Message

J’ai un message à vous transmettre.
Il est arrivé ce matin pour vous dans ma tête :
« Dis-leur que je suis parti voir ailleurs si j’y suis.
Qu’ils se démerdent.
Signé : Dieu »
– Mon Dieu, ai-je dit, je ne peux pas leur dire ça !
– Et pourquoi pas ?
– Ça pourrait tomber dans l’oreille de personnes bonnes, justes, gentilles, qui ont besoin de savoir que tu es avec elles !
– Qui ça, tu ?
– Mais toi, Dieu !
– Ne m’appelle pas Dieu. Alors elles sauront que je suis avec elles.
– Quand même, je ne peux pas dire ça.
– Et pourquoi ?
– Ils ne veulent pas me reconnaître.
– Qu’importe ? Ne te connais-tu pas toi-même ?
– Qu’importe ? Je veux qu’ils se connaissent.
– Alors dis-leur que je suis parti voir ailleurs.
– Je leur tendais le miroir, qu’ils se voient en train d’être incapables de me reconnaître. Qu’ils se connaissent, ainsi.
– Pour quoi faire ?
– Pour qu’ils puissent s’en sortir, sortir de leur prison.
– Mais ne t’emprisonnais-tu pas pour eux, dans ce miroir ?
– Ça importe ?
– Hahahahaha !

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"Moving", acrylique sur toile 61x46 cm

« Moving », acrylique sur toile 61×46 cm

Odyssée, Chant III, v. 201-252 (ma traduction)

Selfie hier devant les Arts et Métiers, photo Alina Reyes

Selfie hier devant les Arts et Métiers, photo Alina Reyes

En entendant Nestor demander au jeune Télémaque si c’était avec son consentement que les prétendants abusaient de ses biens, j’ai pensé au titre de Vanessa Springora. Les hommes sont toujours les hommes, et les mécanismes qui régissent ceux qui se laissent régir par des mécanismes humains, trop humains, toujours les mêmes. Le dieu, la divinité, est aux côtés de Télémaque, l’abusé qui se débat, non aux côtés des abuseurs, tombés dans le désir de domination, désir de la plus basse humanité.
Voilà un beau dialogue, où se révèle l’habileté rhétorique de Télémaque, soutenu par Athéna sous l’apparence de Mentor – et comme il est intéressant, tout au long du texte, d’entendre Homère dire « elle » pour parler d’un homme, ou d’une apparence d’homme ! Les théoricien·ne·s du genre devraient s’en régaler.
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Ainsi lui répond à haute voix le sage Télémaque :

« Ô Nestor, fils de Nélée, grande gloire des Achéens,
Certes, celui-là s’est bien vengé, et les Achéens
Porteront loin dans le futur sa bonne renommée.
Si seulement les dieux m’avaient revêtu d’autant de force,
Que je fasse payer aux prétendants leurs pesants forfaits,
Ces vaniteux, ces insolents qui machinent contre moi !
Mais les dieux ne nous ont pas assigné ce bonheur,
À mon père et à moi. Il ne me reste qu’à supporter. »

Ainsi réplique le cavalier Nestor, de Gérènos :

« Ami, puisque tu en parles, tu m’en fais souvenir :
On dit que, pour ta mère, de nombreux prétendants
Contre ta volonté machinent le mal dans ton palais.
Mais dis-moi : es-tu soumis avec ton consentement,
Ou bien des gens du peuple te haïssent-ils, à cause
De quelque oracle ? Qui sait s’il ne reviendra pas punir
Leur violence, soit seul, soit avec tous les Achéens ?
Si Athéna aux yeux brillants de chouette voulait t’aimer
Comme elle prit soin de l’illustre Ulysse au milieu
Du peuple des Troyens où nous, Achéens, avons souffert –
Je n’ai jamais vu un dieu aimer si manifestement
Que Pallas Athéna, manifestement à ses côtés –
Si elle voulait t’aimer ainsi, se soucier de toi,
Certains oublieraient leur désir de mariage ! »

