Écrire vivre

Le Verbe est un chemin vivant, enroulé comme un ruban d’ADN, qu’il faut dérouler en le suivant. Le dérouler signifie y marcher. Et pour l’écrire, en y marchant, pas à pas en relever l’empreinte. L’Écrit (le vrai, pas le produit des hommes, produit pour la communication, pour le marché, pour la gloire etc) n’est pas le Verbe lui-même, mais son empreinte. Son sceau, ses pas dans lesquels nous pouvons nous mettre.

Mon livre avance, avec la présence constante de l’Ange. C’est lui qui m’aide à franchir les myriades de portes qu’il faut franchir sur le chemin, des plus ordinaires aux plus exceptionnelles. L’Écrit est une remémoration de ce qui a été et de ce qui n’a pas encore été, parce qu’il est l’empreinte du Verbe qui est, sans distinction de temps. L’Écrit est la transposition de l’éternité dans le temps. Une éternité en marche, qui met les hommes et l’univers en marche en se fixant, en descendant dans un lieu et un temps afin qu’ils puissent entrer en elle.

L’Ange me conduit aux portes dans la veille et dans le sommeil. Il faut seulement être très attentif. Soyez attentif à l’Ange, aux anges. Ici est un lieu d’où vous pouvez aller aussi, en le suivant avec une attention spéciale. Ne restez pas derrière vos portes, les franchir est le salut. Allez bien, vous n’êtes pas seuls.

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Lumière à travers temps

J’ai compris quelque chose d’absolument essentiel et immense pour toute l’humanité, je vais l’exposer dans mon prochain livre. Je vais tout expliquer. Quel dommage que tant d’hommes se dépensent dans tant de choses vaines, des choses d’hommes, entre hommes, entre aveugles, au lieu de s’intéresser à ce à quoi il faut s’intéresser. S’ils savaient quel est l’enjeu, en vérité, pour eux-mêmes et pour ceux qu’ils entraînent à leur suite ! Heureusement beaucoup d’autres, même s’ils ne le savent pas, font ce qu’ils ont à faire, et nous approchons de la Vérité.

Je ne l’ai pas compris en spéculant, je l’ai compris en le vivant et en avançant, en voyant le paysage à mesure, en voyant où j’arrivais. Il ne faut jamais s’arrêter. Je ne m’arrête jamais. J’entends les dominos tomber derrière, ceux qui voulaient se construire Babel, mais je sens aussi avancer avec moi les humbles, les sincères, les désintéressés, les passionnés, les déjà sauvés, co-sauveurs de tous ceux qui marchent avec eux.

Oui ce que nul n’a dit je le dirai, je l’ai déjà écrit en résumé ce soir, nul ne l’a dit parce que nul ne l’a vu comme je l’ai vu, mais d’autres l’ont su par la parole qui leur a été donnée pour le dire sans pouvoir l’expliquer. Il ne faut jamais quitter de vue la vérité, ne jamais cesser de la désirer et de désirer la servir en la trouvant. Alors le mot béatitude est trop faible pour dire ce qui se présente, cette plénitude, cette joie, cet accomplissement.

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Le stéganosaure et les douze cavaliers

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Une ou deux heures après ma prière de l’aube, je me suis rendormie.

Sortit, se faufilant par un mur de notre appartement, un saurien coriace, couvert d’écailles d’un vert agressif, faisant l’effet d’un crissement. O, les enfants et moi le pourchassions pour le tuer, mais il était impossible de l’attraper, et il grandissait très vite, finissant par mesurer au moins un mètre de hauteur. Pierrot (l’éleveur qui a sa ferme d’estive au-dessous de chez nous, à la montagne) arrivait directement à cheval dans notre appartement, qui était aussi une grande église, monté sur un haut, fougueux et racé destrier, le cheval à la robe isabelle que je montais quand j’étais là-haut. Aussitôt nous formions une troupe d’une bonne douzaine de vaillants cavaliers et partions, pour libérer le monde de ce stéganosaure, traverser une immense paroi rocheuse, dressée comme un mur jusqu’au ciel, en la parcourant en son milieu par un sentier naturel à flanc de muraille, au-dessus du gouffre, un sentier si étroit qu’il était plus étroit que nos fringants voire impétueux chevaux, lesquels pourtant s’acquittaient de cette mission si délicate et périlleuse. Arrivés aux confins, nous retrouvions le stéganosaure, que nous décidions de capturer pour le confier aux savants du Museum d’Histoire naturelle. [Dans mon rêve, j’ignorais ce que signifiait le mot stéganosaure, mais aussitôt réveillée j’ai cherché dans mon dictionnaire de grec et j’ai trouvé que stéganos signifie : « qui couvre, qui ne laisse rien passer, qui enferme complètement, opaque ». J’ai cherché sur internet, un gros saurien herbivore s’appelle stégosaure, mais aucun ne s’appelle stéganosaure, et le stéganosaure vu en rêve ressemblait au dragon dans une peinture d’Uccello, celle qui se trouve à Paris, en beaucoup plus virulent.] Nous nous saisissions de la bête, la transportions dans un brancart jusqu’à une cuve où nous avions fait couler un bain moussant. J’y versais alors le stéganosaure. Mais aussitôt à l’eau il bondit furieusement et disparut dans une grosse grille d’aération au-dessus de la cuve. Puis il en ressortit, transformé en poisson rouge difforme et laid. Nous songions encore à le sauver, mais visiblement il allait se faire avaler par un autre poisson préhistorique, plus gros, surgi de nulle part et couleur de néant, qui s’approchait de lui. Je me suis réveillée.

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