et le plagiat) tue la poésie, la vraie littérature et leur mission, la progression de la vérité. Il se passe dans le domaine de l’esprit et de l’intelligence le même phénomène que dans l’industrie alimentaire : le gavage des populations par des productions polluées, frelatées, grasses et sucrées, dangereuses pour la santé. Ainsi le combat spirituel en ce début de vingt-et-unième siècle a lieu entre l’obésité et la beauté de l’humain, « beauté » qui n’est autre que sa dignité, son maintien dans la vérité de son être.

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Cette peur qui pollue les frocs

Quand C…, une enfant du village, était en troisième, et que je l’avais un peu aidée pour un devoir sur Antigone, je n’avais pas compris qu’elle soit si prompte et acharnée à se placer du côté de Créon, c’est-à-dire du tyran, du patriarche, du chef, du notable – toutes figures de l’ordre établi que ce personnage incarne. Mais elle était seulement comme sont tant d’adultes, même parmi ceux qui s’affichent ou se veulent affranchis. Que le choix entre la vérité et le mensonge se présente pour de bon, et les voici tous derrière le mensonge, à trahir la vérité et à essayer de la soumettre aux représentants de l’ordre établi. Parce qu’ils ont peur, si peur. Si peur du risque d’avoir à regarder la vérité en face. Voilà où dominants et dominés se retrouvent unis : dans la peur. Dans la mort, disent-ils souvent. Mais non, ce n’est pas la mort : c’est la peur qui les unit, qui les fait se serrer les coudes dans les situations extrêmes. La peur dans laquelle sont taillés les esclaves.

Les dominants et les institutions grâce auxquelles ils dominent sont des hyènes, pleines de peur et exploitant la peur, la mort. Se servant des vivants et se servant des morts, les bafouant également, sachant détourner et abîmer même les héros. Leurs ventres sont pleins de mort que jamais ils ne transforment en beauté ni en grâce, seulement en merdes, en merdes souvent déguisées en nourritures, dont ils polluent et empoisonnent le monde.

Que ceux qui veulent vraiment faire quelque chose de bon et de bénéfique le sachent bien : collaborer avec ceux qui œuvrent en se dissimulant, avec les hypocrites, les manipulateurs, les menteurs, les corrompus, les abuseurs, ne ferait que dévoyer leur projet, jusqu’à en faire une œuvre maléfique. Cela se produit sans cesse, depuis le début des hommes, car tant d’hommes sont faibles. Si le monde est encore debout, c’est qu’il y a eu suffisamment d’hommes droits et courageux pour contrer l’avancée du mal, refuser la compromission fatale, choisir toujours le chemin de la vie en vérité, quelles que soient ses difficultés.

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Journal de mon corps et âme

Rêve extraordinaire cette nuit : j’accouchais d’un garçon. Pour la cinquième fois, puisqu’en réalité j’en ai quatre. Là c’était particulier car je le sortais d’une sorte de récipient de terre et d’eau, ou de planète Terre qui était en moi, et je le contemplais, levé à bout de bras, magnifique, magnifiquement vivant.

Savoir que je vais pouvoir bientôt partir six jours au bord de l’eau me ressuscite. C’est-à-dire, me donne envie d’écrire. Je n’ai jamais passé autant d’années enfermée en ville sans en sortir, c’est pourquoi je n’écris plus. Je dessine ou je peins ou je fais des photos car je dois absolument créer, cela m’est aussi nécessaire que de respirer. Je ne chante plus dans un chœur, je ne fais plus de danse, je ne joue plus ou presque du piano, mais il est toujours possible de me remettre à tout cela que je fais parfois depuis l’adolescence par intermittence et de façon très très humble, en même temps que chaque jour, écrire. Puis ces derniers temps j’ai cessé de chaque jour, écrire. À cause du manque de nature et de mouvement. Mais voilà que cela va revenir.

Hier soir je suis allée voir un beau film, La isla minima. Je suis amoureuse de mon homme. Cette nuit j’ai encore accouché d’un fils. Et dans quelques jours, je vais revoir l’océan, mon vieux frère.

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