Ainsi répond à haute voix le prudent Télémaque :

« Vieillard, je ne crois pas que jamais se réaliseront
Tes dires. Tu vois trop grand ! J’en suis stupéfait ! Espérer
Cela, je ne le peux, même si les dieux le voulaient. »

Ainsi dit alors Athéna aux yeux brillants de chouette :

« Télémaque, quelle parole a franchi la barrière
De tes dents ? Un dieu, s’il veut, même de loin sauve aisément
Un homme. Moi j’aimerais mieux endurer beaucoup de maux
Et rentrer à la maison, voir le jour du retour,
Plutôt que de mourir en arrivant, comme Agamemnon,
Tué par la fourberie d’Égisthe et de sa femme.
Cependant la mort, égale pour tous, même les dieux
Ne peuvent l’écarter de l’homme qu’ils chérissent,
Quand le funeste sort l’a tiré et couché dans la mort. »

Ainsi lui répond à haute voix le sage Télémaque :

« Mentor, n’en parlons plus, quoique cela nous préoccupe.
En vérité il ne reviendra plus, mais déjà
Les immortels ont conçu sa mort et son noir destin.
Maintenant je veux m’informer d’autre chose en questionnant
Nestor, lui qui est plus que tous à la fois juste et sensé,
Lui qui a régné, dit-on, sur trois générations d’hommes,
Lui qui, à le voir, me paraît semblable à un immortel.
Ô Nestor, fils de Nélée, dis-moi la vérité !
Comment a péri le grand chef, l’Atride Agamemnon ?
Où était Ménélas ? Quelle mort lui avait préparée
Le fourbe Égisthe, qui tua un homme très supérieur ?
Ménélas n’était-il pas en Argos, mais en train d’errer
Quelque part parmi les hommes, pour qu’Égisthe ose tuer ? »

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le texte grec est ici
dans ma traduction, le premier chant , le deuxième
à suivre !

Journal, image et poème du jour

photo O&A

photo O&A


J’ai écrit les huit premiers vers dans ma tête cette nuit dans mon lit, puis dans mon cahier ce matin après le yoga, puis la suite d’un jet. Un peu plus tard je me suis mise à peindre, O a fait la photo mais il n’y avait pas assez de lumière alors comme j’aimais bien la composition je l’ai retravaillée sur l’ordi, j’aime bien ce mélange de noir et blanc et de couleur. Dans la nuit j’ai aussi réfléchi à ce que je pourrais faire comme street art (autre chose que mes post-it), je finirai peut-être par m’y mettre.
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Y aurait-il des rois du monde,
Qu’est-ce que j’en aurais à faire ?
Je laisse aux esclaves dans l’âme
Le besoin d’être couronnés
Par ce trop bas monde, leur maître.
Ils ont pour voies les caniveaux
Moi je préfère les vrais veaux.
Je règne ailleurs, parmi les fleurs.
Je pose mes mots en abeille
Dans les calices, dans les ruches
Je suis l’ouvrière et la reine
C’est moi qui fais le bleu du ciel
Je cligne de mes milliards d’yeux
Voyez mes pupilles la nuit
Là-haut dans l’univers qui pulse
Aussi dans votre jugulaire.
Je pique, je brûle, je suis.
Qui ne me connaît pas ignore
Le miel que je mielle et produis.
Ignorants sont les rois du monde.
Auraient-ils pour moi en réserve
Un sceptre, qu’en aurais-je à faire ?
Sinon leur en faire goûter
Comme d’un poignard, ô mon dard !
J’entends leurs oreilles qui sifflent
Le grand rien. Ce n’est pas le mien.
Mon cœur est toutes les saisons.
Mille voyages, une maison.
Je suis pleine à ne pas craquer,
Grande âme infinitésimale.
Léchez mes pattes de mielleuse,
Lettres nées par et pour l’amour.

