Bienheureuse

J’ai rêvé que Bedos (à la fois père et fils) et un plombier s’étaient installés chez moi contre mon gré et ne voulaient plus en partir. J’allais à la mairie demander qu’ils téléphonent chez moi afin qu’ils voient qu’ils étaient au courant de leur forfait, et que cela les fasse partir. Mais à la mairie les gens étaient très embêtés, oui me disaient-ils, on sait qu’ils se comportent ainsi, mais nous ne pouvons pas intervenir contre Bedos, étant donné sa position. Je retournais chez moi, et finalement les intrus s’en allaient, emmenés par leurs femmes, des pétasses mondaines, sapées, refaites et maquillées, qui les ramenaient chez elles.

Le rêve est limpide, Bedos à la fois père et fils symbolise le pouvoir temporel, clown médiatique, transmissible et grossièrement calqué sur le christianisme – une sorte d’antichrist ; le plombier représente les hackers et autres poseurs de micros cachés ; et les pétasses la mondanité qui les appelle à retourner dans leur monde.

À l’âge de quinze-seize ans, après avoir lu Freud (mais aussi beaucoup de textes sacrés), je me livrai à des expériences étonnantes, que ne font jamais les psychanalystes – raison pour laquelle ils ne connaissent rien en vérité à leur art ni à l’homme. Je suis loin devant, loin au-delà, cela m’exclut de ce monde mais je suis si bienheureuse.

Sagesse orientale, le temps à sa place

L’Orient remet le temps à sa place, celui d’humble serviteur de l’éternité. Ceci est notamment sensible dans le judaïsme, le christianisme orthodoxe et l’islam. Pensons à la prière juive du Kol Nidrei, capable d’annuler les vœux passés, et à sa correspondance dans la notion de teshouva, capable d’effacer le passé et ses fautes. Pensons à l’importance de la Résurrection dans le christianisme orthodoxe, capable de balayer la mort à l’œuvre dans le présent. Pensons au incha’Allah musulman, capable d’annuler nos projections dans le futur.

C’est à la source de ces pensées que nous devons puiser. Pour le reste, traditions et façons de penser dépassées, pour tout ce que le temps effacera d’elles, s’il est encore vivace là où les hommes sont à cause de la peur en situation d’arriération politique ou mentale, il dépérira – comme en Europe – dès qu’ils se libéreront. Il ne sert donc à rien d’essayer de sauver les vieilles structures là où elles peuvent encore l’être : encore est éphémère. Il faut au contraire se retourner et marcher dans la voie de l’éternité, sans avoir peur de laisser devant soi comme derrière soi tout ce qui n’est plus valide et qui, à coup sûr, tombera. Sous les coups sûrs du temps, soldat au service de l’éternité. 

Le paraître et l’être

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la vitrine du relieur, tout à l’heure rue Buffon à Paris 5e, photo Alina Reyes

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L’existence de Diogène dans son tonneau pouvait paraître insignifiante, mais en fait elle était extrêmement signifiante, au point qu’on s’en souvient toujours. Et la qualité de sa vie, c’est-à-dire de son être, était excellente, meilleure et plus haute que celle de l’empereur, lequel ne pouvait lui donner rien d’autre que de se pousser de la lumière où il s’était indûment mis.

L’existence de Jésus sur les chemins puis sur la croix pouvait paraître minable, mais en fait elle était glorieuse, comme sa vie, son être, si bien qu’il est toujours vivant.

L’existence de tant d’hommes peut paraître insignifiante ou minable, alors qu’ils sont rois selon le ciel.