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Autant en emporte le temps

"Autant en emporte le temps", collage et peinture sur papier fort 17x20 cm

« Autant en emporte le temps », collage et peinture sur papier fort 17×20 cm

Les Grecs et les Turcs se sont rapprochés après le tremblement de terre qui a endeuillé leurs deux pays ces jours-ci. En France, les musulmans et les catholiques se sont rapprochés pour la Toussaint après le meurtre de trois personnes dans une église de Nice par un terroriste islamiste. Que les uns et les autres, Grecs et Turcs en Orient (les deux pays sont orientaux à mes yeux), musulmans et chrétiens en Occident et dans d’autres terres, se rendent compte qu’ils seraient plus forts en coopérant, en faisant alliance, même !

Les librairies sont fermées. Des employés de librairies demandent qu’on cesse de demander leur réouverture et de les mettre ainsi en danger. Pour ma part, il y a longtemps que je ne vais plus en librairie (les bibliothèques et les ebooks m’apportent tout le nécessaire). Les seuls livres que j’y ai achetés ces deux dernières années sont celui de François Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas – en fait c’est O qui l’a acheté – et celui de Vanessa Springora, Le consentement. Deux textes de témoignage. L’un d’un honnête homme sur Macron, l’autre d’une honnête femme sur Matzneff, deux personnages emblématiques de l’état de la France : un pays abusif. Les livres que j’aurais pu publier depuis dix ans ne se trouvent pas en librairie car j’aurais dû, pour les publier, accepter une contrainte abusive. Je ne l’ai jamais acceptée, elle s’est donc accentuée, on a voulu me rééduquer comme certains veulent convertir de force les homosexuels à l’hétérosexualité, ou les fidèles d’une religion à une autre, ou les esprits libres à la dictature. Il y avait dans ces livres que je n’ai pu publier, que vous ne trouverez pas en librairie, de quoi participer à pacifier le monde. On a préféré soutenir ceux qui s’échinent à provoquer des guerres de civilisation. Autant en emportent les tremblements de ciel.

Silhouette : mon journal en images

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Samedi, en rentrant de courir où, à mon tout petit niveau de débutante, je progresse bien et avec joie.
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Dimanche, j’ai réalisé ces deux collages : « Woman Bridge » et « Trumpet of Time ». J’ai aussi téléchargé une appli pour voir mes progrès à la course. L’appli compte aussi les autres sports, et indique les calories dépensées : 700 entre le yoga et la marche (promenade) ce dimanche.

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Aujourd’hui lundi nous sommes allés à vélo, O et moi, à l’île aux Cygnes, vingt kilomètres aller-retour par les bords de Seine. Profitons du temps quand il est beau et tant qu’on n’est pas confiné. Entre le yoga, la marche et le vélo aujourd’hui, 900 calories dépensées et surtout, un corps et un esprit bien aérés.

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à Paris ces jours-ci, photos Alina Reyes

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Quelques images de Paris 13e ces jours-ci

Le nom du stupide cyclope mangeur d’hommes, Polyphème, signifie « qui parle abondamment ». En fait, tout ce qu’il sait dire c’est « je vais te manger », puis « on me tue », puis « c’est personne ». Aujourd’hui, après avoir beaucoup parlé ces derniers jours, je vais me taire, juste proposer, ce que je n’ai pas fait depuis longtemps, quelques photos prises ces jours-ci lors de mes sorties et balades dans le 13e.
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photos Alina Reyes

bientôt la suite de l’Odyssée dans ma traduction !

Odyssée, Chant I, v.337-364 (ma traduction)

Arthur Rimbaud par Sonia Delaunay

Arthur Rimbaud par Sonia Delaunay

(Illustration trouvée dans un article reprenant sans me citer mon argumentaire, et sa chute, à propos de Verlaine et Rimbaud au Panthéon)
Merveilleux moment de traduction aujourd’hui, quand j’ai entendu Homère dire ce que dira aussi Rimbaud. Je m’explique. De façon générale, je découvre en le traduisant pas à pas la profondeur de la modernité d’Homère. Tout cela fera l’objet du commentaire dont j’accompagnerai ma traduction quand elle sera terminée, dans quelques années. Mais déjà, donnons quelques éléments ici. D’abord, pour le passage de ce jour, mon émotion personnelle en entendant Pénélope dire d’Ulysse « je regrette tant une telle tête, me remémorant… ». C’est une tournure toute homérique que de dire tête à la place d’esprit ou d’âme. Et moi aussi je me remémore… je me remémore le rêve que je fis une nuit, où Homère me donna sa tête à manger.

Mais revenons à Rimbaud. Dans sa lettre du 13 mai 1871 à Izambard, se trouvent ces mots célèbres : « je travaille à me rendre voyant (…) je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire : je pense : on devrait dire : On me pense — Pardon du jeu de mots. — Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon ». Dans les vers d’aujourd’hui, Homère fait dire à Télémaque : « pourquoi donc refuser à l’aède fidèle de charmer selon ce qui l’inspire ? Ce n’est pas la faute des aèdes. C’est plutôt Zeus qui est cause des dons qu’il dispense selon son bon vouloir aux gens travailleurs ». Je n’épilogue pas, songez-y si vous en avez le courage. (J’ajoute seulement que le mauvais roman, pas nouveau, qui circule ces jours-ci en ligne, avec explication de texte grossière sur le poème qui accompagne cette lettre de Rimbaud à Izambard, ne vaut pas un clou ; et que je ne crois pas non plus que le jeu de mots de Rimbaud sur « On me pense » soit à comprendre comme aussi « On me panse », interprétation lacanienne ridicule comme presque toujours).

Le je du poète (de l’aède fidèle)est un principe supérieur. Ce même principe qui, sous le nom d’Athéna, inspire à Télémaque des paroles toutes nouvelles, qui, par le changement qu’elles révèlent en son fils, vont stupéfier Pénélope, retournant elle aussi tisser le poème dans ses étages supérieurs.

Cette semaine j’ai trouvé aussi la raison plus profonde que celle qui est dite, la raison plus profonde qui fait que Shéérazade empêche le sultan de la tuer en racontant pendant mille et une nuits.
Nous en étions la dernière fois au moment où Pénélope allait s’adresser à l’aède :
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« Phémios, tu connais bien d’autres chants qui charment les mortels,
Les actions des hommes et des dieux que chantent les aèdes.
Assis parmi eux, chantes-en un pendant qu’ils boivent
Le vin en silence. Mais cesse ce chant lugubre
Qui toujours dans ma poitrine accable mon cœur
Où sans cesse descend la cruelle douleur du deuil.
Je regrette tant une telle tête, me remémorant
À jamais l’homme dont la gloire emplit l’Hellade et Argos ! »

Ainsi réplique à haute voix le sage Télémaque :

« Ma mère, pourquoi donc refuser à l’aède fidèle
De charmer selon ce qui l’inspire ? Ce n’est pas la faute
Des aèdes. C’est plutôt Zeus qui est cause des dons
Qu’il dispense selon son bon vouloir aux gens travailleurs.
Ne lui reproche pas de chanter les malheurs des Danaens
Car les humains préfèrent célébrer un chant
Dont le sujet tourne autour des choses les plus nouvelles.
Lève en ton cœur et âme le courage d’écouter.
Car Ulysse n’est pas seul à avoir perdu à Troie
Le jour du retour. Beaucoup d’autres y ont péri aussi.
Va dans tes appartements t’occuper de tes travaux
À la toile et au fuseau, et exhorte tes servantes
À se mettre à leur ouvrage. La parole est affaire d’hommes,
Surtout la mienne. Car je suis le chef en cette maison. »

Et frappée de stupeur elle rentre chez elle,
Recueillant dans son cœur les sages paroles de son fils.
Montée avec ses suivantes aux appartements supérieurs,
Elle pleure Ulysse, son époux chéri. Puis Athéna
Aux yeux de chouette jette un doux sommeil sur ses paupières.

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le texte grec est ici
à suivre !